Deux idées présentées par le Président Ben Ali dans son allocution au Sommet arabe de Syrte (Libye), samedi 9 septembre, peuvent paraître évidentes et allant de soi. Elles gagneraient cependant à être mise en œuvre sans plus tarder par les Etats arabes. Ridha Kéfi
Les deux idées en question concernent: 1- la dynamisation du dispositif de l’action économique arabe commune, de manière à conforter la progression de la région vers la complémentarité et l’intégration et à accroître la compétitivité du groupement arabe vis-à-vis des différents ensembles économiques régionaux ; et 2- l’évolution graduellement vers une totale liberté de circulation des biens, services et des investissements dans l’aire arabe.
Faiblesse des échanges interarabes
Les deux propositions du Président de la République visent à transcender les différends politiques et les difficultés de voisinage pouvant marquer les relations bilatérales entre les pays arabes et à renforcer la coopération économique et la libre circulation des opérateurs et des produits à travers les frontières. Ces frontières, aujourd’hui très étanches, à cause de l’imposition de règlements stricts, empêchent le renforcement des flux des échanges dans tous les domaines.
En 2009, le volume des échanges commerciaux entre les pays arabes a atteint 70 milliards de dollars soit «seulement» 5,9% du volume du commerce arabe avec le monde extérieur.
Quand on considère la faiblesse des échanges interarabes en général, et même entre les pays arabes voisins, au Maghreb par exemple où le manque d’intégration économique coûte aux peuples de la région près de 2 points de croissance annuelle, on saisit la portée quasi-révolutionnaire de la proposition du Chef de l’Etat.
Le mot «révolutionnaire» peut même paraître faible eu égard au fait qu’entre certains pays arabes, les frontières sont même aujourd’hui officiellement fermées (par exemple entre l’Algérie et le Maroc, ou encore, sur un autre registre, entre l’Egypte et l’enclave palestinienne de Gaza), sans parler des fermetures décidées occasionnellement, à la hâte et sur un coup de tête, à la faveur d’une brusque montée des tensions politiques.
Le fait que la contrebande frontalière et le commerce parallèle soient parmi les activités les plus florissantes dans la région – on estime à 20% la part de ces activités dans les économies des pays – est un indicateur fort des dysfonctionnements que la gestion actuelle des frontières induit dans les économies de la région.
Les récents affrontements à Ras Jedir et Ben Guerdane, à la frontière entre la Tunisie et la Libye, qui ont opposé les forces de l’ordre aux populations vivant de la contrebande des produits subventionnés dans les deux pays, pour ne citer que cet exemple dont se souviennent les Tunisiens et les Libyens, donnent plus de force aux propositions du Chef de l’Etat. Encore faut-il qu’elles soient entendues, traduites en décisions et, surtout, mises en pratique. Car il ne s’agit pas de prendre des décisions ou de faire des recommandations qui restent lettres mortes, comme c’est souvent le cas lors des sommets des chefs d’Etats arabes, mais de mettre ces décisions et recommandations à exécution.
Vers une totale liberté de circulation
C’est dans cet esprit que le Président de la république, tout en soulignant «les défis et enjeux inhérents aux soubresauts de l’ordre économique mondial et dont les effets négatifs continuent de sévir dans bien des régions du monde», a exhorté ses homologues à «faire en sorte que soit assuré le suivi de la mise en œuvre des résolutions issues du Sommet arabe économique, social et de développement, tenu en janvier 2009, au Koweït frère, notamment, pour ce qui est de consolider les infrastructures reliant les pays arabes les uns aux autres, de garantir les échanges entre eux, d’activer l’initiative relative au financement des petits et moyens projets du secteur privé et d’évoluer graduellement vers une totale liberté de circulation des biens, services et investissements dans l’aire arabe.»
Tout en s’inscrivant dans le droit fil des options libérales de la Tunisie, cet appel à l’ouverture «progressive» des frontières doit nécessairement concerner, ne fut-ce qu’à terme, la libre circulation… des hommes. Car il n’y a de progrès que ceux induits par les hommes et qui visent à satisfaire leurs besoins et aspirations. La liberté de mouvement étant l’une des plus importantes pour l’épanouissement des hommes et la réalisation de leurs potentiels de création.
De même, quand on exige de nos partenaires étrangers, notamment européens, le respect de la liberté de mouvements inscrites dans les conventions internationales relatives aux droits de l’homme, on doit être en mesure de la respecter nous-mêmes au niveau de nos pays. Ce qui est loin d’être encore le cas, sachant l’imposition systématique des visas aux ressortissants arabes désirant se rendre d’un pays à l’autre de la région. Une réalité qui, plus de soixante ans après la création de la Ligue des Etats arabes, démontre le cuisant échec de cette institution…