Fidèle au legs socialiste de la gauche plurielle, le Front populaire propose un programme économique qui privilégie le rôle de l'Etat et insiste sur la souveraineté nationale.
Par Aref Slama
Le Front poplaire (Al-Jabha) considère son programme électoral dans tous les domaines comme une alternative à ceux de la troïka et des autres partis. Au-delà de sa notoriété historique indiscutable, Al-Jabha pourra-t-elle vraiment convaincre et mettre en route ses propositions dans un contexte de turbulences aussi bien sur le plan national qu'international?
Renforcer la souveraineté économique
Le Front est resté fidèle à ses convictions, qui l'ancrent à gauche et le situent de toute évidence dans une vision de démocratie sociale. En effet, sur le plan économique et, particulièrement, dans l'industrie, qui a une valeur symbolique, il veut donner la priorité aux branches productives de richesses et d'emplois, en diversifiant le tissu industriel, sa mise à niveau et l'adoption de politiques visant à renforcer l'investissement dans les industries à forte valeur ajoutée.
Pour y parvenir, Al-Jabha promet d'assurer la protection des différentes filières créant la valeur ajoutée nationale escomptée contre la concurrence étrangère déloyale et garantir une indépendance vis-à-vis des accords incompatibles avec la souveraineté du pays en s'ouvrant sur de nouveaux partenaires et marchés notamment arabes, maghrébins et africains.
Quant à l'agriculture, Al-Jabha entend prendre un train de mesures concernant principalement la réforme de la gestion des terres domaniales et la réduction de la dispersion de la propriété agricole. Le Front envisage aussi l'annulation des dettes des petits agriculteurs et des marins-pêcheurs, l'encouragement de la création des coopératives, la restauration des semences locales, en particulier dans le domaine de la culture céréalière, la mise en œuvre d'une politique de prix équitable pour les petits et moyens exploitants et, ce pour atteindre l'objectif tant souhaité par des générations de planificateurs: l'autosuffisance alimentaire.
Sans complexe idéologique ni préjugés, le secteur financier est au centre des intérêts d'Al-Jabha qui projette sa restructuration afin d'assurer un financement efficace de l'activité économique tout en gardant les banques publiques sous la tutelle directe de l'Etat comme régulateur principal.
Les camarades de Hamma Hammami n'ont pas totalement renié le legs communiste et notamment le crédo du tout Etat.
La démocratie économique et sociale
Sûre de sa capacité de gouverner selon une approche qui lie intimement le social à l'économique, Al-Jabha compte jeter les fondements d'une économie sociale et solidaire. Un objectif difficile à atteindre selon ce parti sans une politique qui rompe avec la privatisation des entreprises publiques opérant dans les secteurs stratégiques, le transport, les communications, le secteur bancaire, l'énergie, l'eau, les hydrocarbures, le gaz naturel et l'exploitation minière. Cette mesure phare, qui reflète une vue militante et fortement imprégnée du patrimoine idéologique d'Al-Jabha, requiert le réexamen de tous les contrats attribués aux entreprises étrangères dans les domaines stratégiques en question.
Tout en refusant l'ingérence «impérialiste» des multinationales, de la mauvaise finance et des capitaux étrangers, Al-Jabha favorisera le capital national pour qu'il puisse investir dans les domaines prioritaires pour un développement durable, sous l'œil bienveillant de l'Etat et bénéficier des privilèges fiscaux pour chaque investissement dans les zones intérieures du pays.
Un chiffrage plutôt sommaire
Une revue des principaux chiffres avancés par Al-Jabha fournit un aspect particulièrement frappant, à savoir la disparité remarquable entre les ambitions électorales et les moyens de leur réalisation.
Superbement, le parti table sur un coût total d'investissements de 53.250 millions de dinars (MD), des investissements directs dédiés au développement et à l'infrastructure de l'ordre de 31.200 MD, des interventions sociales à hauteur de 6.150 MD, le financement de la caisse de compensation de 13.400 MD pour les 5 prochaines années, l'augmentation du taux de croissance pour passer de 3 à 7% à l'horizon 2017 et la réduction de l'inflation pour atteindre 3,5%. In fine la création de 375.000 emplois...
Assez logiquement, Al-Jabha a orienté son programme vers le rejet des politiques qu'elle juge trop libérales, le refus du turbo-capitalisme et la nécessité de mettre en place des politiques sociales qui feraient adhérer la majorité des Tunisiens.
Toutefois, il est aujourd'hui évident, vu les dégâts causés par la troïka et la difficulté de la conjoncture, que malgré la bonne volonté et l'approche militante d'Al-Jabha, la réalisation de ces objectifs reste difficile à concrétiser surtout lorsqu'on ne précise pas les sources de financement d'un programme ô combien coûteux.
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