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Dans un entretien diffusé, lundi soir, par les chaînes Watania 1 et Nessma, Mehdi Jomaâ a brossé un tableau plutôt sombre de l'économie tunisienne, appelant les Tunisiens à... reprendre le travail, seul moyen pour redresser la situation.

Par Imed Bahri

Le chef du gouvernement provisoire n'y est pas allé par quatre chemins «Nous n'avons rien à cacher. La situation économique est très difficile. Elle est la conséquence des problèmes politiques et des tensions sociales que le pays a vécu au cours des 3 dernières années», a-t-il indiqué d'emblée.

M. Mehdi, qui parlait à ses compatriotes un mois après sa prise de fonction, a indiqué avoir demandé à son équipe de faire, d'abord, un diagnostic de la situation pour bien identifier les problèmes, élaborer des solutions et prendre les mesures qui s'imposent. «La situation économique s'est avérée plus difficile que nous l'avions imaginé», a-t-il lâché, dans une volonté de partager ses inquiétudes avec les Tunisiens et leur faire prendre conscience des sacrifices qui les attendent.

Un hara-kiri économique

La révolution de janvier 2011 n'avait pas que des causes politiques. Il y a avait aussi un grand déséquilibre entre les régions et le modèle économique en vigueur ne créait pas assez d'emplois pour les jeunes. Mais la révolution n'a pas apporté les solutions espérées. Pire encore: la situation socio-économique s'est dégradée au cours des 3 dernières années.

M. Jomaâ a cité, à ce propos, un certain nombre de chiffres qui montrent l'engagement du pays dans une véritable impasse: en 2010, l'Etat a investi 4,3 milliards dinars, dont 1,8 provenant d'emprunts extérieurs. En 2013, l'Etat a investi le même montant (4,3 milliards), mais les emprunts se sont élevés à 12 milliards. Pire encore : ce dernier montant n'a pas été orienté vers les investissements créateurs de richesses et d'emplois mais vers des dépenses de consommation, en raison, notamment, de la hausse de la compensation de certains produits de première nécessité (+270% en 3 ans) et des salaires (+41%).

Conséquence de ce hara-kiri économique: le budget de l'Etat a enregistré une hausse des dépenses de 11 milliards dinars, pour des recettes estimées à 4,5 milliards.

Autre conséquence: le pays a emprunté, en quatre ans (2014 compris), 23,5 milliards de dinars. Ce qui va porter son taux d'endettement extérieur à plus de 50% du PIB.

Pour boucler son budget pour 2014, l'Etat a besoin de mobiliser 12 milliards de dinars. Les ressources internes et externes pourraient assurer 7,8 milliards. Il reste à trouver les 4,2 milliards restants.

Le recours à l'emprunt intérieur

Tout en indiquant que le recours aux emprunts extérieurs s'avère inévitable, M.Jomaa a précisé que ses prochains voyages en France, aux Etats-Unis et aux pays du Golfe visent, entre autres objectifs, de mobiliser des aides financières. L'Etat va aussi recourir à un emprunt intérieur pour alimenter ses caisses et le gouvernement sera le 1er contributeur, a assuré le Premier ministre.

Ces ressources supplémentaires, qui vont alourdir l'endettement du pays, doivent être utilisées pour impulser l'économie et relancer le processus de développement. Et non pour payer les salaires, comme cela a été le cas jusque-là.

D'ailleurs, il n'y aura pas de recrutements, cette année, dans l'administration et les entreprises publiques, a averti M. Jomaa. Et pour cause : «On n'a pas de quoi les financer.»

Quant aux entreprises publiques, elles sont déjà en sureffectifs et souffrent de gros déficits, en raison notamment de la baisse de la production et de la productivité et de l'augmentation des effectifs. Exemple cité par le Premier ministre: le déficit de la compagnie aérienne nationale Tunisair représente 4 fois son capital.

Le déficit global des entreprises publiques s'élève, aujourd'hui, à quelque 3 milliards de dinars, chiffre qui risque d'augmenter si rien n'est fait pour sauver ces entreprises, les restructurer et les relancer... Or, assure M. Jomaa, l'Etat n'a pas les moyens d'injecter les fonds nécessaires pour soulager la trésorerie de ces entreprises.

Le chef du gouvernement provisoire n'a pas de baguette magique et la marge de manoeuvre de son gouvernement est assez réduite. Il ne le sait que trop. Aussi va-t-il commencer par les mesures susceptibles de donner des résultats rapides et palpables. Et d'abord en relançant les 250 projets publics bloqués pour des raisons essentiellement bureaucratiques. Les nouveaux gouverneurs, nommés vendredi dernier, devraient travailler avec des équipes techniques constituées à cet effet pour lever les obstacles et accélérer l'exécution des projets en suspens.

Le gouvernement va aussi inciter l'initiative privée par l'octroi de micro-crédits pour la création de petites et moyennes entreprises et l'auto-emploi, surtout dans les régions intérieures, afin d'y impulser la dynamique d'emploi.

L'accélération de l'adoption des nouveaux codes de l'investissement et des marchés publics devrait aider à relancer l'investissement privé et à attirer l'investissement extérieur. Un effort particulier sera fait par le gouvernement pour inciter les promoteurs à faire confiance au site Tunisie, alors que la situation politique et sécuritaire est en train de se stabiliser.

Une conférence nationale sur l'économie

«On ne doit pas laisser une situation encore plus difficile pour le prochain gouvernement», a souligné M. Jomaa, qui a annoncé la tenue, prochainement, d'une conférence nationale sur l'économie, avec la participation de toutes les parties concernées par la relance de la machine de production dans le pays.

«Pendant 3 ans, nous n'avons pas travaillé. Nous n'avons pas respecté les lois, ni les institutions de l'Etat. S'il y a une hausse des prix c'est parce qu'il y a une baisse de la production et de la productivité. Nous devons aujourd'hui revenir au travail, faire preuve de discipline et consentir des sacrifices. Chacun doit se demander ce qu'il peut donner aujourd'hui au pays», a conclu M. Mehdi, précisant que «les sacrifices doivent être faits par tous les Tunisiens, à l'exception des plus démunis, qui, eux, doivent être plutôt aidés.»