Malgré les crises et les conflits qui l'ont traversée depuis la révolution, la centrale patronale a su surmonter les obstacles et vaincre les adversités pour renaître et retrouver son unité perdue.
Par Moncef Chtourou
Il y a deux ans, la centrale patronale a été ébranlée par les évènements qui ont suivi le 14 janvier 2011. Hédi Djilani, son président depuis 1987, a été contraint de démissionner pour les raisons qu'on connait. S'en est suivi des péripéties rocambolesques qui ont failli emporter l'Utica: crise du personnel, problème de budget, attaques des mouvements Renouveau de l'Utica et Sauvons l'Utica, démission de Hamadi Ben Sedrine de la présidence par intérim, tentative d'exploitation de la centrale à des fins électorales, etc...
Après la démission de M. Ben Sedrine, Wided Bouchamaoui a pris le flambeau. Une quasi-inconnue dans les rouages de la centrale. Maîtrisarde en marketing de l'ISG Tunis en 1984, elle a crée 1989 sa société Maille fil, membre du bureau exécutif de l'Union régionale de Ariana en 2001, elle a accédé en 2006 au sacro saint bureau exécutif national de l'Utica et a pu conduire avec brillance et détermination la centrale jusqu'au congrès.
Hamadi Jebali et plusieurs membres du gouvernement ont assisté à l'ouverture du congrès.
Réforme des statuts
Le congrès s'est passé en deux étapes : un congrès extraordinaire en décembre qui a changé du tout au tout et définitivement le visage de l'Utica. Il a porté sur le vote par les congressistes au nombre de 2.300 sur le nouveau statut de l'organisation, jugé révolutionnaire. L'Utica allait vivre désormais au rythme des élections libres, transparentes et démocratiques de son histoire avec, bien sûr, le lot inévitable d'agitations, conflits d'intérêts et crises internes.
Les récalcitrants à la réforme du statut redoutaient surtout que les unions régionales dans les gouvernorats prendraient plus d'importance et entreraient – de facto – dans la composition du bureau exécutif. Jadis, les unions régionales étaient les relais indispensables de la centrale dans les régions mais ne représentaient que la courroie de transmission des décisions prises à Tunis. Les nouveaux statuts leur permettent d'entrer au bureau exécutif de la centrale et leur réservent même cinq sièges. De même pour les présidents des fédérations nationales qui avaient droit à cinq sièges aussi. Du coup, la composition du bureau exécutif national passe de 21 à 31 membres.
Autre changement majeur, dans la composition du conseil national de l'organisation cette fois. En effet, outre les présidents des unions régionales qui ont toujours fait partie dudit conseil, les unions régionales ont milité pour l'intégration dans ce conseil des présidents des conseils sectoriels régionaux au nombre de cinq: conseil sectoriel de l'industrie, commerce, artisanat, service, professions et métiers; ce qui conférait en total 6 sièges au conseil national pour chaque gouvernorat au lieu d'un siège unique. Résultat de ce changement : les unions régionales étaient représentées par un total de 144 sièges au lieu de 24. Ceci a pour avantage de faire basculer le processus de prise de décision au sein du conseil national et de faire contrepoids, au profit des régions, de tout projet et de toute décision. Dans la foulée, il limitait sensiblement l'accaparation du pouvoir décisionnel par les «centraux».
Les opposants farouches à ces mesures voulaient garder le statu-quo et ne voulaient pas entendre parler d'un président d'union régionale dans la composition du bureau exécutif national et encore moins de 144 délégués des régions dans la composition du conseil national.
A cet effet, sept projets de statut étaient présentés. Les récalcitrants au remodelage ont fait tomber les projets l'un après l'autre mais la volonté de changer était plus forte. Il faut dire que les congressistes dans les régions ont été plus forts et plus nombreux. Finalement, le nouveau statut a été adopté non sans difficultés, intrigues, coup bas, arrière-pensées et petits arrangements entres amis...
Régionalisation contre centralisation, petits métiers contre grands industriels?
Dixit les non-dits, c'est la première fois que les congressistes s'expriment en toute franchise. Avant la révolution, tout était bien, tout allait à merveille, la providence présidentielle veillait sur tous.
Les allocutions des congressistes ont été, en effet, sincères, poignantes et incisives...
Ce sont les artisans et les petits métiers qui se sont fait remarquer le plus pendant les travaux du congrès. Leurs remarques et requêtes ont été vives et crues frôlant parfois l'insolence. Il faut dire que l'exaspération des petits métiers et des artisans ainsi que des congressistes dans les régions était à son paroxysme du fait qu'ils se sont sentis abandonnés depuis toujours. Abandon et oubli, nonchalance et méprise dit-on dans les couloirs et sur le pupitre. «L'Utica ne fait rien pour nous»; «ce sont les grands qui commandent»; «les unions régionales n'ont pas de réelle emprise»; «il faudrait que cette situation change»...
Les intervenants ont eu, tout de même, des escarmouches et quelques échauffourées avec ce qu'ils ont appelé «les grands» ou «les centraux».
Liste ennemies et tentative d'infiltration d'Ennahdha
Le congrès n'a pas échappé, comme un peu partout ailleurs, à la tentative d'infiltration d'Ennahdha. Quelques hommes d'affaires nahdhaouies ont distribué aux congressistes et sous le manteau une liste de leur parti à élire. Les Nahdhaouis n'ont eu aucun scrupule, allant même jusqu'à tenter de faire tomber leurs collègues des bureaux exécutifs régionaux qui se sont présenté aux élections. Une première ! Jamais de l'histoire de l'Utica un membre d'un bureau exécutif régional n'est allé à l'encontre d'un collègue du même bureau.
En outre, les protagonistes nahdhaouies ont tout fait pour semer la discorde entre le camp Bouchamaoui et celui de Ben Sedrine depuis des semaines. Leur tactique : laisser les deux équipes se détruire et s'entretuer mutuellement pour émerger sur la scène et rafler le maximum de siège et pourquoi pas la totalité.
Le stratagème a été découvert à la veille du congrès national. Ben Sedrine et Bouchamaoui se sont mis d'accord pour laisser tomber leurs discordes dans une abnégation admirable et de s'unir le jour du congrès en faisant les sacrifices nécessaires. Le mot d'ordre: la liste nahdhaouies ne passera pas coûte-que-coûte. Et ça a marché.
Les politiques toujours au rendez-vous
A ce congrès, la présence ministérielle était remarquable. Hamadi Jebali a ouvert les travaux du congrès. Avec le chef du gouvernement provisoire étaient présents Abdelkrim Harouni, ministre des Transports, Khalil Zaouia, ministre des Affaires sociales, Amine Chakhari, ministre de l'Industrie, Ridha Saidi, ministre délégué chargé des Dossiers économiques et Houssine Jaziri secrétaire d'Etat à l'Emigration et aux Tunisiens à l'étranger, sans oublier la présence de Houcine Abassi secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt, centrale syndicale). Cela traduit, sans aucun doute, l'importance qu'a l'Utica sur le plan national. Comme un Phénix, la centrale a su renaître après les problèmes et conflits qu'elle a connus.