Des experts estiment que la Tunisie gagnerait à s’engager plus fermement dans la réduction des subventions au carburant, pour dégager des ressources fiscales utilisables dans le financement des services publics de première importance.
En Tunisie, l’Etat prend en charge une portion du prix des carburants à la consommation pour mettre ces prix à la portée du pouvoir d’achat des citoyens.
Le prix du gaz naturel, par exemple, est subventionné à hauteur de 100%: la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg) achète la tonne de gaz à 500 dinars (DT) pour la revendre à 250 DT seulement. Le gasoil, dont le prix réel s’établit à 1,140 DT, est subventionné à hauteur de 0,180 DT, de manière à aboutir à un prix public de 0,960 DT. Le pétrole domestique, vendu à 0,760 DT le litre, est subventionné à hauteur de 0,412 dinars, alors que son prix réel s’élève à 1,172 DT. La bouteille du gaz (Gpl) est vendue à 7,5 DT pour un prix réel d’environ 16,5 DT: l’Etat la subventionne donc à hauteur de 9 DT.
462 millions DT de subventions en 2010
Concernant l’électricité, son prix réel est établi à 0,163 DT le Kw alors qu’il est vendu au public à 0,118 dinars. L’Etat a ainsi subventionné la Steg, le distributeur national de l’électricité, avec un montant de 353 millions DT en 2009 et prévoit une subvention de 462 millions DT en 2010.
Conséquence de cet effort: dans un pays qui commence à faire face à un déficit énergétique croissant, le déficit budgétaire ne cesse de s’accroître lui aussi. Le budget de l’Etat, qui était proche de l’équilibre en 2008, s’est détérioré de près de 3 points de Pib en 2009. Le pays continue pourtant de consacrer une part de ses dépenses publiques aux subventions à la consommation, notamment celle du carburant, limitant ainsi l’investissement dans d’autres services publics de première importance, comme l’emploi, la santé, l’éducation et la protection sociale, dont la demande ne cesse de croître.
Cette politique pourra-t-elle être poursuivie plus longtemps au risque de grever davantage les équilibres budgétaires du pays? L’économie tunisienne est certes parvenue à croître en pleine crise mondiale, mais l’augmentation du prix du pétrole au cours de l’année 2010 et la contraction des marges de manœuvre fiscales sont de nature à remettre sur la table la question de la réduction voire de l’annulation des subventions au carburant, surtout que cette subvention bénéficie en grande partie aux riches.
Des subventions qui profitent aux riches
Selon Lahcen Achy, économiste au Carnegie Middle East Center (Beyrouth, Liban), les subventions du carburant, bien qu’elles soient politiquement populaires, n’en posent pas moins trois problèmes. «Les différentes études disponibles révèlent que les subventions universelles (non-ciblées) de carburant profitent davantage aux riches qu’aux pauvres», explique-t-il dans ‘‘Affaires stratégiques’’. Deuxième problème, selon l’économiste: «En abaissant artificiellement les prix du pétrole, les subventions favorisent l’usage de technologies intensives en carburant et conduisent à un comportement de surconsommation». Troisième problème: «Les subventions au carburant étant dépendantes du prix mondial du pétrole, leur charge dans le budget de l’État est fortement volatile.» Ainsi, lors de la chute du prix du pétrole en 2009, les dépenses en subventions se sont contractées, mais avec la reprise de la croissance globale, le prix du pétrole brut ont rebondi, augmentant le prix moyen du pétrole, qui est passé, au cours des cinq premiers mois de 2010 à environ 80 dollars par baril, contre «seulement» 62 dollars en 2009.
L’Etat tunisien, dans le cadre de la réforme de la Caisse générale de compensation (Cgc), a mis en place, dès janvier 2009, un mécanisme de détermination des produits pétrolier consistant à indexer partiellement les prix locaux des produits pétroliers sur ceux du marché mondial. Il est parvenu ainsi à diminuer l’ampleur de ses subventions à ce secteur. Ces subventions ont d’ailleurs baissé de 12% entre 2005 et 2009. Cette baisse a aussi été obtenue grâce à la poursuite des campagnes de sensibilisation dans le domaine de la maîtrise de l’énergie.
Mieux cibler les transferts et subventions
Les résultats obtenus sont certes encourageants, mais beaucoup d’experts estiment que la Tunisie doit aller plus en avant dans la réforme de son système de subvention au carburant, dont la charge fiscale est devenue très encombrante.
Dans les «conclusions préliminaires» de sa mission de consultation en Tunisie du 2 au 15 juin, le Fonds monétaire international (Fmi) souligne d’ailleurs que «la baisse relative des subventions aux produits de base et carburants» devrait être une «autre composante essentielle de la consolidation budgétaire à moyen terme». «Les autorités ont l’intention de limiter l’enveloppe totale annuelle des subventions à 1.500 millions DT par année (caisse de compensation, carburants et transports), afin que sa part dans le Pib décroisse progressivement», ajoute la mission, qui apporte son appui à cette initiative et «encourage les autorités à poursuivre leurs efforts visant à mieux cibler les transferts et subventions vers les couches les plus vulnérables de la population.»
Imed Bahri