Les objectifs du programme économique d'Ennahdha ont défrayé la chronique. Au-delà de leur portée électoraliste, tous les observateurs doutent qu'ils soient vraiment réalisables.
Par Aref Slama
Le mouvement Ennahdha promet une croissance de la valeur ajoutée économique de 6%, en moyenne, pour les 5 prochaines années et une maîtrise de l'augmentation des prix de 4%. Quant au déficit public, il sera limité à 3% et l'encours de la dette nationale rapporté au produit intérieur brut (PIB) ne dépassera pas 45%. Une baisse du taux de chômage au dessous de 10% est également envisagée. Cependant, le lot des promesses est beaucoup plus conséquent.
Vue d'ensemble
Le mouvement Ennahdha expose un programme électoral dominé par les valeurs de l'économie sociale du marché – un concept hautement pointu et actuel – mais avec des interférences au niveau des valeurs, des politiques et des moyens de réalisation avec une orientation purement libérale et capitalistique dans une Tunisie désormais presque sans capital.
La dimension populiste, qui se base sur un train de mesures que le mouvement espère concrétiser, nécessite, à son tour, une lecture de près.
Il s'agit, en somme, d'engagements pour la construction de milliers de kilomètres de routes et d'autoroutes, l'édification de nouveaux ports modernes, l'ouverture de l'espace aérien avec l'Union Européenne, le développement des produits du tourisme et la création de pôles hospitaliers avec une capacité d'accueil additionnelle de 25%.
D'un autre côté, on évoque la mise en place d'une caisse nationale d'assurance chômage, l'octroi d'avantages fiscaux aux Tunisiens résidents à l'étranger, l'encouragement de la main d'œuvre tunisienne à travailler en Afrique subsaharienne, le doublement de la bourse universitaire et l'élargissement de la base des bénéficiaires et l'augmentation de l'aide aux familles nécessiteuses dorénavant très nombreuses.
Tout ceci paraît soigneusement corrélé à la concrétisation prochaine de réformes structurelles se rapportant principalement à l'amélioration du climat des affaires, à la restructuration du secteur bancaire, à la refonte du système fiscal, à l'assainissement de la situation financière des entreprises publiques, aux restructurations des caisses sociales et à l'inclusion des activités informelles au sein du cycle formel de l'économie.
Les moyens s'accordent-ils avec les fins?
Pour aller au bout de ses ambitions de hisser la Tunisie au niveau des pays émergents, Ennahdha compte mettre au point des programmes nationaux d'infrastructure, des plans de transition numérique et des dispositifs de soutien à l'économie et ce, dans une optique où le rôle de l'Etat s'arrête à la régulation tout en oeuvrant à garantir l'avenir de la population en matière de sécurité alimentaire, énergétique et écologique, à assurer les services éducatifs de base et à réaliser l'égalité sociale et régionale.
Il est utile donc de rappeler qu'Ennahdha adopte plutôt une approche macroéconomique complexe et pas un vrai programme électoral pour deux raisons: la fragilité du potentiel économique actuel et la nécessité d'au moins 10 ans pour concrétiser les objectifs fixés au dit programme dans un contexte beaucoup plus propice.
Faut-il rappeler qu'il était plus utile que le programme indique les voies de sauvetage de l'économie avant de présenter des mesures ayant pour objectifs d'atteindre une stabilité macroéconomique qui nécessite des réformes fondamentales s'étalant sur le long terme pour aboutir à la création d'un environnement économique favorable à l'investissement et à la création d'emplois.
Parallèlement, il est nécessaire de dire que le programme n'a pas défini les modalités de mobilisation des moyens financiers et humains pour concrétiser les restructurations à élaborer pour améliorer la croissance, repenser la politique d'investissement, réformer le secteur financier, renflouer les caisses sociales et redistribuer équitablement la richesse.
Pour appliquer les réformes économiques promises, on aurait pu proposer des mesures tangibles qui devraient normalement s'articuler autour d'axes variés tels que la création de groupes chargés des réformes de grande capacité et l'élaboration d'un plan d'intégration économique régionale et internationale.
Il est clair que le programme électoral d'Ennahdha ne peut pas attirer l'intérêt du public vu qu'il n'a pas accordé l'importance nécessaire au retour de la sérénité et de la confiance qui ne pourraient être acquises que par une meilleure planification et par la stabilité du climat politique chose que ne garantit pas le régime assembléeiste désormais en vigueur en Tunisie.
Ce même programme n'accorde pas l'importance que mérite la politique monétaire, véritable épine dorsale de toute réelle et profonde mutation.
Il semble qu'Ennahdha n'a pas assez de compétences, malgré 3 ans de pouvoir, pour mettre en œuvre les plans de quantification des coûts et des risques des plans de relance qui sont sophistiqués et complexes et loin des ambitions électoralistes et populistes.
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