L'IACE, CIPE et Stanford University conduisent une étude sur le marché informel en Tunisie qui fut envisagée dans les années 90, mais interdite sous Ben Ali.
Par Nabil Ben Ameur
L'hydre du marché parallèle commence à livrer ses secrets. Ce pan insondable de l'économie tunisienne fait l'objet depuis 5 mois d'une étude conduite dans le cadre d'un travail recherche portant plus globalement sur le commerce transfrontalier informel.
Initiée par l'Institut arabe des chefs d'entreprises (IACE), en collaboration avec deux organismes américains – Center for International Private Entreprise (CIPE) et Stanford University –, cette étude intitulée «Réforme des écosystèmes entrepreneuriaux dans l'Egypte et la Tunisie postrévolutionnaire» est menée par deux universitaires tunisiens, Noomen Lahimer et Bilel Belaaj.
Cet enseignant à l'Ecole supérieure de commerce de Sfax analyse les écosystèmes des régions notamment pour savoir s'il faudrait que chaque écosystème soit spécifique à la région où il se trouve.
Noomen Lahimer, professeur à Mediterranean School of Business (MSB), travaille, quant à lui, sur le commerce transfrontalier à Ben Guerdane. Sur ce volet de l'étude, le marché parallèle, l'IACE prend en fait le relais de la... Tunisian American Chamber of Commerce (TACC) qui, dans les années 90, avait envisagé de lancer une étude de ce phénomène, toujours en collaboration avec CIPE. Mais le marché parallèle étant contrôlé, en partie au moins, par des opérateurs proches de l'entourage de l'ancien président, les autorités de l'époque se sont fermement opposées à ce que TACC et cet organisme américain y fourrent leur nez.
Après avoir, dans un premier temps, envisagé d'étudier le commerce transfrontalier à la fois sur les frontières avec l'Algérie et la Libye, l'IACE et ses partenaires se sont finalement concentrés sur la délégation de Ben Guerdane. Le but étant de trouver le moyen non pas d'éradiquer totalement et immédiatement ce phénomène mais de le domestiquer pour l'intégrer progressivement au secteur formel.
Le commerce informel transfrontalier fait vivre de nombreuses régions au sud et à l'ouest de la Tunisie.
Pour ce faire, Noomen Lahimer croit nécessaire d'adopter une démarche de construction de la confiance mutuelle. A ce stade de l'étude, l'universitaire – qui a présenté mardi 30 septembre ses premières conclusions à un panel composé d'experts, journalistes, politiques, etc. – suggère d'associer la société civile à cet effort, dans le cadre de commissions regroupant toutes les parties concernées.
Ces commissions seraient en particulier chargées de délivrer des «permis de commerce frontalier» – qui pourraient être vendus et achetés sur un marché dédié, comme les droits d'exploitation des voitures de louage – et de fixer des quotas aux bénéficiaires.
La mise en place de ce dispositif fait partie d'un plan d'action en 5 points prévoyant également la régulation des transferts informels de fonds, la promotion de l'entrepreneuriat formel et la réalisation d'investissements publics dans la région.
D'après Noomen Lahimer, cette démarche – qui doit encore être validée – présente 7 avantages : la construction de la confiance mutuelle «grâce à la reconnaissance formelle des atouts de la région», la réduction des risques liés à l'illégalité, la baisse de la corruption (au sein de l'administration et plus particulièrement de la douane), la restriction du commerce frontalier à la région de Ben Guerdane, la réduction du pouvoir oligopolistique des grossistes de ce commerce – au nombre de 60, selon l'universitaire –, la diminution du volume et, partant, de la valeur, des marchandises illégalement importées, et une meilleure connaissance du commerce transfrontalier grâce à la construction d'une base de données.
Vaste programme dont les conclusions et recommandations doivent être étudiées attentivement pour éviter que le remède proposé n'ait pour résultat d'aggraver le mal qu'il est supposé guérir.
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