La Banque centrale de Tunisie (BCT), un organe vital de la gouvernance économique et financière, serait-elle devenue aujourd'hui un instrument au service des responsables politiques?
Par Zohra Abid
«La BCT a dévié de son rôle principal et ne contrôle ni l'endettement du pays, ni encore l'inflation. Et elle n'a aucune prévision sur le budget du pays. Pour preuve: son gouverneur actuel (Chedli Ayari, NDLR) joue un rôle politique et sa communication est peu cohérente. Pire encore: ses positions sont dictées par l'intérêt des responsables politiques. Et c'est à partir de là que nait la mauvaise gouvernance», a déclaré le président de l'Association tunisienne de gouvernance (ATG), l'économiste Moez Joudi, lors d'une conférence sur la gouvernance publique, vendredi à Tunis.
Pour une réforme urgente de l'Institut d'émission
L'économiste a relevé, par ailleurs, que le gouverneur de la BCT n'a commencé à parler de la situation catastrophique de l'économie tunisienne que très récemment. «Nous avions prévu cette situation, il y a déjà un an. La réaction du gouverneur, à l'époque, était de nous qualifier de ''gherben'' (corbeaux, NDLR) qui n'annoncent que de mauvaises nouvelles», a déploré M. Joudi, Et d'ajouter: «Nous sommes des experts sans casquette politique et nous intervenons par sentiment de devoir envers notre patrie».
Le président de l'ATG appelle à une réforme urgente de l'Institut d'émission afin de le doter de tous les moyens pour exercer ses missions dans les meilleures conditions. Il suggère, à cet égard, que les dirigeants de la BCT, notamment le gouverneur et le vice-gouverneur, soient élus par un collège d'administrateurs représentant les principales parties ayant lien avec cette institution.
Moez Joudi: «Nous n'avons pas vraiment besoin de has-been».
Pour M. Joudi, les statuts de la BCT, datant des années 1960, doivent être revus en vue de «renforcer son autonomie et garantir sa neutralité».
La BCT est appelée aussi à changer et à faire évoluer sa communication, qui doit être «fluide et régulière, fiable et transparente» et «présenter aux différents opérateurs économiques une idée claire et non tronquée ou politisée sur les comptes de l'Etat et les principaux indicateurs macro-économiques».
Haro sur les «has-been» !
L'expert appelle, par ailleurs, à impliquer davantage les jeunes compétences qui «ont beaucoup à donner. Ces jeunes, doivent être mis au service du pays et non des partis», a insisté l'économiste. Et d'ajouter, sur un ton cinglant que les séniors qui nous gouvernent apprécieront: «Nous n'avons pas vraiment besoin de has-been».
La BCT doit aussi, selon encore Moez Joudi, «veiller davantage sur la bonne marche du secteur bancaire, en renforçant son système de veille dans ce domaine, tout en laissant les marges nécessaires aux différents établissements bancaires pour pouvoir évoluer en toute confiance et en suivant des plans de développement stratégiques bien structurés dans le temps et pertinents dans les objectifs».
Sur le plan macro-économique, l'ATG et son président estiment que la BCT «doit être impliquée en amont dans la conception des politiques économiques, pour mieux les orienter dans l'intérêt du pays et mieux accompagner les décideurs en leur donnant les compléments d'informations nécessaires et les connaissances requises en matière de politiques monétaires».
Bref, on l'a compris, les membres de l'ATG souhaitent voir le gouverneur de la BCT se dérober à l'influence des politiques, axer son travail sur ses missions de contrôle, de conseil et d'accompagnement des politiques financières et monétaires, mais aussi contribuer efficacement à la lutte contre les mafias de l'économie parallèle qui ronge le pays de l'intérieur et menace l'Etat tunisien.