L’industrie tunisienne textile et habillement en perte de vitesse

Les pistes de la relance de l'industrie textile tunisienne sont nombreuses et les chantiers à mettre en œuvre d'autant plus couteux que les retards enregistrés dans toutes les chaînes de valeur sont devenus importants.

Par Maya L.

Considéré comme un des secteurs clés de la croissance économique, le textile & habillement représente le plus important secteur industriel en Tunisie. Il est presque entièrement orienté vers l'exportation. La filière de l'habillement est majoritaire avec 79% des exportations. En 2011, les exportations totales ont atteint la valeur de 2,720 milliards d'euros (5,3055 milliards de dinars tunisiens selon les chiffres du Centre technique de textile, Cettex), dont 95% destinées vers le marché européen. Les deux principaux marchés à l'exportation sont la France et l'Italie avec respectivement 33% et 31% suivis par l'Allemagne (11%), la Belgique (6%), les Pays-Bas (5%) et l'Espagne (3%).

Concentration sur le Grand Tunis, Sousse et Sfax

La Tunisie importe à raison de 80% de sa nécessité en textile (tissu, filature, etc.) des marchés français et italien. Cela s'explique par des raisons liées à la proximité géographique, d'accords de libre-échange et en particulier de relations d'affaires historiques. Par ailleurs, il est à rappeler que ces deux principaux marchés de la Tunisie font face actuellement à une crise économique affectant leurs importations.

Il apparaît clairement que le secteur est de loin le plus important pourvoyeur d'emplois industriels avec près de 200.000 postes. Il est également le premier secteur à avoir mené une politique d'intégration des régions isolées en créant des plateformes de sous-traitants de masse pour le recrutement de la main-d'œuvre locale.

Néanmoins, malgré un plan de développement sectoriel engagé par le gouvernement tunisien, près de 90% des emplois de l'industrie se concentrent dans la région du Grand Tunis et la zone côtière (Sousse et Sfax), ces mêmes régions qui bénéficient traditionnellement des programmes d'appui de l'Etat.

La bonne distribution des capacités le long de la chaîne de valeur de l'industrie est relativement déséquilibrée ce qui explique la forte crise que vit aujourd'hui le secteur.

En plus d'une concentration dans la filière de l'habillement, laissant le textile en deçà de son potentiel, 80% des entreprises sont sous-traitantes et font face à des difficultés diverses qui les empêchent de renforcer leur positionnement dans les marchés à l'exportation.

Faible diversificationet dépendance d'un seul client

Parmi les obstacles constatés, on peut citer :

- la faible diversification du marché: en effet, 95% des exportations sont destinées au marché européen (33% vers la France et 31% vers l'Italie);

- la faible dynamique des marchés traditionnels : dans la période 2010-2011 et en termes de valeur, les exportations vers l'Europe ont augmenté de 4%. Si les dernières données de l'année 2011 traduisent un succès des exportations, une analyse plus approfondie révèle toutefois que l'industrie n'a pas exporté plus d'habillement, mais a tout simplement ajusté les prix en raison de la hausse des coûts des matières premières. Une comparaison entre 2008 et 2011 traduit une chute de 3,6% de la valeur des exportations avec une tendance à la baisse (source : Apii, mai 2012). Cette crise reflète l'essoufflement de l'offre tunisienne et sa difficulté à sauvegarder sa compétitivité;

- la dépendance d'un seul client: de nombreuses entreprises et en particulier les sous-traitants dans les régions intérieures opèrent majoritairement avec un seul client, souvent des donneurs d'ordres européens ou des détaillants. Le cas Benetton en est un parfait exemple, dans la mesure où il joue un rôle principal dans l'emploi régional. Toutefois, cette situation de faible perspective économique est assez risquée pour la pérennité de l'activité économique des entreprises et le maintien de l'emploi solide. Par conséquent, les entreprises ont besoin de diversifier leur clientèle;

- la concentration sur des fournisseurs de tissus à prix élevé: la Tunisie importe environ 80% de la quantité totale en fournitures et tissus. Elle reste largement dépendante des marchés internationaux pour son approvisionnement, en dépit du succès assez relatif de la politique d'attraction d'investisseurs textiles internationaux. En 2011, près de 80% du tissu et des garnitures de finition provenaient de l'Europe, notamment de l'Italie (27%) et de la France (20%). Seulement environ 8% provenaient de la Turquie et 6% de la Chine;

- le faible taux de valeur ajoutée, la majorité des entreprises demeurant encore dans le domaine de la sous-traitance: depuis quelques années, le taux de valeur ajoutée stagne malgré la mise en œuvre d'une politique favorable de mutation de la sous-traitance vers la co-traitance et le produit fini. A défaut d'une solide stratégie de développement, les entreprises risquent de perdre leur part de marché et mettre en péril les emplois actuels. Cela pourrait avoir de facto un impact négatif sur les réalisations récentes du processus démocratique et accentuer donc les conflits sociaux;

- la faible adaptabilité pour répondre aux exigences des clients: les clients européens sont de plus en plus enclin à la recherche de fournisseurs qui non seulement sont en mesure de réduire le temps de la confection (coûts directs), mais aussi les délais de production et l'ensemble du cycle de produit.

Cependant, dans l'état actuel, les entreprises tunisiennes ne peuvent répondre à ces critères. L'industrie de l'habillement en Tunisie a été créée et est toujours fondée sur de faibles coûts directs, qui se manifestent dans la structure sous-jacente de la sous-traitance. Toutefois, l'industrie mondiale du vêtement et ses clients ont évolué vers une approche «Full-value cost», où les coûts de production directs dans le pays de production ne sont qu'un petit élément du coût global;

- les faibles compétences en management et en marketing international (partenariat public/privé encore insuffisant) : globalement, il semble exister une faible cohérence entre les différentes institutions, ce qui conduit à une duplication des efforts et à un chevauchement des rôles. Cette absence de cohérence est particulièrement visible dans le domaine de l'information avec plusieurs sites web, plusieurs sources de bases de données et, finalement, aucun dispositif complet qui réponde de manière satisfaisante aux besoins des entreprises. En outre, l'offre de service d'appui institutionnel n'est toujours pas claire et de nombreuses entreprises (en particulier dans les régions) ont du mal à saisir la nature des services offerts par chacune des institutions.

Comme on le voit, les pistes de la relance de l'industrie textile tunisienne sont nombreuses et les chantiers à mettre en œuvre d'autant plus importants et couteux que les retards enregistrés dans pratiquement toutes les chaînes de valeur sont devenus des handicaps majeurs et menacent la pérennité même de la filière.