Mehdi Houas, Pdg de Talan (et ancien ministre du Commerce et du Tourisme en 2011) se montre, dans cet entretien avec Kapitalis, confiant en l'avenir du pays, malgré les difficultés économiques et socio-politiques.
Propos recueillis par Zohra Abid
Kapitalis: Deux ans après avoir quitté le gouvernement, comment jugez-vous la situation du tourisme en Tunisie?
Mehdi Houas : En fait, je ne suis ni loin de la Tunisie ni du secteur touristique. Je rentre déjà chaque mois au pays et je suis toujours de près les évènements.
En regardant les chiffres, et compte tenu du contexte, on ne peut pas demander plus au ministre du Tourisme Jamel Gamra. N'oublions pas que le pays a connu 2 assassinats politiques et, d'après les chiffres, le bilan est plus que correct.
Jamel Gamra a beaucoup bossé, sinon la situation aurait été pire. N'empêche que le bilan du tourisme en général est catastrophique et il faut prévoir une autre stratégie et revoir tout le système.
Que proposez-vous dans ce contexte?
Il faut savoir déjà comment se placer sur l'échiquier régional, définir une vraie stratégie et commencer dès maintenant par prévoir un plan sur 5 ans.
Il est certes difficile pour la Tunisie, aujourd'hui, de suivre l'élan du Maroc, qui a réussi dans le tourisme de luxe. Nous devons donc chercher autre chose pour nous imposer dans la région. Je pense, à titre d'exemple, au tourisme golfique, à la thalassothérapie ou autres produits de luxe.
En rentrant au pays, je vois, en plein hiver, les centres de thalasso totalement vides. Ceci doit nous interpeler et, à mon avis, il faut miser sur ce secteur, très rentable.
N'empêche, je ne perds pas espoir et je reste, malgré tout, positif. Tant que le pays bouge, tout ira vers le meilleur. Il y aura bientôt un nouveau gouvernement indépendant, une nouvelle constitution, des élections...
Je vois aussi des magistrats qui militent pour instaurer une justice indépendante, des médias qui se battent pour la liberté d'expression, et pour moi, ce sont des signes positifs. Mais pour revenir au secteur touristique, un changement radical de stratégie s'impose et je reste confiant.
Que faire pour redonner confiance aux investisseurs et les séduire de nouveau?
Dans l'état actuel, un investisseur tunisien ou étranger a besoin de visibilité et de lisibilité. Il veut savoir où va le pays.
L'investisseur continue de se poser des questions sur la politique adoptée dans le domaine social, touristique, industriel, agricole ou dans le secteur des services pour savoir où (et quand) mettre son projet en marche. Dans le flou actuel, il est difficile de séduire les investisseurs.
Rencontre du CJD sur l'économie sociétale.
Si une entreprise doit avoir une vision sur 5 ans, un Etat doit raisonner sur 20. Pour ce, il faut une administration forte, des compétences et des infrastructures.
En fait, nous n'en sommes pas loin. Malgré les difficultés que traverse le pays, il y a encore des fondements et l'administration est encore forte. Ce qui manque c'est un signal politique fort et rassurant. Les investisseurs n'attendent que ça.
Malgré les échecs, vous restez donc plutôt confiant?
Nous avons envie aujourd'hui d'entendre de bonnes nouvelles dans le pays. Nous devons dire assez, que la situation ne saurait durer et qu'il faut se retourner vers autre chose qui donne de l'espoir.
Au début, on savait qu'après une révolution, les choses sont compliquées et qu'il faut tout reconstruire. Mais là, assez de grabuges. On ne peut que dire assez. Nous devons reprendre tout et commencer à reconstruire. Surtout que la Tunisie est dotée d'une jeunesse formidable, bien structurée et qui ne manque pas de référence. A nous comparer avec ce qui se passe actuellement dans les pays voisins, nous ne pouvons que nous estimer heureux. Il faut reprendre seulement confiance en soi. Et si on échoue, ce n'est pas grave, il faut savoir comment se relever et lever la tête pour mieux voir en face. S'il y a des risques, il faut bien les prendre et ne pas avoir peur de l'échec, car c'est de l'échec qu'on apprend.
Les entreprises font face à d'énormes difficultés. Que conseillez-vous aux jeunes dirigeants qui risquent à tout moment de mettre les clefs sous le paillasson ?
Je reviens à la révolution. C'était un mouvement populaire et spontané. Il n'y avait à l'époque aucune idéologie à défendre ou à instaurer et il y avait, par contre, des objectifs précis à atteindre : la liberté, l'emploi, la dignité, l'égalité sociale.
Il ne faut donc plus laisser des gens abandonnés au milieu de la route. On doit essayer de répondre à leurs attentes pour sortir de l'ornière de l'échec social. Aussi, l'entreprise doit-elle changer de paradigme pour devenir sociétale, étant admis que la recherche de la rentabilité n'est pas incompatible avec la responsabilité sociale.
Il reste au gouvernement de définir une stratégie dans ce domaine, en comptant sur les hommes et les femmes et sur les idées qu'ils peuvent développer pour transformer la réalité et garantir la pérennité de l'entreprise.
L'Etat n'a pas à asphyxier l'entreprise dès son démarrage, mais la laisser se développer pour atteindre une situation confortable avant de commencer les prélèvements.
Le marché européen, partenaire traditionnel de la Tunisie, est en crise. Que faire?
Il faut se tourner aussi vers l'Afrique, un continent qui compte, tout de même, 1,5 milliard de consommateurs. La Tunisie a les moyens de se déployer dans le continent africain, avant qu'il ne soit cadenassé par les Asiatiques, notamment les Chinois et les Indiens. Il faut savoir comment convaincre, s'imposer et arracher sa place parmi les autres.
Le seul concurrent actuel de la Tunisie dans la région, c'est le Maroc. Mais il peut être plutôt un partenaire. Car l'investisseur a toujours besoin de ses deux jambes. S'il a seulement une au Maroc, il doit en avoir impérativement une autre en Tunisie. S'il crée un bureau au Maroc, il doit, pour son équilibre, en créer un second en Tunisie. Il faut savoir seulement comment séduire cet investisseur, lui transmettre des messages rationnels et rassurants.
Malgré tous les problèmes actuels, la Tunisie peut redémarrer pour devenir, dans 20 ou 25 ans, la Singapor de l'Afrique.
* M. Houas vient de participer à la rencontre-débat sur «l'économie sociétale», organisée, jeudi 9 janvier 2014 à Tunis, par le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), en collaboration avec la fondation allemande Konrad Adenauer.