A la fin d'août 2014, le déficit commercial de la Tunisie a dépassé 9.060 millions de dinars (MD). Un gap inédit dans l'histoire économique du pays.
Par Aref Slama
Ce déficit, qui s'est creusé de 24,5% par rapport à la même période de l'année précédente, est imputable à la régression des exportations (0,7%) contre une hausse importante des importations (6,7%). L'écart a été observé au niveau de l'alimentaire et de l'énergie. La situation menace les équilibres de la trésorerie de l'Etat en devises et risque de compromettre sa solvabilité.
L'arbre qui cache la forêt
Pour appréhender la position extérieure d'un pays, l'analyse du solde commercial doit être complétée par l'évaluation du solde de sa balance des paiements qui retrace les flux des opérations en capital et investissements étrangers afin d'estimer le niveau de couverture des engagements par les avoirs extérieurs.
Il s'agit d'un indicateur capital pour la conduite de la politique conjoncturelle et pour enregistrer les réponses des marchés aux sollicitations des décisions monétaires et budgétaires. Les tendances, sur ce plan, influencent le cours du change par les anticipations des opérateurs et par le jeu des rééquilibrages macroéconomiques nécessaires pour respecter la contrainte extérieure.
L'effondrement historique du solde commercial national s'est conjugué à une dégradation du solde des paiements extérieurs. Les prémices de la chute ont été observées dès la fin de l'exercice 2013 du fait que le solde général des opérations en capital a baissé de 3.263 MD et la position extérieure globale a affiché un solde déficitaire record de 85.635 MD. Ces tendances abyssales continuent de se confirmer.
Il est inquiétant de voir la situation dégénérer de cette façon chaotique malgré les tirages faits sur les crédits extérieurs. L'impact de cette dégringolade provoque un glissement sans précédent du dinar. Ceci est du à deux raisons : l'écart entre l'inflation en Tunisie et ses partenaires étrangers, qui dépasse actuellement 5%, et la pression sur l'achat des devises auprès des banques locales pour financer des importations destinées presqu'exclusivement à une nouvelle économie souterraine prenant manifestement le dessus sur l'économie formelle.
Mehdi Jomaa en visite aux entrepôts du port de Radès, par où transite l'essentiel du commerce extérieur tunisien.
Peut-on encore sauver les meubles?
Ces trois dernières années, le secteur extérieur, qui souffre structurellement de déséquilibre et d'incohérence, a été gravement impacté aussi bien par les effets des chocs extérieurs que par la prolifération des structures d'importation anarchiques et dont le nombre dépasse aujourd'hui celles qui opérant dans les centres financiers off-shore les plus connus au monde. Ceci a causé une hémorragie au niveau des avoirs nationaux en devises étrangères et affecté le système productif et de l'emploi déjà fragile.
Aucune stratégie n'a été adoptée pour éradiquer les fléaux de l'informel et de l'anarchie qui gangrènent les secteurs de l'économie et dont le volume d'affaires, selon la Banque Mondiale, dépasse 38% des transactions financières en Tunisie.
Face à l'intensification de la concurrence internationale, il est impératif d'améliorer la productivité des différentes branches économiques et notamment du travail, pour monter en gamme et accroître la valeur ajoutée tout en minimisant le recours à l'insertion de la Tunisie dans l'économie de sous-traitance mondiale qui engendre des pressions salariales et la précarisation des conditions du travail.
Il faut reconnaitre qu'on est loin actuellement de valoriser notre potentiel exportateur, moteur principal de la croissance et de la prospérité compte tenu des perspectives floues de la politique générale du pays et vu l'absence de partenariats solides et rentables.
Ce qui est inquiétant aussi, c'est la précipitation pour mettre en œuvre des réformes économiques décisives pour l'avenir du pays, telles que celle du secteur bancaire, ou encore la promulgation d'une nouvelle loi sur la concurrence et les prix et la refonte de la réglementation régissant le partenariat public-privé, sans réel débat national.
La restructuration du modèle de développement et le renforcement de la souveraineté économique nationale ne sont que des slogans creux qu'on ne cesse malheureusement de scander dans une Tunisie au bord de la ruine, dont les indicateurs macroéconomiques témoignent.
Evidemment, si l'incertitude politique se poursuit, même après les prochaines élections législatives et présidentielle, qui donneraient, fort probablement, un paysage politique similaire à celui qui règne depuis le 23 octobre 2011, les déficits publics et en solde du capital ne pourraient que se creuser irréversiblement.
Espérons que les évolutions en cours nous démentiront...
Illustration: Port de Radès.
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