Alors que le Maroc a arraché un régime préférentiel pour l'exportation de ses produits agricoles vers l'Europe, la Tunisie accepte les obstacles à l'entrée de ses tomates et oranges dans le marché européen. Vidéo
Par Wajdi Khalifa, corresponsant à Bruxelles.
Alors que les négociations entre le Maroc et l'UE ont fini par aboutir à un accord sur l'introduction des produits agricoles marocains sur le marché communautaire, les tomates et oranges tunisiennes devront faire face à plus d'obstacles à partir de l'entrée en vigueur de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) en octobre prochain.
Une «mesure technique», dires-vous?
Le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne avaient approuvé en décembre dernier des changements au règlement concernant l'organisation commune des marchés agricoles pour simplifier le système de dédouanement des marchandises et le calcul des droits de douane en vue d'une mise en conformité avec le code douanier communautaire.
Ce nouveau système, qui sera d'application à partir du 1er octobre 2014, répond officiellement aux préoccupations des différents opérateurs européens et vise à une application objective et transparente du système de prix d'entrée. Mais cette réforme de la PAC risque de relever considérablement le prix d'entrée des produits agricoles d'origine hors UE, dont ceux venant de la Tunisie.
Concrètement le nouveau système propose que les fruits et légumes soient dédouanées sur la base d'une valeur forfaitaire, sans recours à la valeur réelle desdits produits.
Dans une réponse à Kapitalis, Denis Pommier, responsable de la cellule Agriculture et Développement rural au sein de la Délégation de l'Union européenne en Tunisie précise que «la mesure réglementaire concerne toutes les origines et tous les produits soumis au prix d'entrée. Elle ne vise donc pas la Tunisie en particulier et il faut préciser qu'elle ne concerne, par exemple, pas l'huile d'olive».
Barroso renvoie la balle aux Tunisiens, Mehdi Jomaa botte en touche: les agriculteurs tunisiens apprécieront.
Interrogé sur l'impact de ce changement sur l'exportation des produits agricoles tunisiens vers le Vieux-continent, Denis Pommier se veut rassurant: «Traditionnellement, les prix des fruits et légumes provenant de Tunisie sont supérieurs au prix d'entrée dans l'UE, ce qui est le cas notamment de la tomate tunisienne. Cette mesure technique n'est donc pas susceptible d'affecter les exportations tunisiennes».
Cette décision, qui modifie la procédure des exportations agricoles tunisiennes, aurait pu créer une tension entre la Tunisie et l'UE, comme cela peut se passer sous d'autres cieux et notamment au Maroc. Il n'en est rien! La Tunisie fait (comme souvent ) profil bas et décide de s'adapter à la nouvelle donne. Ainsi, au terme d'une réunion du conseil des ministres, tenue début mai dernier, sous la présidence du chef du gouvernement provisoire, Mehdi Jomaa, la révision des tarifs du trafic du transport aérien avait été décidée afin de renforcer l'exportation des fruits et légumes tunisiens.
Le Maroc se bat, la Tunisie se couche
Dès l'annonce de la mise en oeuvre du PAC, le Maroc avait dénoncé cette décision unilatérale et entamé des négociations en vue d'aboutir à un accord avec le partenaire européen en menaçant de suspendre l'accord de pêche conclu entre les deux parties. Le lobbying intense des dernières semaines a fini par porter ses fruits dans la mesure où un accord a finalement été trouvé pour l'introduction sur le marché communautaire des différents produits agricoles marocains dont la fraise, l'ail, le concombre et la tomate cerise avec un régime préférentiel.
Face à cette situation, la Tunisie est, elle aussi, en droit de réclamer le bénéfice de telles concessions de la part des différentes instances européennes. Interpellé sur cette question par Kapitalis, lors de sa récente visite aux institutions européenne, Mehdi Jomaa a préféré botter en touche en précisant (vidéo) que «nos amis européens savent que nous sommes dans un contexte économique difficile et ils sont prêts à nous accorder toute la souplesse et la flexibilité nécessaires».
Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a, pour sa part, précisé à Kapitalis que «l'UE n'avait pas reçu de demande similaire de la Tunisie et que s'il y avait une question semblable, l'UE sera prête à l'évaluer».
Cette situation confirme ainsi les propos du commissaire européen en charge de l'Elargissement et de la Politique européenne de voisinage, Stefan Füle, qui, en visite au Royaume chérifien, en mai dernier, avait déclaré que «le Maroc a une vision stratégique de ses relations avec l'Europe». C'est sans doute cette vision stratégique qui continue de manquer à la Tunisie afin de profiter de différentes mesures efficientes en sa faveur.
Mais cette différenciation de traitement, qui surprend surtout dans le contexte économique actuel de la Tunisie, devrait interpeller aussi les différentes institutions européennes car in fine cela provoque des ressentiments au niveau de la population. Ainsi, et si l'on en croit les conclusions du dernier Baromètre du voisinage de l'UE sur les pays du Maghreb, une écrasante majorité de marocains (87%) estime que l'UE a de bonnes relations avec le Maroc contre à peine 69% des Tunisiens!
Article lié :
Agriculture: L'UE verrouille l'importation des fruits et légumes tunisiens
{flike}