La Tunisie dispose d’une bande côtière de 1.300 km, dont une bonne partie est menacée par l’érosion marine. Les hôteliers, qui sont les plus importants consommateurs de côtes, s’interrogent sur la viabilité des moyens techniques préconisés pour faire face à ce phénomène.
La société Intermarine a organisé, le 6 octobre, à l’hôtel Yadis Djerba, en collaboration avec la Fédération régionale de l’hôtellerie de Djerba-Zarzis, une rencontre scientifique sur «l’érosion marine dans l’île de Djerba: causes, conséquences et moyens de lutte».
Des experts internationaux ont présenté des exposés sur les causes de l’érosion des plages (élévation du niveau de la mer causée par le réchauffement climatique, marais, vents, tempêtes, excroissance urbaine…), les solutions techniques permettant d’y faire face (construction de digues, d’épis et de brise-lames, rechargement en sable, mise en place d’obstacles sous-marins…) et l’état des solutions innovantes élaborées dans ce domaine à travers le monde.
Des plages en perdition
La discussion qui a suivi les exposés a permis aux responsables, hôteliers et experts présents de brosser un tableau – plutôt inquiétant – de l’état de dégradation des côtes en Tunisie, de déplorer les effets négatifs de certains ouvrages érigés au cours des dix dernières années, notamment sur l’île des Lotophages, et de souligner le rôle joué (ou devant être joué) par l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (Apal) dans la mise en œuvre du programme national de protection contre l’érosion côtière.
«On a organisé ce séminaire dans le but de sensibiliser l’administration et les hôteliers sur la gravité du phénomène de l’érosion des plages et sur les moyens d’y faire face efficacement. On voulait aussi mettre en confiance les promoteurs touristiques qui sont disposés à dépenser de l’argent dans des ouvrages destinés à protéger leur plage, mais qui demandent à être rassurés que leurs investissements ne seront pas perdus», explique Anis Lahouel. Le directeur général d’Intermarine, entreprise spécialisée dans les travaux maritimes et la construction et la maintenance des infrastructures portuaires, ajoute : «J’ai invité des experts internationaux pour parler de ce problème, parce que j’ai remarqué que les Tunisiens rechignent à lancer des études. Celles disponibles sont datées et donc dépassées, et l’expérience que nous avons capitalisée dans ce domaine est assez fragmentaire.»
Visite des ouvrages réalisés à Djerba-Aghir
Pourquoi les opérateurs tunisiens rechignent-ils à lancer des études sur un phénomène qui affecte pourtant une bonne partie de leurs plages? En réalité, les hôteliers sont à la fois inquiets et sceptiques. Certains, craignant que leur investissement n’aboutisse pas aux résultats escomptés, posent des questions auxquelles les experts n’ont pas toujours de réponses. «Leur scepticisme est souvent justifié par l’échec de certains ouvrages réalisés sans études préalables ou sur la base d’études insuffisantes», admet M. Lahouel. Qui s’empresse d’ajouter: «Les hôteliers doivent aussi comprendre qu’avec la mer et la nature en général, il est toujours très difficile d’obtenir des résultats 100% probants».
Les visites sur sites, dans la zone d’Aghir (sud-est de l’île), où des aménagements ont été mis en œuvre, par Intermarine et d’autres opérateurs, pour lutter contre l’érosion marine, notamment au niveau des hôtels Djerba Paradise, Aladin, Palm Azur, Sidi Slim, tous approuvés par l’Apal, ont permis aux participants de discuter avec les hôteliers sur les bénéfices tirés de ces aménagements, leur durabilité et les (rares) nuisances qu’elles ont pu provoquer. Il a été en effet constaté que certains aménagements, qui permettaient à la plage d’un hôtel de gagner en superficie et en profondeur, provoquaient parfois des dégradations un peu plus loin sur la côte.
Mettre en cohérence tous les projets
Ces situations, parfois incontrôlables ou que les études d’impact ne prévoient pas forcément, créent des dissensions parmi les hôteliers. Ce qui, bien sûr, ne facilite pas la tâche des responsables, qui sont amenés à faire des arbitrages difficiles. D’où, d’ailleurs, la nécessité, souligné par Jean-Marc Sornin, consultant international en géologie marine et Pdg de Creocean, cabinet de services et conseil en environnement littoral et marin, d’étudier le phénomène de l’érosion dans ce qu’il appelle une «cellule hydro-sédimentaire», c’est-à-dire une zone du littoral qui peut être constituée de deux ou trois plages ou toute une baie, et qui a un fonctionnement cohérent et homogène. «Une fois compris les processus naturels (vagues, marais, vent…), qui sont souvent amplifiés par des facteurs humains, on procède à l’étude de toute la zone afin d’identifier les meilleures réaménagements et travaux susceptibles de protéger les plages menacés», explique-t-il. En d’autres termes: en intervenant sur une zone importante, en y mettant les moyens publics et privés adéquats, on évite les aménagements parcellaires, au niveau d’une plage d’hôtel ou d’un port, et qui pourraient avoir des nuisances sur d’autres parties de la côte.
C’est pourquoi l’intervention d’un organisme public fédérateur comme l’Apal se révèle vraiment nécessaire pour mettre en cohérence tous les projets et éviter qu’ils doublonnent ou se neutralisent, sans pour autant parvenir à régler le problème initial, la dégradation de la côte.
L’organisateur de la rencontre de Djerba, qui se félicite du niveau atteint par les débats et de l’utilité des contacts établis entre les professionnels du tourisme, les experts et les responsables ne manque cependant pas d’exprimer un regret. «Nous avons invité toutes les parties concernées. Les ministères du Tourisme et de l’Equipement se sont fait représenter. Ainsi que la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (Fth), les autorités locales et les hôteliers. Seul finalement l’Apal, la première entité officielle concernée et qui dépend du ministère de l’Environnement, n’a pas daigné répondre à l’invitation. Cela reste un point noir pour nous», déplore-t-il.
R. K.
A suivre :
SOS, plages en dangers ! (2/3)
Le programme national de protection du littoral (3/3)