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Le marché central de Tunis, qui fait partie du patrimoine du pays ne draine plus les Tunisois. Aux prix vertigineux des fruits et légumes, poissons, viandes... s'ajoutent un manque flagrant d'hygiène et beaucoup d'anarchie.

Par Zohra Abid

Le marché central de Tunis, vieux d'un siècle et quelques poussières (il a été construit en 1891), et que nos parents et grands-parents appelait autrefois «Fondouk El Ghalla» (littéralement hôtel de fruits), a été totalement rénové, en 2007, pour un montant de 6,5 millions de dinars (MD). Sept ans plus tard, il a beaucoup perdu de son aura. Et à l'image du pays, depuis la fameuse révolution, il y règne aujourd'hui l'anarchie et le manque d'hygiène, dont se plaignent vendeurs et clients.

La flambée des prix

Le jour de notre visite, le marché central de Tunis est presque vide. Il y a certes abondance de marchandises dans les 300 stands, mais les commerçants attendent désespérément les clients. Ces derniers, très peu, scrutent les prix, tournent en rond et n'achètent que ce dont ils ont besoin.

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Il y a abondance de marchandises, mais les commerçants attendent désespérément les clients.

«Les prix sont fous et, apparemment, il n'y aura pas d'accalmie. Nous avons de nouvelles habitudes, on n'achète que le nécessaire, seulement ce dont on a un besoin immédiat», raconte une enseignante retraitée. Aujourd'hui, elle vient acheter un kg de patates, un kg de têtes d'oignons blancs, une tête d'aubergine, 3 courgettes et un bouquet de légumes pour préparer un bouillon et une ratatouille pour la journée. Elle casque près de 6 dinars. «Il y a 4 ans, je payais cette course seulement 2,5 dinars et, au pire, 3 dinars. A voir les prix des tomates et poivrons, le Tunisien moyen ne peut même plus avoir envie d'ojja, de chakhchouka ou autres plats du pauvre, comme on les appelait jadis. Je ne parle pas de viande ou de poisson. Où va le pays?», se plaint-elle.

Le commerçant, qui sert la dame, est très attentif à ses propos et il a son propre avis au sujet de la hausse des prix. «Chaque année, à pareille période, le piment dépasse les 3 dinars le kg et les tomates se vendent à plus de 1,4 dinar le kg. Car ce n'est pas la saison. Ce sont des produits cultivés sous serre et qui coûtent les yeux de la tête aux agriculteurs», précise-t-il. Pour que les prix baissent, il faut que l'Etat aide l'agriculteur.

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Dans la halle des poissonniers, les prix sont légèrement plus doux que la veille des fêtes du nouvel an.

«L'eau d'irrigation est chère, les prix des engrais nécessaires sont inabordables (le litre est à 180 dinars) et la main-d'œuvre, qui était payée, il y a 3 ans, entre 7 et 8 dinars par jour, demande, aujourd'hui, 12 dinars et plus. Je ne peux que plaindre l'agriculteur», ajoute le marchand de légumes.

Les rats maîtres des lieux

Le commerçant, qui se plaint lui aussi de son manque à gagner, s'estime heureux par rapport à d'autres citoyens. «Je gagne près de 500 dinars par mois et j'ai 3 enfants à nourrir. Depuis la révolution, plus rien ne va. D'ailleurs, on ne jette plus rien. Même pas un brin de blette. Je ramasse ce qui reste dans les caisses et tout est nettoyé et plongé dans la marmite. Le reste du pain se transforme aussi. On le trempe dans le lait avec du sucre et nous les mettons à frire. Ce sont les beignets de notre petit déjeuner. Le poulet du bouillon se transforme en boulettes, etc. Le poisson, je vous jure que je n'en mange plus. Je me contente d'en humer l'odeur en passant par le hall voisin», raconte encore le marchand de légumes.

Selon lui, le marché central de Tunis n'est plus fréquenté, aujourd'hui, par les notables de la ville, mais, de plus en plus, par des classes pauvres. Qui ramassent quelques branches de persil, blettes, tomates ou oignons pourris pour se faire à manger. Ces personnes passent un temps fou à fouiner les poubelles. Parfois après le passage des rats. Des rats?

«Oui des rats, ils sont partout. L'espèce prolifère et prend possession des lieux», lance un autre marchand de légumes, qui a, lui aussi, son autre lot de soucis. «Autrefois, il y avait Dr Belhassan Langar. Il utilisait souvent des produits pour nous débarrasser de ces bestioles. Aujourd'hui, ces rats ravagent souvent notre marchandise. Puis la municipalité, à qui je paye mon box 30 dinars par mois exige aujourd'hui le double. D'ailleurs, aucun marchand n'a payé les 60 dinars exigés», raconte un jeune, la vingtaine, noyé dans la lecture de son Coran. Il vend en vrac des vermicelles, pois-chiches, lentilles, fèves...

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Les clients scrutent les prix, tournent en rond et n'achètent que ce dont ils ont besoin.

Le projet du parking tombé à l'eau

«Autour du marché, il n' y a pas où se garer. Tout est occupé par des marchands ambulants qui nous étranglent, détournent les clients et ne payent rien à la municipalité», a ajouté le jeune marchand.

Le centre-ville, on le sait, souffre de problèmes de stationnement en raison du manque de parkings. En effet, les gens préfèrent aller ailleurs où il y a pas ce problème. Dommage! «Pourtant, après avoir restauré les halles, les façades de l'ensemble des commerces, la rénovation des réseaux d'évacuation des eaux (aujourd'hui bouchés), on a cru que les problèmes du stationnement ne se poseront plus d'ici peu. A l'époque, le maire de Tunis, Abbes Mohsen, a parlé de la construction par la municipalité de Tunis d'un parking à étages d'une capacité allant de 140 à 180 véhicules. La révolution est venue, et les projets sont tombés à l'eau», regrette un marchand.

Politique et poisson surgelé

Son voisin n'a pas apprécié l'hommage rendu aux hommes de l'ancien régime. En colère, il a autre chose à dire sur le même sujet. «Nous n'avons plus de robinets. Pourtant, il y avait 8 seulement dans ce carré. Ils ont tout volé. Ce sont les partisans du RCD (parti dissous, NDLR) qui ont tout pillé et se sont enrichis sur notre dos», s'insurge-t-il. Et de se déchainer: «Ce sont Hassen Touil, Rachid Hammami, Ali Matmati, Abbes Mohsen (anciens responsables de la mairie de Tunis, NDLR) qui ont volé et ruiné ce marché. Ils ont volé le pays et laissé ce gouvernement dans l'impossibilité de trouver des solutions. Ce sont des traitres. Il faut que la charia soit instaurée pour que les voleurs soit sanctionnés et que le monde soit plus équitable». Il ajoute que d'anciens responsables de la mairie ont remplacé le poste de police qui existait dans le marché par une gargote de «kaftagi» (met populaire, NDLR). Ils ont, pour cela, reçu des dessous de table.

L'homme, courbé sur ses 60 ans, avoue de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. «J'ai 3 grands garçons en chômage. Et seul responsable de cette situation, l'ancien système», ajoute-t-il, sans craindre de passer du coq à l'âne.

Dans la halle des poissonniers, les prix sont légèrement plus doux que la veille des fêtes du nouvel an. «Les pêcheurs vont reprendre le large et la pêche sera meilleure ainsi que les prix», dit l'un des marchands. Côté prix, les poulpes sont à 12,8 dinars le kg, la daurade d'élevage à 11 dinars, le thon à 6,9 dinars... Mais les crevettes et les chevrettes sont presque sacrifiées: entre 14 et 29 dinars le kg. «C'est du congelé. Nous avons espéré plus de vente la veille du nouvel an. Or, des caisses entières sont restées invendues et nous sommes contraints à baisser les prix, sinon nous allons tout perdre», explique un poissonnier.

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Totalement rénové en 2007, tombé de nouveau en désuétude en 2014. 

Et la municipalité dans tout cela?

Les commerçants sont donc mécontents. Leur syndicat a demandé une réunion d'urgence avec les responsables. Des rendez-vous sont fixés pour évoquer tous les problèmes en suspens.

Interrogé à propos de la prolifération des rats et de l'état des égouts bouchés, Khaled Ben Yedder, sous-directeur du service municipal au Marché central de Tunis, en poste depuis seulement 3 mois, a semblé ignorer tout de la situation. «Il existe tout un service pour s'occuper de ces problèmes, mais les marchands n'ont rien réclamé», a-t-il répondu. Quoi qu'il en soit: «Pas de problème, nous allons en parler et trouver des solutions ensemble», promet-il.

Il va falloir revenir dans quelques mois pour vérifier si les problèmes ont réellement trouvé des solutions.