Tunisie Couffin de la ménagère

Courir encore derrière des fauteuils ministériels... alors que le couffin de la ménagère est aux ¾ vides, et que la création d'emplois est pratiquement nulle dans des régions déshéritées... déshonore nos dirigeants politiques.

Par Malek Ben Salah*

 

Dans le contexte malheureux que vit la Tunisie, le citoyen moyen plie de plus en plus l'échine sous le poids de la cherté de la vie, du chômage, des suites d'une absence de vision de développement et de durabilité... et, de discussions à n'en plus finir entre des politiciens qui n'ont pas compris à quelle faillite ils ont mené le citoyen et le pays. Courir encore derrière des fauteuils qu'ils n'avaient pas su remplir quand ils y étaient ou parler de gouvernement de salut national... alors qu'aujourd'hui, il n'y a pas de salut national avec un couffin de la ménagère aux ¾ vides, ou une création d'emplois pratiquement nulle dans des régions où aucune initiative n'est prise dans ce sens; en attendant d'hypothétiques élections... que nos constituants repoussent autant que se peut, satisfaits qu'ils sont des salaires royaux qu'ils se sont votés et, fatalement, des couffins bien garnis qu'ils permettent.

Pour ne pas recourir à l'étranger pour manger

Suffit-il donc à ces politiques de dire aujourd'hui qu'ils veulent bien de quelques technocrates ou non... moyennant quoi on institue un gouvernement d'expédition des affaires ou de salut national, mais cela suffira-t-il pour remplir des ventres qui crient famine...; pour prendre des initiatives adaptées aux contraintes afférentes à chaque secteur pour y créer des emplois et donner à quelques uns un petit ballon d'oxygène...; pour pouvoir classer et financer ces initiatives selon les urgences et les opportunités qu'ils vont s'ingénier à concevoir....

Aujourd'hui, et rien que lutter contre la cherté de la vie, pour pouvoir remplir ce couffin de la ménagère, il faut prendre les décisions adéquates pour qu'au Ramadan, qui est à nos portes, pour qu'à l'été prochain, il y ait une production minimale suffisante de fruits, de légumes, de viande ou de lait..., et qu'on ne soit pas réduit encore à recourir à l'étranger pour manger à coups de crédits, et que d'ailleurs, nos réserves en devises ne pourront plus couvrir.

C'est à cela qu'il faut songer; que, même en l'absence d'un gouvernement, c'est aux technocrates de l'administration, et aux grands penseurs de la recherche et de l'université de devoir réfléchir et décider sans attendre que les politiques s'entendent entre eux; car se sont ces décisions qui permettront ou pas à l'agriculteur d'offrir au peuple ces produits à des coûts accessibles... que la ménagère puisse remplir son couffin qui devient, chaque jour, plus hypothétique! Et, encore sans oublier qu'on vit une Révolution, qu'il y a des gens qui ont faim, que des régions entières du pays attendent un développement qui, au comble de l'incompétence, tardera à venir. Régions qui ne produisent plus grand-chose; où les lourdes charges que supportent les agriculteurs ne leur permettent plus de s'adonner à ce métier..., et, que faute de décisions traduites en monnaie sonnante et trébuchantes et faute de production, les prix continueront à grimper, et que faute de création d'emplois dans ces régions le pouvoir d'achat continuera à s'élimer et le pays à se saborder... Le cercle infernal ne faisant que s'amplifier avant l'été ; alors que déjà, on devra passer à préparer, autrement, la campagne de l'année prochaine, si Dieu le veut bien!

Des gisements de production et d'emplois dans l'oubliette

Pour ne parler que du couffin et d'agriculture, que devront préparer ces technocrates si jamais ils le voudront bien. Pour ce, doit-on rappeler que le budget tunisien qui a englouti des milliards de dinars en barrages et périmètres irrigués durant les 50 dernières années n'a permis qu'une maigre évolution de la production et une rentabilisation de ces périmètres sans aucun rapport avec les investissements effectués.

Devrons-nous, aujourd'hui, continuer à laisser ces gisements d'eau (barrages et périmètres irrigués) livrés à leur propre sort à l'infini, alors qu'avec un peu de bonne volonté on peut en faire des gisements de production et d'emplois, au moins pour l'instant? Ils couvriraient aujourd'hui quelques 475.000 ha d'après la Fao. Le moment n'est-il pas propice pour les ministères de l'Agriculture, du Développement régional, avec leurs agronomes et zootechniciens, pour assister les agriculteurs à faire fructifier ces investissements colossaux et mettre en culture immédiatement la totalité de ces superficies dont l'exploitation n'atteint pas les 50%. Ce qui demande beaucoup d'argent, bien entendu; mais que ces messieurs-dames se doivent de mobiliser, convaincus qu'ils devraient être qu'il n'y a pas d'autre alternative pour sortir «au moins la bouffe du citoyen» de l'impasse; qu'il y ait ou non un gouvernement, sachant bien que l'importation ne fera qu'aggraver le problème!

Un budget 2013 qui ne répond nullement à la conjoncture

Curieusement, l'impression que donne le budget réservé au ministère de l'Agriculture ne forme qu'une continuation du «surplace» du passé... par une orientation entêtée vers la création de barrages et de périmètres irrigués... alors que les services qui l'ont préparé savent bien que toute l'infrastructure hydraulique existante est si peu et si mal utilisée... et que de grandes quantités d'eau des barrages s'écoulent encore vers la mer alors qu'il y a «une demande immédiate de nourriture d'un citoyen qui s'est révolté pour cette raison même», et qu'une mise en production est créatrice d'emplois... en attendant les réformes d'une politique agricole qui mériterait ce nom.

La bonne intention du ministère ne peut être concrétisée par des programmations sur le papier ou des conseils en l'air à donner aux agriculteurs... mais devant se traduire par l'impulsion financière qui sera donnée à l'agriculteur et son concours réel à réaliser l'objectif.

En conséquence le budget 2013, déjà inadapté à la conjoncture au départ, approuvé hâtivement par l'Assemblée constituante, doit être revu et corrigé pour intégrer et annoncer des actions d'encouragements réels par des subventions à inscrire pour l'eau d'irrigation, les semences, produits phytosanitaires, matériels...; tout en sachant que l'agriculteur doit gagner le juste prix de son effort physique et financier en produisant plus et non pas grâce à la pénurie, et que les économies de dépenses ne doivent pas se faire au détriment de l'encadrement très intensif à lui assurer et qu'on ne voit plus aujourd'hui.
C'est en décidant en urgence d'un meilleur usage des fonds alloués qu'on fera progresser la production et l'emploi et non pas par la création de nouveaux barrages et périmètres irrigués ou en installant des caméras de surveillance pour un personnel à qui on n'a donné un programme de travail.

Légumes, fruits et fourrages (pour plus de lait et de viande) sont donc à encourager pour emblaver la totalité de ces superficies, pour une meilleure entrée en production dès le Ramadan... si les responsables de ce ministère veulent bien considérer que le devoir de toute la pyramide dirigeante, est de se mettre au travail, têtes et jambes confondues, toutes spécialités confondues, pour dégager les voies et moyens à suivre pour l'instant, que ces espaces soient entièrement exploités, que le Tunisien puisse préserver le peu de pouvoir d'achat qui lui reste..., que le prix du kg de tomates ou de pastèques n'atteigne pas des niveaux impossibles; et, si l'on ne veut pas que le prix de l'orge ou du son double ou triple encore pour le cheptel..., la campagne agricole ne s'annonçant pas spécialement brillante!

Bien entendu, une multitude d'autres actions utiles et productives peuvent être proposées par les CRDA et les gouverneurs qui voudront bien impulser la dynamique agricole qui s'est perdue dans nos régions.

* Ingénieur général d'agronomie, consultant international, ancien directeur général de la production végétale; spécialiste d'agriculture/élevage de l'Enssaa de Paris.