Les islamistes, toutes tendances confondues, multiplient les actes d’intimidation visant à faire fermer les bars et les points de vente de boissons alcoolisées dans les supermarchés. Les amateurs de bière et de vin s’inquiètent…
Par Imed Bahri
La vente et la production de bière ont augmenté de près de 20% environ durant le premier semestre 2012 par rapport à la même période de 2011, a annoncé la Société de fabrication des boissons de Tunisie (Sfbt).
«Les quantités de bière vendues ont progressé de 3,52% durant le2e trimestre et de 17% au 1er trimestre», précise la Sfbt. Qui ajoute que la production de bière a également suivi la même tendance, augmentant de 19,53%.
L’annonce a été faite la veille de ramadan, mais ce n’était pas pour énerver les islamistes qui veulent fermer tous les bars de Tunisie!
La parenthèse ramadanesque sera-t-elle fermée?
La Sfbt, qui commercialise depuis les années 1950 la bière de la marque Celtia, la plus populaire en Tunisie, peut se féliciter du fait que l’accession des islamistes au pouvoir ne s’est pas (encore) traduite par une baisse de la consommation des spiritueux. Elle semble même avoir paradoxalement dopée cette consommation, mais le paradoxe n’est qu’apparent. Car cette hausse s’explique aisément. On peut déjà avancer deux raisons: la crainte des buveurs de bière d’être privés bientôt de leur boisson préférée, ou encore la déprime qu’inspire l’activisme de extrémistes religieux et qui incite à boire… pour oublier.
Mohamed Bousbia, qui dirige la Sfbt depuis 1980, déclarait, il y a quelques mois, au site Tunisie Nouvelle (La bière coule à flot dans l’après-Ben Ali) que la révolution a fait beaucoup de bien à son business. «On vend plus de bouteilles que prévu, on est à la limite de nos capacités de production», a-t-il affirmé. «L’année dernière, nous avons produit 1,5 million d’hectolitres de bière, ce qui correspond à 450 millions de bouteilles 33 centilitres», a-t-il ajouté.
Cette tendance s’est poursuivie cette année, puisque, au premier trimestre 2012, la Sfbt a vu ses ventes augmenter de 50% par rapport à 2011, avec un chiffre d’affaires de 21,4 millions de dinars. Pas mal sous le règne d’un pouvoir islamiste, et qui se donne pour mission d’«islamiser» une société tunisienne pas assez musulmane à son goût.
Cette explosion de la consommation de bière, M. Bousbiâ l’explique, pour sa part, par… des mesures gouvernementales. «Ennahdha a donné des primes aux chômeurs, aux étudiants… Ces gens dépensent une partie de cet argent dans l’alcool», a-t-il justifié dans l’entretien cité.
Aussi, pourrait-on prévoir, qu’une fois la parenthèse ramadanesque fermée, la consommation des spiritueux reprendrait de plus belle, à moins qu’un projet de loi interdisant ces produits «haram» (illicites), mais très prisés par les Tunisiens, ne prenne bientôt le chemin de l’Assemblée nationale constituante (Anc) présidée par le très laïc Mustapha Ben Jaâfar, allié très «halal» du parti islamiste Ennahdha.
Ce qui constituerait, on s’en doute, une très mauvaise nouvelle pour la Sfbt, créée en 1925 sous l’appellation la Société frigorifique et brasserie de Tunis. Le mot «brasserie» a, d’ailleurs, été supprimé en juin dernier, et remplacé par «boisson», plus islamiquement correct, à la suite d’une assemblée générale extraordinaire de la société, où le groupe français Castel est actionnaire à hauteur de 49%.
Mohamed Bousbia.-Ph.Nouvelle-Tunisie.
De petite concession en petite concession
Reste à savoir si les Nahdhaouis et leurs alliés «naturels» les salafistes – qui multiplient les actes d’intimidation en direction des bars et des points de vente d’alcool dans les supermarchés pour les contraindre à fermer – vont se contenter de cette petite concession, ou s’ils vont exiger de la société dirigée par M. Bousbiâ quelque autre «geste» susceptible de les encourager… à fermer les yeux.
Les amateurs de bière et de vin se demandent aussi si la compagnie aérienne nationale Tunisair, qui a décidé de ne pas servir les boissons alcoolisées sur ses vols pendant toute la durée de ramadan, ne va pas maintenir cette interdiction en vigueur après le mois saint musulman. Cette inquiétude est d’autant plus légitime que l’argument invoqué par la compagnie pour justifier sa décision, à savoir les plaintes des clients et des membres du personnel que dérange la consommation du vin pendant les vols, risque fort bien de rester d’actualité après l’aïd!
Dans son entretien à Tunisie Nouvelle, cité plus haut, le Pdg de la Sfbt affirmait ne pas se faire trop de souci sur les prétendues intentions du parti islamiste: «Ennahdha ne peut pas supprimer des acquis sociaux. Comme pour la liberté de la femme, le parti ne peut pas revenir en arrière. S’il interdit la vente et la consommation d’alcool, il y aurait un second soulèvement», disait-il.
Pourrait-il tenir aujourd’hui ces mêmes propos? On pourrait sérieusement en douter…