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Selon la Banque mondiale, les dispositions ayant généré la corruption en Tunisie sous l'ancien régime sont toujours en place, 3 ans après la Révolution...

Par Moncef Dhambri

Un rapport de la Banque mondiale (BM), publié hier, détaille les pratiques de corruption sous l'ancien régime et démontre la manière avec laquelle les réglementations étaient distordues pour servir les intérêts de la famille régnante.

La loi était faite de telle sorte que le clan des privilégiés proches du dictateur parvenait à engrenger 21% des profits que produisait le secteur privé, selon ce document de travail de la BM.

Pour l'institution financière internationale, les dispositions légales qui ont généré pareille corruption et l'exclusion sociale en Tunisie sont toujours en place, trois ans après la Révolution...

Capitalisme de connivence étendu

Cette étude de l'institution financière internationale, intitulée "All in the Family: State Capture in Tunisia" («Tout au sein de la famille: captation de l'Etat en Tunisie»), révèle que le clan Ben Ali investissait dans des secteurs porteurs qui étaient protégés par un ensemble d'autorisations préalables auxquelles s'ajoutait le recours au pouvoir de l'exécutif pour «tordre le cou» à la loi existante et donner satisfaction aux proches du régime, créant ainsi ce que BM décrit comme un «capitalisme de connivence étendu» («large-scale crony-capitalism»).

Le document de travail de la BM a rassemblé des données précises sur 220 entreprises qui ont été identifiées par la Commission tunisienne des confiscations, créée au lendemain de la Révolution.

Les auteurs du rapport de la BM mettent à nu de manière irréfutable la complicité qui existait entre le président déchu et ces entreprises coupables et l'influence dont Ben Ali faisait usage pour peser de tout son poids sur la législation tunisienne et protéger les intérêts de ses proches contre la concurrence.

De fait, sur une période de 17 années, il a été établi par la BM que pas moins de 25 décrets ont été promulgués de façon à instituer de nouvelles autorisations préalables dans 45 secteurs différents et imposer des restrictions nouvelles aux investissements directs étrangers dans 28 secteurs.

Il a résulté de toutes ces manipulations de la législation tunisienne une mainmise flagrante sur plus du cinquième des profits du secteur privé qui étaient accaparés par un réseau bien fermé d'un petit nombre d'entreprises.

Le rapport "All in the Family: State Capture in Tunisia" rappelle également que la Révolution a confisqué 550 propriétés immobilières, 48 bateaux et yachts, 367 comptes bancaires et près de 400 entreprises appartenant au clan Ben Ali.

Commentant les résultats du document de travail de la BM, Bob Rijkers, rédacteur principal de cette étude, a déclaré: «Nous faisons, avec ce document de travail, la démonstration que l'intervention de l'Etat dans la politique industrielle (sous le régime de Ben Ali, NDLR) était un écran de fumée qui dissimulait des situations de rente».

Les auteurs du rapport de la BM ne manquent de signaler que, s'il est vrai que la Tunisie de la Révolution a mis fin à l'ancien régime en 2011, la structure réglementaire qui avait permis au clan «Ben Ali, Trabelsi & Co.» de s'enrichir «est demeurée dans une très large mesure intacte».

Selon Antonio Nucifora, économiste-en-chef à la BM pour la région du Moyen Orient et de l'Afrique du nord et contributeur au rapport, «le problème avec ce capitalisme de connivence ne s'est pas limité aux pratiques de Ben Ali et de son clan (qui sont à présent mis hors d'état de nuire, NDLR). Aujourd'hui, ce système représente toujours un des défis majeurs du développement auquel la Tunisie fait face».

L'héritage de l'ère Ben Ali se perpétue

Le jugement de M. Nucifora est sans appel: «Trois ans après la Révolution, le système économique qui existait sous Ben Ali n'a pas été modifié de façon significative. Il est vrai que la Révolution a permis aux Tunisiens de se débarrasser du président Ben Ali et de la pire des corruptions sous son règne, cependant, les politiques économiques de l'ancien régime sont restées pour l'essentiel inchangées (...). L'héritage de l'ère Ben Ali perpétue ainsi l'exclusion sociale et ouvre également la porte à la corruption».

La Banque mondiale accepte, enfin, de tourner, une bonne fois pour toutes, la page de l'«Ere nouvelle» et du «Changement» de Zine El-Abidine Ben Ali. Le contenu et les conclusions de son «Tout au sein de la famille» reconnaissent l'erreur de jugement que l'institution financière mondiale, à l'instar du Fonds monétaire international (FMI), portait sur la «Tunisie émergente de Ben Ali» qu'elle présentait en modèle pour les autres pays en développement.

La BM et le FMI devraient accompagner leur «prise de conscience» tardive par une générosité plus grande envers la Tunisie du 14 janvier 2011. L'aveu de l'erreur de jugement ne suffit pas, ne nourrit pas...

Et il revient aussi à nos législateurs de changer, au plus vite, nos lois pour que les mêmes dispositions légales ne continuent pas à enfanter les mêmes maux dévastateurs.

Source: "All in the Family: State Capture in Tunisia", réalisé par Bob Rijkers,Caroline Freund et Antonio Nucifora. Ce document de travail de la Banque mondiale N° WPS6810 est accessible en anglais sur ce lien.