«C’est la frustration des jeunes qui a défait les régimes autoritaires et cette frustration peut aussi mettre à mal des régimes plus légitimes», a averti Angel Gurria, secrétaire général de l’Ocde, au cours d’une rencontre à Tunis.
Par Myriam Amri
C’est dans les imposants bâtiments du ministère des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle que s’est tenu, le 16 juillet, une conférence régionale sur le thème de l’emploi des jeunes.
Ce colloque a été organisé conjointement par le centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économique (Ocde) et la Banque africaine de développement (Bad) à l’occasion de la publication de l’édition 2012 des Perspectives économiques en Afrique (Pea), rapport sur les évolutions sociaux-économiques du continent africain et qui a permis de confronter l’enjeu de l’emploi des jeunes en Afrique du Nord avec les perspectives macro-économiques du continent africain.
La conférence a été inaugurée par le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle Abdelwaheb Maâtar, qui a évoqué la mise en place d’une stratégie nationale pour l’emploi dont les grands points seront révélés le 17 décembre prochain. Le ministre a appelé à la mise en place d’un plan structurel de développement et rappelé que les solutions à court-terme, de «tranquillisants» ne peuvent plus fonctionner.
Reprise faible en Tunisie et en Egypte, très forte en Libye
"Mohamed Bouazizi, victime du chômage et de la marginalisation", dit la pancarte.
L’Afrique a connu cette dernière décennie sa plus forte période de croissance et si la cadence a été ralentit dans certaines régions par la crise mondiale de 2008 ou le printemps arabe de 2011, le continent semble petit-à-petit retrouver son rythme et les Pea prévoient une croissance en 2012 et 2013 de respectivement 4,5 et 4,8%.
Si cette reprise risque d’être moindre dans des pays comme la Tunisie et l’Egypte (3 et 2%) où les évènements sociaux-politiques décideront du contexte économique, on prévoit un boom de croissance pour la Libye (plus de 15%) qui reprend le chemin de la reconstruction après un an de guerre civile.
Néanmoins, derrière ces chiffres encourageants se cachent encore de grands problèmes économiques et notamment celui de l’emploi des jeunes. Ainsi, malgré la forte croissance de la période 2000-2010, les pays d’Afrique n’ont toujours pas réussi à résoudre le problème du chômage de leurs 15-29 ans et n’ont pas réussi à créer suffisamment d’emplois pour absorber cet afflux. Si la croissance est une condition nécessaire à cet enjeu de l’emploi des jeunes, elle semble n’avoir pas été une condition suffisante. Officiellement, 30% de cette catégorie de la population est au chômage, mais si l’on considère toute la proportion des «découragés» qui ont abandonné les recherches d’emplois, on peut arriver à 40% de chômeurs de moins de 30 ans en Afrique.
Dans la région de l’Afrique du Nord, à l’enjeu du chômage des jeunes se juxtapose le problème des jeunes diplômés. En Tunisie, par exemple, on trouve plus de 18% de chômeurs parmi les 15-25 ans mais à l’intérieur de ce groupe 33% sont des chômeurs diplômés.
On constate aussi que les créations d’emplois pour les jeunes ont souvent été ceux d’emplois de faible qualité, qui n’ont pas permis à cette tranche de la population de sortir de la pauvreté et n’ont fait que maquiller le problème.
Comme l’on rappelé les intervenants, la jeunesse est à la fois un atout mais aussi un facteur d’instabilité si elle n’est pas écouté car «c’est la frustration des jeunes qui a défait les régimes autoritaires et cette frustration peut aussi mettre à mal des régimes plus légitimes», comme l’as évoqué Angel Gurria, secrétaire général de l’Ocde.
Des solutions structurelles à un problème qui dure
Le manque «d’inclusivité» de la croissance de ces dernières années est en grande partie due à la faiblesse du secteur privé. Pour les intervenants la stimulation de l’entreprenariat, de l’initiative privée et de l’innovation favoriserait considérablement la création d’emplois.
Il faut aussi dans cette perspective assainir l’environnement économique en limitant le problème de la corruption et celui du secteur informel. Loin de l’utilisation de sanctions à l’encontre de ce secteur, il s’agit d’aider ces petites entreprises à se développer pour qu’elles puissent rejoindre le secteur privé et créer des emplois.
En effet c’est en stimulant les Pme que l’on peut répondre aux demandes d’emplois notamment pour les jeunes car même si les moins de 30 ans se tournent avant tout vers le secteur public pour chercher un emploi, celui ne peut plus absorber le flux de jeunes sortants chaque année du système éducatif.
L’enjeu du crédit est aussi majeur car aujourd’hui l’existence de fonds propres reste une garantie nécessaire pour l’obtention d’un crédit ce qui limite les initiatives notamment chez les jeunes des classes moyennes, éduqués mais sans ressources financières et qui se retrouvent face à ce handicap supplémentaire dans la jungle du monde du travail. Si le micro-crédit répond partiellement à la difficulté du financement chez les jeunes, il reste peu développé en Afrique du Nord.
Marche de protestation à Tunis de l'Union des diplômés chômeurs (Udc), le 8 avril 2012.
Enfin, dans le but d’être intégré aux marchés du travail il est nécessaire que les petites entreprises aient un accès aux innovations et aux technologiques afin de pouvoir les adapter à leurs productions pour être plus compétitives face aux grandes entreprises qui détiennent l’information plus facilement.
La coordination de l’éducation et du marché du travail
Néanmoins, combler le fossé entre l’éducation et le marché du travail reste la meilleure solution pour répondre à l’enjeu de l’emploi des jeunes. Il s’agit de créer des ponts entre les études supérieures, souvent théoriques, et une formation professionnelle au sein d’un milieu de travail qui permettrait d’offrir de l’expérience aux jeunes.
La professionnalisation de l’éducation à la manière du modèle allemand et sa mutation vers des domaines répondant plus aux attentes du marché du travail permettrait de mieux se défendre face au spectre du chômage. A titre d’exemple, l’Afrique du Nord représente la région du monde au plus grand pourcentage d’étudiants en sciences sociales et au plus faible pourcentage dans les domaines plus techniques et professionnalisant.
De ce fossé entre l’éducation et le marché du travail résulte une inadéquation entre l’offre et la demande du travail. En Tunisie, il y avait, en 2011, 850.000 chômeurs mais aussi dans le même moment 200.000 offres d’emplois.
Intégrer tous les acteurs pour y répondre
Si le chantier de l’emploi des jeunes reste encore long et semé d’embuches, il ne peut être fait qu’à travers une coopération entre le secteur privé, les employés et les autorités publiques.
L’Etat en tant qu’acteur économique est le seul garant du développement des infrastructures, nécessaires pour les diverses productions économiques. De plus, les politiques publiques mises en place doivent pouvoir bénéficier d’une certaine flexibilité et d’une décentralisation pour qu’elles puissent s’adapter aux spécificités régionales. Il s’agit donc pour les autorités publiques d’effectuer une coordination des stratégies de l’emploi à la fois de manière horizontale à travers une concertation de tous les acteurs et une inclusion des divers domaines concernés (emploi, éducation..) mais aussi de manière verticale à travers une coopération régionale car il ne s’agit pas seulement d’annoncer des politiques et des promesses d’emploi mais surtout de pouvoir les mettre en œuvre.
L’aspect sociétal derrière l’enjeu économique
Enfin, si l’entreprenariat est aussi peu développé à travers le continent et si les initiatives des moins de 30 ans restent «des cathédrales dans le désert», c’est peut-être aussi dû à la mentalité du travail, celle d’une mentalité «safe» où l’on ne prend pas de risques et évite les responsabilités. Le manque de flexibilité, de liberté de prendre un risque, a entrainé cette situation qui s’est diffusé même chez les nouveaux-venus du marché du travail.
La réponse au chômage des jeunes passe aussi par cette refonte des valeurs de la société et par la création d’une nouvelle vision du travail, celle du goût du risque de la prise d’initiatives.