La première force de l’économie tunisienne réside dans le fait que l’impulsion vient (presque) toujours de l’Etat. Et c’est là, paradoxalement, que réside aussi sa principale faiblesse. Explications… Par Ridha Kéfi


Le secteur privé en Tunisie, qui tarde à jouer son rôle de locomotive de l’économie, donne parfois l’impression de subir l’impulsion de l’Etat comme un diktat. Pis: il temporise, tergiverse et traîne en longueur (et souvent en largeur aussi), alors que les défis de l’intégration à l’économie mondiale requièrent une plus grande réactivité. Plus d’allant et plus d’enthousiasme. Plus d’investissement et plus de prise de risque aussi. Des mots et des attitudes qui ne semblent pas inscrits dans les mœurs de nos capitaines d’industrie. 

L’écart entre les paroles et les actes
A les entendre, ces derniers savent ce qu’ils ont à faire pour être au diapason des mutations de l’économie mondiale. Sur le plan des principes, ils sont parfaitement en phase avec les plans et les programmes du gouvernement.
Le problème, car problème il y a, réside dans l’écart qui persiste entre les paroles et les actes, entre la conscience aiguë des défis et le niveau d’engagement pour les relever, entre la volonté gouvernementale exprimée à coups de plans, de programmes, de mesures et de lois incitatives, et sa traduction dans la réalité quotidienne des entreprises. La boulimie ordonnatrice de l’un (l’Etat) n’a d’égal que la rareté voire l’avarice de l’autre (l’entreprise).  

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Ce déphasage, souvent souligné par les études et les diagnostics, est d’ailleurs  bien traduit par les chiffres: les performances de l’entreprise tunisienne sont en-deçà de ce qu’elles devraient être, eu égard aux possibilités offertes par l’économie nationale et, surtout, à leurs potentiels intrinsèques de production et de commercialisation.  
Cette réflexion m’a été inspirée par les travaux des Journée de l’Entreprise, organisées à l’initiative de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (Iace), les 10 et 11 décembre, au port El Kantaoui, à Hammam-Sousse.
Ces journées, tenues sous le haut patronage du Président de la République, ont été cette année l’occasion pour l’entreprise – une fois n’est pas coutume – de  s’interroger sur elle-même, ses modes de fonctionnement, la qualité de sa gouvernance, ses défaillances structurelles et les défis auxquels elle doit désormais faire face: la qualité, la compétitivité, l’innovation… Il était temps…

La paille et la poutre
Il était temps, en effet, que l’entreprise, jusque là portée à chercher la paille dans l’œil de l’administration, s’aperçoive enfin de la poutre qui est dans le sien.
Certes, l’autocritique n’a jamais été le fort des Tunisiens. Les entrepreneurs ne dérogent pas à cette règle nationale bien établie. Aussi, le fait qu’ils aient enfin accepté de se regarder en face, sans se trouver nécessairement beaux, est déjà en soi une petite révolution.
En tant que Tunisiens, nous ne pouvons que nous en féliciter. En attendant de pouvoir en féliciter aussi ces chers entrepreneurs. Nous le ferons, c’est promis, le jour où ils parviendront enfin à transformer leur postures avenantes en actes salvateurs, leurs diagnostics éclairés en décisions concrètes, et les «y a qu’à…», dont ils nous gavent dans leurs conclaves chics, en performances à la Coréenne ou à la Turque, c’est-à-dire en points de croissance supplémentaires, en postes d’emplois à profusion pour les diplômés chômeurs et en contributions effectives au mouvement général d’émergence à l’œuvre dans le pays.
Aussi voudrions-nous considérer l’autocritique timidement esquissée par les entrepreneurs au cours des dernières Journées de l’entreprise comme le signe d’une volonté de repartir sur de nouvelles bases, de cesser de cacher la forêt de leurs insuffisances derrière l’arbre de l’Etat-providence, de se prendre davantage en charge, de prendre plus de risques, d’investir plus et mieux dans l’intelligence, la compétence et la qualité, bref de mettre leurs actes en conformité avec leurs paroles.
Sinon, tous ces conclaves, cette débauche d’énergie, ces dépenses fastueuses, ce temps gaspillé et ces intelligences occupées… n’auraient finalement servi qu’à nous voiler davantage la face les uns les autres. Un petit tour et puis s’en vont… Et à la prochaine…