L’annonce, faite à l’occasion de la visite en France du président Marzouki, du lancement d’un «groupe d’impulsion économique» afin d’inciter les Français à venir investir en Tunisie, est-elle déjà désuète?
Par Samir Bouzidi
Ironie du sort, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif était le seul membre du gouvernement à assister au discours du président Moncef Marzouki, mercredi dernier, dans l’enceinte de l’Assemblée nationale française. Pour traduire en acte l’appel du président tunisien à soutenir le processus encours en Tunisie, M. Montebourg, dont les attributions visent à relocaliser en France des emplois partis à l’étranger, n’était certainement pas le relais gouvernemental rêvé. Bien au contraire, son ministère devrait très vite se révéler une tare pour la diplomatie économique entre la France et la Tunisie et à posteriori une menace pour les relations économiques entre les deux pays.
Faire des efforts des deux côtés
En cause, l’activisme actuel du jeune ministre autour de la relocalisation des emplois perdus dans le secteur télécoms.
En France, on estime à 25.000 le nombre de «hotliners» (employés service clients, assistance…) délocalisés à l’étranger par les quatre gros opérateurs, principalement au Maroc, Tunisie et Sénégal.
Des milliers d'emplois de jeunes diplômés sont menacés.
Dès juin, M. Montebourg convoque les dirigeants des grands opérateurs avec un message très ferme autour de la relocalisation d’une bonne partie de ces emplois. La téléphonie «est un secteur en croissance mais qui détruit de l’emploi. Peut-être faut-il s’interroger!», avait lancé à leur égard le ministre du Redressement productif.
Les acteurs économiques se sont montrés ouverts à étudier l’opportunité si l’Etat concédait des contreparties réglementaires et économiques. Le nouveau Pdg de Sfr, Stéphane Roussel, a expliqué en ces termes que «tous les sujets sont liés entre eux, le sujet de l’emploi est lié aux sujets économiques. La question des relocalisations est un sujet qui n’a pas de sens tout seul. Si on nous donne les moyens économiques, nous sommes prêts à faire des efforts des deux côtés».
Menace pour des milliers d’emplois en Tunisie
L’idée de faire payer la hotline aux consommateurs fait déjà consensus et nul doute qu’un compromis sera vite trouvé avec à la clé une menace sérieuse pour des milliers d’emplois en Tunisie.
Sur ce dossier, le gouvernement français semble acculé par l’opinion publique et doit, en conséquence, très vite donner des gages de résultat d’autant plus que le combat très médiatisé pour la sauvegarde des emplois dans le groupe Psa (Peugeot-Citroën) qui vient d’annoncer la suppression de 8.000 emplois est d’ores et déjà perdu d’avance.
Même si les relocalisations ne vont pas se faire du jour au lendemain, la tendance devrait être amorcée dès le premier trimestre 2013. La Tunisie risque gros car le secteur des centres d’appels représente 20.000 emplois dont 5.000 pour les seuls opérateurs télécoms. Dans ce pays, le climat social dégradé et la saturation des ressources humaines devraient finir de convaincre les opérateurs installés d’aller voir ailleurs…
Par ailleurs, rien n’interdit d’anticiper une contagion aux hotlines d’autres secteurs (notamment la vente par correspondance) eu égard à la proximité politique de François Pinault (La Redoute…) avec le Parti Socialiste et qui emploie à lui seul (via Teleperformance) plus de 3.000 personnes en Tunisie.
Marzouki et Hollande pour la relance de la coopération économique tuniso-française.
Signe de la crispation actuelle au sud de la Méditerranée, le ministre marocain en charge de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies, Abdelkader Amara, a déclaré il y a peu au journal Les Echos: «J’espère que la France en restera au niveau des souhaits… Au-delà des relations franco-marocaines privilégiées, il faut d’abord voir l’offshoring comme servant la compétitivité des entreprises françaises».
Eviter la casse sociale et relancer les investissements
Début de dénouement la semaine prochaine où il est prévu que les dirigeants des opérateurs télécoms revoient Arnaud Montebourg avec certainement des propositions concrètes à lui soumettre. Côté gouvernement, «le ministre présentera à la rentrée un train de mesures qui permettra d’éviter la casse sociale et de relancer les investissements, de réconcilier l’intérêt des consommateurs et celui des salariés», a d’ores et déjà annoncé Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des Pme, de l’Innovation et de l’Économie numérique.
Arnaud de Montebourg a assisté à l'allocution du président Marzouki devant l'Assemblée française.
Dans ce contexte, l’annonce faite à l’occasion de la visite en France du président Marzouki, du lancement d’un «groupe d’impulsion économique» afin d’inciter les Français à venir investir en Tunisie, semble bien désuète !
Source: Tunisiens du Monde.