Au 30e Salon national de l'artisanat (15-24 mars) au Parc des Expositions du Kram, des milliers d'articles 100% faits mains, proposés à des prix doux. Mais l'engouement des visiteurs n'est pas au niveau espéré par les exposants. La crise économique est-elle passée par là?
Par Zohra Abid
Inauguré le 15 mars par le nouveau chef du gouvernement Ali Lârayedh, le Salon, ouvert le lendemain au grand public, semble très visité. Et pour cause : il y a tout d'abord les vacances du printemps, le beau temps et une publicité géante tout en rose indien brillant dans tous les coins et recoins des villes et des villages dans toutes les régions.
Difficile d'avoir le sourire
Le nombre de visiteurs est estimé par l'Office national de l'artisanat tunisien (Onat) à près de 130.000. Ce chiffre n'est pas exagéré. Pourtant, les artisan(e)s n'ont vraiment pas le sourire. «Cela va de mal en pis. Cette année encore, pas de rentabilité, et nous avons du mal à commercialiser nos produits et à couvrir nos frais», se plaint Noura, spécialiste dans les articles de soie.
Au milieu des étalages des foulards, du prêt-à-porter, des nuisettes imprimées, brodées d'argentés ou de fils dorés, Amira, une diplômée de l'Institut de Gestion depuis 2002 et qui, depuis début 2012, travaille chez Noura comme apprentie. «J'ai travaillé plus de 6 ans dans une usine de textile italienne. A cause des sit-in répétés et de l'insécurité, le patron a plié bagage et il est parti du jour au lendemain et j'ai dû chercher du travail pour survivre. Pour le moment je n'ai pas le choix», raconte Amira. Une consolation tout de même : elle a découvert un monde qui commence à la fasciner : celui de l'artisanat.
De la dentelle de grand-mère
Au rayon des tapis, là, le tissage est à l'honneur et l'offre est séduisante. Marouan, le Sfaxien, la trentaine, a fait les beaux arts et se plait dans ses nœuds et ses motifs géométriques ou à fleurs stylisées. Dans son stand qu'il a loué à près de 600 dinars et qui est peuplé de petites merveilles, il a du mal lui aussi à se retrouver dans ses comptes. Pour le moment, il ne perd pas l'espoir. «J'essaie de reprendre l'ancien, le berbère, notamment du klim de Gafsa ou de Gabès, et de le revisiter à ma manière tout en préservant la teinture naturelle. Puis, je ne me limite pas aux klims et aux tapis», précise Marouen.
Dans son petit carré, il y a toujours des tapis de salon ou d'entrée, notamment muraux, mais aussi des plaids et des jetées, ainsi que des couvertures pour enfants aux motifs amusants et pour adultes aux dessins attrayants...
«Je suis venue aujourd'hui pour repérer quelques articles. Je compte revenir avec mon père, le weekend, pour qu'il me paye un petit plaisir. J'ai vraiment craqué, c'est tellement beau», dit Ons, qui prépare son mariage dans quelques mois.
Ons a déjà acheté des ustensiles en cuivre argenté. «Je préfère de loin le cuivre argenté au doré. Toute ma cuisine sera en cuivre. C'est un choix. D'ailleurs mon salon, dont le socle est en bois et le reste en textile imprimé de motifs du sud, est un vrai bijou. Je viens de trouver des rideaux en lin et brodé à la main qui vont avec. Ceci me rappelle les beaux draps en dentelle de ma grand-mère», ajoute la future mariée.
Période de vaches maigres
Au stand voisin, l'artisan vient de Jemmal. Ici, il y a foule. «C'est un plaisir pour les yeux... C'est la fin du mois et avec la cherté de la vie, je ne peux pas me permettre, mais j'ai pris les coordonnées de l'artisan pour le contacter plus tard. Inchallah...», lâche Malika, l'institutrice, comme si elle regrette de ne pouvoir se payer une petite folie et rendre le sourire à l'artisan.
Dans cet espace de 10.000 m2, l'offre est de plus en plus attrayante dans les 700 stands. On y trouve tout. Pour les salons, pour les jardins, pour les bureaux..., des articles à offrir aux aimés, des plateaux et accessoires pour servir du thé, du café et des gâteaux aux invités... mais aussi pour le bien-être. Et tout à base naturelle, de la terre et de la mer. Du savon aux mille et un parfums aux formes de petits cœurs, de roses, de Tanit... Dans des corbeilles toutes prêtes à offrir : des crèmes pour les mains, les pieds, le corps, les cheveux, le visage. «Le pot à 30 dinars et ça vaut vraiment la peine. J'ai acheté celui à base de figue de barbarie et pour ma petite sœur, à base de bave d'escargot, c'est très bien pour l'acné», dit Maram, visiblement comblée.
Des produits de la terre et de la mer
La poterie, on en trouve de toutes les régions : de Djerba à Nabeul en passant de Moknine et Sejnane. Ici, ça a beaucoup changé. Tout est revisité, surtout les couleurs et les formes. Les couleurs sont vives et les motifs anciens retravaillés. Le stand réservé aux potières de Sejnane est plein de monde. Deux Italiennes viennent de s'offrir quelques bibelots et statues pour le décor, emballés dans des journaux (on aurait pu trouver mieux pour l'emballage, tout de même?).
Entre les couloirs, les bijouteries brillent, filles et garçons mettent tous leur talent pour créer de beaux articles inspirés de ceux de nos grand-mères et posés sur des tréteaux studieusement décorés. La matière de base n'est plus ni d'or ni d'argent mais du métal qu'on associe (ou incruste avec) de l'ambre, de pierres, et les compostions varient à plaisir...
Ibtissem, Nizar et autres font des merveilles. Tous sont des jeunes diplômés surtout de gestion, de géographie et convertis en joaillers des temps modernes.
En face, un couple français vivant depuis près de deux décennies en Tunisie et qui s'est spécialisé dans les bijoux d'artisanat. «On vend surtout pour les Tunisiennes, mais les touristes, ce fut un temps», regrette le couple qui se plait dans le pays. En espérant bien-sûr des jours meilleurs.
Prière, ne rien prendre en photos
Deux petits bouts de femmes passent par ce rayon. A la main, un appareil photo. Du coup, Nizar leur dit en anglais dans le texte et tout gentiment de ne rien filmer. Les deux Chinoises sourient et passent... Pour aller ailleurs. Côté couffin.
Ici, un amas de couffins de toutes les tailles. Des couffins pour l'encens et le henné de la mariée, d'autres pour frimer sur les plages ou pour faire du shopping, avec des perles et des broderies. Ici les prix varient entre 4 et 200 dinars. Une télévision anglaise a mis ses caméras et tréteaux en face et demande une interview à la créatrice. Qui empêche, elle aussi, les deux Chinoises de prendre des photos de ses créations. La peur des contrefaçons? Sans doute... Ici, on ne badine pas avec la créativité et l'imagination.
Les pâtisseries traditionnelles se sont multipliées cette année. Beaucoup de créativité, de vraies œuvres d'art... Mais le prix est loin d'être pour toutes les bourses.
A grand hall, comme chaque année, le stand de l'Unicef. De nouveaux articles à vendre pour aider les enfants de la Tunisie.
Plus loin, vers la sortie, une tente berbère. Géante. Ici, on vend des «mlaouis» (sorte de pizzas traditionnelles) de Sidi Bouzid. Sous le soleil printanier, il y a vraiment une file indienne. C'est chaud et succulent... A consommer sans modération.
Commerçants, décorateurs d'intérieur, architectes, hôteliers et grand public, le déplacement vaut la peine, il ne reste qu'un jour pour faire des affaires.