L’économie tunisienne à l’ère des incertitudes

La hausse du chômage, l'accentuation des troubles sociaux et l'islamisation croissante de l'État pourraient avoir un impact négatif sur les performances économiques du pays à l'horizon 2016.

Par Maya L.

 Selon le dernier rapport de l'Economist Intelligence Unit (Eiu), concernant l'évolution du contexte économique tunisien et les prévisions à l'horizon 2016, l'insatisfaction de la population sur le plan économique et social par rapport à l'accroissement des difficultés quotidiennes posera un sérieux problème au gouvernement qui n'a entre autres proposé aucune mesure significative pour juguler les contraintes qui pèsent sur le quotidien des Tunisiens.

L'impact négatif du climat d'incertitude

En effet, les experts de l'Eiu pointent du doigt la baisse tendancielle du niveau de vie à travers la baisse du pouvoir d'achat des ménages, notamment celui de la classe moyenne, la hausse du chômage, en particulier celui des jeunes diplômés qui atteindra la barre des 34% vers 2014 (source: Observatoire de la conjoncture économique/Ins) contre 14,6% en 2005 et 23,3% en 2010, l'accentuation des troubles sociaux et l'islamisation croissante de l'État. Ainsi, force est de constater le malaise ressenti par une grande partie de la population, y compris parmi ceux ayant voté pour le parti islamiste, qu'ils estiment avoir trahi les idéaux de la révolution. Toujours selon l'Eiu, la situation restera incertaine jusqu'à ce qu'une nouvelle constitution soit adoptée et un gouvernement élu démocratiquement pour lancer les réformes structurelles nécessaires.

Siège de l'Utica- L'investissement privé reste en état d'attente

Siège de l'Utica- L'investissement privé reste en état d'attente.

Le gouvernement islamiste actuel a publié un plan de grande envergure qui couvre tous les domaines, de la réforme des institutions à la construction d'une «société civile, démocratique et équilibrée». Cependant, il a été critiqué par les partis de l'opposition, qui considère ce plan comme une série d'aspirations plutôt que d'une stratégie claire, réaliste et pragmatique.

De plus, notons que le plan de développement quinquennal (2012-16) vise une croissance moyenne du Pib de l'ordre de 6,3% par an au cours des 5 prochaines années, un objectif totalement farfelu et inatteignable, qui doit être clairement revu à la baisse étant donné la persistance de la crise économique, qui sévit de manière très aiguë dans la zone euro, affectant ainsi les principaux pays partenaires de la Tunisie à savoir la France, l'Italie, l'Espagne et dans une moindre mesure l'Allemagne.

Par ailleurs, l'éventualité croissante de nouvelles manifestations courant l'année 2013, liée entre autres à l'incertitude quant à l'annonce officielle du calendrier électoral, pourrait nuire gravement à l'investissement, qu'il soit domestique ou étranger. Cela va inévitablement ralentir la reprise économique nécessaire pour réduire le chômage et pour redynamiser l'économie.

Le tourisme tarde à revenir à son rythme de croisière

Le tourisme tarde à revenir à son rythme de croisière.

Le creusement du déficit budgétaire

Selon l'Eiu, le gouvernement continuera à subventionner les produits alimentaires de base ainsi que ceux de l'énergie dans le but de minimiser la détérioration du pouvoir d'achat des ménages et ainsi se prémunir d'un éventuel mécontentement, surtout courant l'année électorale de 2013.

Les recettes proviendront de la hausse des retenus et des impositions sur les sociétés, notamment celles qui avaient un lien direct ou indirect avec l'entourage du président déchu et qui étaient totalement exonérées, ainsi que par les revenus des privatisations d'entreprises publiques, considérées comme non rentables et les ventes de licences.

Le gouvernement sera également tenté de réduire la facture des subventions, ainsi que les indemnisations et les transferts sociaux.

Tout cela implique que bien que le déficit budgétaire restera important durant la première partie de la période de prévision, il commencera à diminuer à l'horizon 2016.

La croissance prévue ne permettra pas de résorber le chômage surtout des diplômés

La croissance prévue ne permettra pas de résorber le chômage surtout des diplômés

Incertitude sur la politique monétaire

Les tensions qui existent entre la Banque centrale de Tunisie (la BCT) et le gouvernement en raison de désaccords profonds quant à la nature de la politique monétaire qui devra être adoptée (restrictive ou expansionniste, c'est-à-dire lutter contre l'inflation ou bien contre le chômage) ont soulevé des préoccupations au sujet de l'indépendance même de la banque centrale.

Bien qu'il existe des inquiétudes dans l'entourage de l'actuel gouverneur, Chedly Ayari, dues entre autres à la pression exercée par le gouvernement, cela finira par annuler les efforts pour combattre efficacement les tensions inflationnistes, pensant ainsi relancer la croissance économique par une politique de seigneuriage. Ces craintes n'ont pas encore été confirmées. En effet, la Bct a augmenté dernièrement son taux d'intérêt directeur peu de temps après que M. Ayari a pris ses fonctions comme gouverneur. Néanmoins, l'incertitude sur la politique monétaire devrait se poursuivre durant toute l'année 2013.

Les prévisions de croissance revues à la baisse

L'Eiu a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour la Tunisie, en raison des troubles sociaux ainsi que les mauvaises perspectives dans la zone euro. La croissance du Pib est désormais estimée à 3,1% pour 2013 (contre 3,5% dans le précédent rapport) et 3,6% pour 2014 (contre 4,2% dans les prévisions antérieurs).

Ces niveaux sont bien en-dessous des prévisions de croissance de 6% annoncées par le gouvernement, indispensables pour mettre en œuvre ses réformes, ce qui, en soi, risquerait d'exacerber davantage le ressentiment de la population quant à la compétence réelle du gouvernement Hamadi Jebali en matière de gestion économique de la Tunisie post révolution.

L'incertitude quant à la politique monétaire est susceptible de maintenir le niveau général des prix assez élevé durant 2013. Ajouté à cela l'augmentation probable des prix des hydrocarbures, due entre autres aux tensions actuelles entre la communauté internationale et l'Iran.

L'impact des déficits commerciaux et des revenus sur le compte courant sera en partie compensé par un excédent provenant du secteur des services, le nombre de touristes ayant visité la Tunisie a augmenté en 2012 par rapport à la période post-révolution, mais les prévisions pour 2013-14 sont plus pessimistes étant donné le préjudice causé à la réputation de l'image de la Tunisie comme une destination paisible, notamment lors de l'attaque menée contre l'ambassade américaine et la multiplication des violences attribuées aux mouvances salafistes et autres extrémistes religieux.