Pour sa 17e étape, la tente entrepreneuriale s'est arrêtée ce week-end à Gabès. L'occasion pour Kapitalis de revenir sur une initiative qui vise à réduire les inégalités économiques entre les régions par l'incitation à la création d'entreprise.
Par Seif Eddine Yahia, envoyé à Gabès
Organisée pour la première fois par le Centre des Jeunes entrepreneurs, affilié à l'Institut arabe des chefs d'entreprises (Iace), la tente entrepreneuriale a pour but de développer l'esprit d'entreprise au sein de la population tunisienne (notamment chez les jeunes) par un travail d'information, de guidage et de soutien.
Les organisateurs de cette opération, qui a débuté le 16 mars dernier à Kairouan, ont décidé de visiter 35 villes dans toutes la Tunisie, jusqu'en décembre 2013, afin de conseiller au mieux les porteurs de projets sur l'ensemble du territoire.
Pause entretien avec la presse.
Objectifs globaux de l'évènement: favoriser le développement régional, accroitre le nombre d'entreprises sur le sol tunisien afin de réduire le chômage et corriger les déséquilibres régionaux hérités des anciennes politiques économiques. L'organisation tablait pour cela sur la réception de 10.000 dossiers sur l'ensemble du territoire (au lancement du projet).
C'est donc à Gabès que la tente entrepreneuriale a été installée ce samedi 6 juillet. L'Iace a en effet souhaité que celui-ci ne s'arrête pas seulement aux régions les plus attractives du pays mais qu'il couvre l'ensemble du territoire afin de réduire les disparités persistantes entre les régions.
Conseils et suivi
Plus qu'une opération de promotion destinée au grand public, la tente entrepreneuriale cherche avant tout à apporter des conseils efficaces et utiles aux entrepreneurs de tous ordres. C'est pourquoi l'Iace fait appel, pour cet évènement, à des experts juridiques, financiers et administratifs.
Prendre un jeune entrepreneur par la main.
Après une première opération de filtrage et d'orientation faite à l'accueil de la tente, les entrepreneurs sont amenés, selon leurs besoins à l'expert le plus adapté. Leur dossier, enregistré par les organisateurs, permet également un suivi de l'évolution du dossier après le passage à la tente, et un soutien ultérieur si le besoin s'en fait sentir. En effet, dans les cas où les dossiers, en matière de financement notamment, n'évoluaient pas malgré les conseils des experts, l'Iace s'engage à soutenir les entrepreneurs en faisant appel à une cellule de crise composée d'ex-dirigeants d'entreprises et de magistrats volontaires afin de passer outre les éventuels blocages .
Ces blocages sont de plusieurs ordres. Le premier d'entre eux, comme le rappelait Belgacem Tayaâ, expert administratif pour la tente entrepreneuriale, est foncier. Il concerne notamment l'acquisition du fameux titre bleu. De manière plus générale, les difficultés rencontrées au cours des procédures administratives découragent de nombreux entrepreneurs, et c'est afin de dépasser ces difficultés que l'Iace a fait appel à M. Tayaâ, par ailleurs expert administratif au contrôle général des services publics.
Sous la tente des conseillers et des entrepreneurs chervronnés.
L'autre problème de taille concerne le financement des projets. Bilal Bellaj, expert financier pour la tente entrepreneuriale nous expliquait ainsi que l'accès aux fonds pour les projets en gestation s'avérait difficile notamment en raison des problèmes de garants, même pour des montants peu élevés (de l'ordre de 10.000 dinars). Les montants alloués par les banques se révèlent souvent insuffisants pour faire démarrer ces projets, quand le projet est accepté par les instances dirigeantes.
Le rôle de l'expert financier, comme l'a souligné M. Bellaj, est non seulement d'aider à la création de montages financiers adaptés, mais aussi de diriger les entrepreneurs vers des modes de financement alternatifs parfois sans taux d'intérêt, mais trop peu utilisés en Tunisie en lieu et place du prêt bancaire (mode de financement le plus populaire dans le pays).
C'est d'ailleurs pour trouver des financements alternatifs que Hicham Chektaoui, entrepreneur dans le bâtiment, s'est rendu à la tente à Gabès. Las de devoir attendre les réponses des banques (après avoir essuyé un refus), il a cherché à la tente des solutions afin de démarrer son activité sans faire appel aux prêts bancaires.
La situation de Gabès
Depuis l'indépendance du pays en 1956, le gouvernorat de Gabès fait partie de ces régions marginalisées et ayant trop peu bénéficié de l'action gouvernementale.
Eloignée des bienfaits de la prospérité du Nord du pays, la situation de la région laisse quelque peu à désirer dans plusieurs domaines, comme le rappelle le rapport concernant la région et publié par le ministère du Développement régional en 2012. Un taux de pauvreté supérieur à la moyenne nationale (17 à 18% pour le gouvernorat contre 15% pour la moyenne nationale d'après les chiffres gouvernementaux), un taux de chômage qui atteint ou dépasse les 20% de la population active pour certaines parties du gouvernorat telles qu'El Hamma. Ajoutons à cela des entreprises plus petites que la moyenne nationale (1,5 employé contre 2,5 pour l'ensemble du pays), une distance d'accès aux services de base supérieure à la moyenne nationale, un raccordement au réseau d'eau potable parfois lacunaire et un écosystème ravagé par certaines entreprises créatrices d'emplois (Cimenterie de Gabès et usine du Groupe chimique tunisien à Ghannouch entre autres) et on comprend pourquoi l'initiative organisée par l'Iace se révèle salutaire pour le développement futur de la région.
Opération à Gabès
Le samedi 6 juillet 2013, devant le théâtre municipal de Gabès, les derniers préparatifs s'achevaient afin d'accueillir les premiers arrivants à la tente. Comme le soulignait Mourad Kriaâ, organisateur principal de cet évènement, une douzaine de personnes ont permis l'organisation à Gabès de cette opération soutenue par la Banque nationale agricole (BNA), Tunisie Télécom et Vivo Energy.
Tunisie Télécom est l'un des trois sponsors de cette action.
Dès 9 heures, les entrepreneurs en quête de conseils et le grand public intrigué par l'arrivée de cette nouvelle tente se pressaient devant l'accueil.
Au cours de cette journée, qui a vu défiler plus de quarante projets, des entrepreneurs de différents secteurs (bâtiment, agriculture, publicité...) se sont succédés dans les 3 bureaux et la salle de réunion aménagés sous la tente.
Bilal Bellaj le rappelait, la mixité de cette région amène Gabès à produire des projets plus diversifiés, dans l'agriculture, les services, la pèche voire l'industrie, contrairement à des villes telles que Kairouan ou Sidi Bouzid où l'agriculture représentait la majorité des dossiers traités.
Pour lui, les difficultés rencontrées par la ville de Gabès sont communes à toutes les villes de la Tunisie (financement souvent). Toutefois, le problème de pollution extrême propre au gouvernorat notamment à Ghannouch et dans le Golfe de Gabès, et la prise de conscience apparue depuis la Révolution devraient amener les porteurs de projets à travailler dans le domaine environnemental dans les mois et les années à venir.
Première initiative du genre dans le pays, la tente entrepreneuriale tente d'insuffler l'esprit d'entreprise dans des régions telles que Gabès, trop longtemps délaissées sur le plan économique. Face à l'abandon dont ont été et dont sont encore victimes certaines régions de la Tunisie, seules la création d'entreprise et les actions de la société civile pourront amener un changement positif. En ce sens, on ne peut que saluer l'action de l'Iace qui se donne la peine d'aller dans des villes comme Sidi Bouzid, Kasserine ou Makthar afin de trouver des solutions économiques viables pour l'avenir du pays.