Reportage dans les principaux marchés de la capitale au 1er jour du 2e ramadan post-révolution. Les prix flambent, les Tunisiens se plaignent, mais remplissent autant que faire se peut leur couffin.
Par Nacer Ould Mammar
Mois de la piété, comme ils disent. Les Tunisiens, du moins une bonne partie d’entre eux, ne s’attendaient pas au miracle et ont fait comme de coutume, désormais à chaque début de ramadan, contre mauvaise fortune bon coeur. La révolution n’a finalement pas apporté grand chose à ce niveau contrairement à ce qu’espéraient d’autres.
Nos concitoyens faisaient grise mine dans la matinée du premier jour du ramadan dans certains marchés de la capitale. Les prix affichés par les marchands de fruits et légumes, ceux des volailles et les bouchers étaient prohibitifs pour nombre de paniers de ménagères. «Il faut une chkara (sac ou sachet de billets de banque, Ndlr) pour faire ses courses et remplir son couffin», s’est insurgée hier matin l’une d’entre elles lorsqu’elle a vu la tendance arborée par la mercuriale. Des quatre coins du territoire national ce ne sont, en tout cas, pas les mêmes réactions de déception qui nous sont parvenues.
Visiblement, le gouvernement Jebali n’a rien fait pour éviter la saignée des Tunisiens. Alors qu’on annonçait la veille à la télé que les prix seront contrôlés et régulés, la flambée des prix a bel et bien eu lieu. La «rahma» (miséricorde) n’a pas droit de cité.
L’heure est à la spéculation et aux petites affaires
Réputé pour être le mois sacré par excellence, le ramadan s’est vidé de son sens. L’heure est désormais à la spéculation et aux petites affaires. Il n’y aura aucune pitié. Les Tunisiens seront saignés aux quatre veines. Comme d’habitude. Une virée au marché de Sidi Abdessalem, à Bab Saadoun, pour avoir un petit aperçu sur les prix. Comme partout ailleurs, le prix de la pomme de terre oscille entre 700 et 750 milimes. La tomate, pourtant ce légume de saison, affichait un prix de 500 et 600 millimes. Ces deux légumes, les plus prisés, se vendaient quelques jours avant le mois sacré respectivement à 400 et 300 millimes seulement. Idem pour la courgette qui a grimpé en flèche pour se vendre à 850 millimes et 1,1 dinar (DT). Alors que le prix du poivron varie, selon le calibre, entre 1,1 et 1,6 DT. L’oignon «hachakoum» ou l’aubergine ont eux aussi connu des hausses. Ils affichaient 600 et 750 milimes sur les étals. Les fruits n’ont eux aussi pas échappé à la règle. Mais leurs prix sont plus ou moins abordables par rapport à d’autres endroits. Comme c’est le cas de la pêche ou la pomme qui sont proposés à 1,080 et 1,500 DT. Alors que les dattes de la saison dernière sortis des frigos affichent un prix qui oscille entre 3 et 5 DT.
«Les prix sont chers qui ne sont pas à la portée même de la moyenne bourse. Tout a augmenté même les fruits et légumes de saison. J’ai acheté pour 25 dinars et mon couffin n’est pas plein. On ne ressent pas le même ramadan comme avant malgré la révolution dont on comprend mal l’objectif. Je ressens plutôt de la tristesse pour ce ramadan de la nouvelle ère de la Tunisie. J’estime qu’on a pris du recul avec les sit-in et les grèves», lâche en vrac, Leila, une habitante du Bardo âgée de 36 ans.
La valse des prix fait tourner les têtes
Grande variété de fruits, mais les prix sont peu acessibles aux petites bourses.
C’est quasiment la même réaction de Hana, cette banquière de 52 ans rencontrée au marché Sidi Abdessalem: «Ce deuxième ramadan d’après révolution ne se présente pas comme on l’espérait et surtout sur le plan sécuritaire. Je perçois un salaire de 1.400 DT et celui de mon époux de 500 dinars avec un seul enfant à charge et on arrive tout juste à arrondir nos fins du mois et c’est encore pire le mois sacré. Je dis seulement qu’il n’y a ‘‘ni yasmine ni kronfel’’».
Un simple calcul mathématique, dans le contexte de la balance des valeurs, prouve aisément l’aberration de cette cliente par rapport à d’autres familles vivant en-dessous du seuil de la moyenne et avec plus de trois enfants à charge.
Bref, au marché de Halfaouine, à Bab Souika, les prix sont plus ou moins abordables. A titre d’exemple, la pomme de terre, chez nous comme partout au Maghreb, est cuisinée à toutes les «sauces» grâce à une créativité associée à une forme de débrouillardise avérée de nos maîtresses de maison. Ce légume est proposé entre 400 et 750 milimes le kilo, selon la qualité. Idem pour la tomate dont le prix est situé entre 300 et 500 milimes le kilo. Même cas pour la courgette qui est vendue à 700 milimes (100 milimes de moins qu’au marché Sidi Abdessalem). Pour les autres prix des fruits et légumes dans ce marché, la différence atteint jusqu’à 800 millimes par rapport au marché de Sidi Abdessalem. Quant aux poissons, leurs prix sont également plus abordables qu’ailleurs, à l’exemple du marché central au centre-ville de Tunis.
Ainsi, les étals du marché Halfaouine proposent la sardine, le maquereau ou la latcha, respectivement, à 680 millimes, 2,9 DT 1,6 DT le kilo. «Même si les prix sont plus ou moins abordables qu’ailleurs, l’on ne peut pas dire qu’il y a eu véritablement la révolution. Toujours est-il que c’est le meilleur ramadan après 23 ans de dictature. Je me souviens de l’année dernière où les gens pleuraient contre les murs de ce marché de Halfaouine en tendant la main aux âmes charitables. Beaucoup fouinaient dans les poubelles pour trouver quelque chose à manger. Cette année, ils sont moins nombreux; ce qui prouve que les pauvres gens trouvent de quoi mettre sous la dent. Tout ce que je demande c’est que les services de sécurité nous laissent travailler. Je dénonce le fait que les policiers du commissariat exigent encore de l’argent aux vendeurs à la sauvette en contrepartie de les laisser installer leurs marchandises. Une pratique qui a gangrené ce corps de sécurité pendant 23 ans», dénonce avec courage ce jeune Hilmi de 35 ans, marbrier dans son état.
Le kilo de viande à 17 dinars
Autre son de cloche chez Abdelfattah, 65 ans : «Pour moi c’est le même ramadan des années passées. On a rien vu de nouveau. Les prix sont mitigés dans certains étals. Mais généralement, ils sont raisonnables au vu qu’ils sont à la portée de toutes les bourses».
Courgettes, pommes de terres et laitues... Il en faut pour la table de ramadan.
Wafa, 49 ans, n’est pas de cet avis. Elle déclare: «On vit ce deuxième ramadan post-révolutionnaire difficilement. Les prix sont chers comme ceux de la viande rouge et le poulet sans oublier le manque de certains produits comme l’eau minérale, le sucre et l’huile. Ce ramadan vient à peine de commencer et on est déjà stressé dans la mesure où on a presque déjà gaspillé nos salaires».
Une virée au marché central pour faire un comparatif des prix. Là, c’est carrément la saignée. Et pourtant, le marché est bondé de monde pour ce premier jour du mois sacré composé de toutes les classes. A ne rien comprendre devant l’écart de prix flagrants des rayons des fruits et légumes, des viandes ou des poissons. Des prix, en tout cas, qui donnent le tournis aux plus friqués. Qu’on en juge: le poivron et cédé à entre 1,2 et 1,5 DT selon le calibre. Alors que le piment est vendu à 1 DT. Le Tunisien de basse classe ne fera pas de plat au poivron ou la courgette sautée dont le prix frôle le dinar. Il pourra même aussi se priver de manger de la salade qui a atteint les 700 milimes le kilo ou encore l’oignon à 600 milimes. Pareil pour les fruits. A voir leur prix excessifs, on a l’impression d’être dans une pharmacie. La datte de la saison dernière est vendue entre 3,5 et 6 DT ou la pomme locale ou d’importation dont son prix se situe entre 3,4 et 4,1 DT pour la golden.
Des prix qui brûlent les doigts du simple citoyen tunisien. Sinon, comment pourra-t-il faire la chorba avec un prix de 17 DT le kilo de viande ou se permettre un plat au poulet qui a dépassé les 5DT le kilo. Côté poisson, les prix sont quasiment inaccessibles. La sardine, par exemple, est proposée à 1, 5 DT le kilo et le macro à 3,6 DT. Pis : il nous a été révélé en coulisse qu’une bonne partie du poisson n’était pas du jour. Tout un chacun se demandera où sont les services d’hygiène et de contrôle des prix. Eh bien, ils n’ont tout simplement pas intérêt à montrer leur nez de peur de provoquer des atmosphères électriques. Croisé au milieu des étals de ce marché, Hakim, 33 ans, sympathique et souriant, nous dira: «C’est vraiment trop cher par rapport à la veille du ramadan et particulièrement au marché central. Pour certains produits, c’est meilleur au Carrefour qu’ici. Les commerçants ne s’arrêtent pas d’arnaquer les acheteurs à chaque ramadan».
Visiblement, le gouvernement joue la carte de l’apaisement tant que la population est encore sous le feu de braise même si cela va de la santé des citoyens. Mais selon les observateurs, l’anarchie qui prévaut actuellement n’aura plus droit de cité une fois que les élections seront passées et qu’un nouveau gouvernement sera installé. L’espoir fait vivre, mais il ne nourrit pas son homme.
A bon entendeur…