Dans le vacarme électoral, la loi de finances et le budget de l'Etat pour l'exercice 2015 risquent de passer inaperçus malgré leur extrême importance pour l'avenir du pays.
Par Aref Slama
Depuis l'accès de la «troïka» au pouvoir, les ressources budgétaires dont disposent l'Etat ne suffisent plus à assumer correctement ses missions. La situation n'a fait que s'aggraver avec le recours excessif à l'endettement extérieur pour combler principalement le déficit et non pour l'investissement, un réel désastre qui a accentué des problèmes déjà lourds de conséquences.
Acrobaties budgétaires
Dans les failles structurelles de loi sur l'organisation des pouvoirs provisoires, une nouvelle brèche s'ouvre et laisse libre court à une interprétation et même à des pratiques inédites dans l'histoire contemporaine de la Tunisie.
Un bref rappel des principes ordinaires régissant la procédure de l'élaboration du budget de l'Etat met en évidence certaines anomalies facilement décelables et remettant en cause les règles fondamentales dans ce domaine.
Selon la procédure ordinaire, et après avoir présenté début octobre le projet de la loi de finances et le budget de l'Etat au conseil des ministres pour approbation, le gouvernement Jomaa doit les présenter, le 25 octobre 2014 au plus tard, à l'Assemblée nationale constituante (ANC) qui doit partir normalement un jour après et laisser la place à une nouvelle assemblée. Autre bizarrerie : cette même nouvelle assemblée doit approuver, avant le 31 décembre 2014, une loi de finances et un budget de l'Etat élaborés et adoptés respectivement par un gouvernement et une assemblée déjà partis...
Ces transgressions des délais et des procédures aussi bien par le gouvernement «technocrate» provisoire que par l'assemblée sortante sont dues essentiellement au mauvais choix des priorités.
Au fait, l'ANC a «perdu» un temps précieux à débattre des projets de lois économiques controversées tels que ceux relatifs à la création de la gestion d'actifs, au partenariat public-privé (PPP), à la concurrence et les prix et à la réforme bancaire. Ceci a retardé considérablement le débat sur le budget de l'Etat et la loi de finances.
Le lourd héritage de la «troïka»
Une fois approuvé, le budget de l'Etat pour l'année 2015 verra le jour tronqué, mutilé et peu conforme aux attentes des principaux acteurs économiques et sociaux du pays. Il risque aussi de maintenir voire de creuser un déficit abyssal.
La «troïka» (l'ex-gouvernement de coalition dominé par le parti islamiste Ennahdha), et les éventuelles influences qu'elle exerce sur les technocrates et dont les résultats se font sentir jour après jour dans la débâcle économique totale, laissera le pays dans le besoin urgent en financement estimé à 5.000 millions de dinars (MD), sachant que les tirages des investissements publics ne dépasseront pas les 20%. De surcroit, le pays aurait besoin de 7.000 MD additionnels rien que pour gérer les affaires courantes.
Quant à l'emploi et au développement, slogans longtemps scandés par la jeunesse désorientée et les masses appauvries, ils ne seront plus à l'ordre du jour du budget 2015.
Ce budget va endiguer tout espoir de retrouver des ressources de financement extérieur même sous leur forme classique et coûteuse sur les marchés financiers internationaux dont les taux frôlent les 7% pour une dette souveraine qui atteint 53% du PIB et un financement interne en veilleuse en raison de niveaux atypiques de déficits jumeaux.
Combler le déficit et trouver de nouvelles ressources
En somme, le brouillard méthodologique et les distorsions qu'on a fait subir au budget de l'Etat risquent de provoquer inutilement de nouvelles crises dans l'opinion publique et torpiller tout effort de gagner la confiance des bailleurs de fonds. On se rend compte, surtout, à quel point la confusion dans les finances publiques brouille maintenant le bon fonctionnement du pays et le débat public.
Il faut aborder de front les vrais problèmes économiques du moment: une croissance économique quasi inexistante, une sérieuse détérioration de la balance des échanges extérieurs, une faible productivité des entreprises, des insuffisances budgétaires, etc. C'est à cela qu'il faut s'attaquer avec un autre gouvernement bien sûr!
La situation ne s'améliorera pas tant que le prochain gouvernement ne ramènera pas les dépenses publiques sous contrôle, ne comblera pas le déficit et ne cherchera pas de nouvelles ressources pour le budget afin remédier aux dégâts causés par des gouvernements incompétents post-révolution, qui ont marqué l'histoire de nos villes et villages par le spectacle des monticules d'ordures témoignant de leur passage.
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