«Quoiqu’il arrive, nous serons toujours là pour soutenir les Tunisiens à construire leur démocratie», déclare à Kapitalis Philippe Tabut, directeur général d’International Service Center, une entreprise française off-shore.
Au moment des émeutes, Philippe, comme tous les Français (résidents ou touristes), a répondu à l’appel de son ambassade et quitté, contraint, la Tunisie en attendant le retour au calme. Mais, entre-temps, il n’a pas coupé le contact avec ses employés. Au contraire, il a été, des jours durant, collé au téléphone, appelant ses employés, un à un, pour les consoler et les prier de ne pas mettre le nez dehors en attendant que tout se normalise.
Une fermeture de courte durée
«Il est, certes, d’une rare gentillesse, mais jusqu’à quand! Ça fait déjà quatre jours que l’entreprise est fermée et nous sommes inquiets. Si ça continue, l’entreprise risque de perdre ses clients et de finir par être délocalisée. Comme une bonne majorité de diplômés, nous craignons d’être expédiés au chômage...», raconte Hedia, une responsable dans l’entreprise. C’était le premier vendredi après la fuite du despote.
Philipe Tabut entouré de ses employées tunisiennes.
Le train-train quotidien n’a pas tardé à reprendre peu à peu. Malgré les grèves (notamment dans le transport) et le couvre-feu, les employés de l’entreprise ont vite repris le travail et la coordination s’est faite presque naturellement. On se relayait en «bossant» même le dimanche. Ce qui n’a pas laissé insensible Philipe Tabut, lui aussi de retour après une courte absence.
«On n’est pas encore à la fin du mois et le patron nous a payé la totalité de notre salaire de janvier. Mieux encore: il nous a même servi une rallonge de 100 dinars chacun. C’est extraordinaire! Il continue de nous assurer le transport et de nous offrir le déjeuner de midi. Nous devons être seulement à la hauteur», raconte Hamida.
Philippe se sent comme chez lui
C’est au cœur de la Charguia II, zone industrielle qui pullule d’usines et d’entreprises, que Philippe a choisi d’implanter son enseigne havraise, au deuxième étage d’un immeuble qui ne paye pas de mine. L’entreprise, qui s’étend sur 800 m², est dotée d’équipements modernes. 150 jeunes diplômés âgés de 23 à 35 ans y travaillent depuis l’été 2010.
«Depuis 2007, je faisais des allers retours en Tunisie et étudiais le marché avant de mettre sur pied la structure de notre activité. Légalement, la société a vu le jour en 2008 et en février de cette même année, nous avons commencé le travail avec une petite équipe de seulement 30 personnes…», précise le patron de cette société exportatrice sous traitement de la société mère sise au Havre et qui gère des sinistres d’assurances (call center classique) et fait des études de dossiers pour la clientèle française.
Philipe, calme et peu bavard, dit comprendre la colère légitime du peuple. «Franchement, je n’étais pas très inquiet. Les Tunisiens sont d’un niveau intellectuel très élevé et il fallait s’y attendre un jour. Les Français ont déjà fait leur révolution en 1789, puis se sont soulevés en mai 1968 et la dictature n’a pas chez eux de place. Ici, ça commence et nous sommes confiants en ce peuple de rare maturité. Mais, ce qui m’a agacé, pendant les premiers jours de la révolution, c’est le traitement de la presse étrangère. Sacrifiant au goût du sensationnel, elle a présenté la situation comme une guerre civile. J’ai préféré me renseigner auprès de mes employés et c’était le moment ou jamais pour afficher ma solidarité avec l’équipe», explique Philippe. Il tient aussi à préciser: «Moi, je travaille au quotidien avec des gens que j’aime bien et pas avec le gouvernement ou avec Ben Ali. Et si on avait choisi de nous installer en Tunisie, c’est parce qu’il y a ces compétences. Et au bout de comptes, l’entreprise n’a fermé que 4 jours et nous allons relancer la machine au plus vite.»
Le mot de la fin: «Si vous réussissiez cette révolution, vous serez le premier pays arabe à introduire la démocratie dans la région et c’est fantastique ! Vous devez être fiers aujourd’hui».
Vive la révolution et à nous la démocratie !
«Depuis les événements de Kasserine, on s’est dit qu’il allait se passer quelque chose et j’ai eu vraiment peur. J’ai eu peur que tout bascule dans la répression, que la situation économique se détériore et que les investisseurs étrangers partent…», confesse Karim Chalouati, un gestionnaire d’assurances. Ce n’est qu’en voyant le comportement de son directeur et en reprenant vite le boulot qu’il a été soulagé et a repris confiance en l’avenir.
Son collègue Majed Ferchichi, lui aussi, a eu la trouille. «J’ai eu la peur de ma vie. Je suis père de famille et perdre mon travail aurait été la pire chose pour moi. Mais ma surprise fut grande quand j’ai vu le soutien de la direction».
Comme Majed et Karim, les autres employés, Jamila, Olfa, Rim, Naoual, Mohamed… sont fiers de leur révolution. «La révolution, c’est nous. La révolution veut dire plus jamais de corruption et les investisseurs, qui avaient peur de la dictature, vont maintenant venir», pensent-ils.
Soufiène est Algérien, mais il s’est «toujours senti de pur sang tunisien». «Les peuples arabes sont en train de se réveiller (enfin!) pour réaliser leur transition démocratique, dit-il. Ce que j’aime, c’est cette solidarité entre les jeunes du monde qui se partagent les idées sur le Net. Mais en revanche, il y a quelque chose qui me gène: tout le monde est devenu politique et fait parfois n’importe quoi. Je dis à tous les Arabes, n’ayez pas peur, vous êtes sur la bonne voie».
Zohra Abid
Tunisie. Le travail reprend dans les entreprises off-shore
«Quoiqu’il arrive, nous serons toujours là pour soutenir les Tunisiens à construire leur démocratie», déclare à Kapitalis Philipe Tabut, directeur général d’International Service Center, une entreprise française off-shore.
Au moment des émeutes, Philippe, comme tous les Français (résidents ou touristes), a répondu à l’appel de son ambassade et quitté, contraint, la Tunisie en attendant le retour au calme. Mais, entre-temps, il n’a pas coupé le contact avec ses employés. Au contraire, il a été, des jours durant, collé au téléphone, appelant ses employés, un à un, pour les consoler et les prier de ne pas mettre le nez dehors en attendant que tout se normalise.
Une fermeture de courte durée
«Il est, certes, d’une rare gentillesse, mais jusqu’à quand! Ça fait déjà quatre jours que l’entreprise est fermée et nous sommes inquiets. Si ça continue, l’entreprise risque de perdre ses clients et de finir par être délocalisée. Comme une bonne majorité de diplômés, nous craignons d’être expédiés au chômage...», raconte Hedia, une directrice dans l’entreprise. C’était le premier vendredi après la fuite du despote.
Le train-train quotidien n’a pas tardé à reprendre peu à peu. Malgré les grèves (notamment dans le transport) et le couvre-feu, les employés de l’entreprise ont vite repris le travail et la coordination s’est faite presque naturellement. On se relayait en «bossant» même le dimanche. Ce qui n’a pas laissé insensible Philipe Tabut, lui aussi de retour après une courte absence.
«On n’est pas encore à la fin du mois et le patron nous a payé la totalité de notre salaire de janvier. Mieux encore: il nous a même servi une rallonge de 100 dinars chacun. C’est extraordinaire! Il continue de nous assurer le transport et de nous offrir le déjeuner de midi. Nous devons être seulement à la hauteur», raconte Hamida.
Philipe se sent comme chez lui
C’est au cœur de la Charguia II, zone industrielle qui pullule d’usines et d’entreprises, que Philippe a choisi d’implanter son enseigne havraise, au deuxième étage d’un immeuble qui ne paye pas de mine. L’entreprise, qui s’étend sur 800 m², est dotée d’équipements modernes. 150 jeunes diplômés âgés de 23 à 35 ans y travaillent depuis l’été 2010.
«Depuis 2007, je faisais des allers retours en Tunisie et étudiais le marché avant de mettre sur pied la structure de notre activité. Légalement, la société a vu le jour en 2008 et en février de cette même année, nous avons commencé le travail avec une petite équipe de seulement 30 personnes…», précise le patron de cette société exportatrice sous traitement de la société mère sise au Havre et qui gère des sinistres d’assurances (call center classique) et fait des études de dossiers pour la clientèle française.
Philipe, calme et peu bavard, dit comprendre la colère légitime du peuple. «Franchement, je n’étais pas très inquiet. Les Tunisiens sont d’un niveau intellectuel très élevé et il fallait s’y attendre un jour. Les Français ont déjà fait leur révolution en 1789, puis se sont soulevés en mai 1968 et la dictature n’a pas chez eux de place. Ici, ça commence et nous sommes confiants en ce peuple de rare maturité. Mais, ce qui m’a agacé, pendant les premiers jours de la révolution, c’est le traitement de la presse étrangère. Sacrifiant au goût du sensationnel, elle a présenté la situation comme une guerre civile. J’ai préféré me renseigner auprès de mes employés et c’était le moment ou jamais pour afficher ma solidarité avec l’équipe», explique Philippe. Il tient aussi à préciser: «Moi, je travaille au quotidien avec des gens que j’aime bien et pas avec le gouvernement ou avec Ben Ali. Et si on avait choisi de nous installer en Tunisie, c’est parce qu’il y a ces compétences. Et au bout de comptes, l’entreprise n’a fermé que 4 jours et nous allons relancer la machine au plus vite.»
Le mot de la fin: «Si vous réussissiez cette révolution, vous serez le premier pays arabe à introduire la démocratie dans la région et c’est fantastique ! Vous devez être fiers aujourd’hui».
Vive la révolution et à nous la démocratie !
«Depuis les événements de Kasserine, on s’est dit qu’il allait se passer quelque chose et j’ai eu vraiment peur. J’ai eu peur que tout bascule dans la répression, que la situation économique se détériore et que les investisseurs étrangers partent…», confesse Karim Chalouati, un gestionnaire d’assurances. Ce n’est qu’en voyant le comportement de son directeur et en reprenant vite le boulot qu’il a été soulagé et a repris confiance en l’avenir.
Son collègue Majed Ferchichi, lui aussi, a eu la trouille. «J’ai eu la peur de ma vie. Je suis père de famille et perdre mon travail aurait été la pire chose pour moi. Mais ma surprise fut grande quand j’ai vu le soutien de la direction».
Comme Majed et Karim, les autres employés, Jamila, Olfa, Rim, Naoual, Mohamed… sont fiers de leur révolution. «La révolution, c’est nous. La révolution veut dire plus jamais de corruption et les investisseurs, qui avaient peur de la dictature, vont maintenant venir», pensent-ils.
Soufiène est Algérien, mais il s’est «toujours senti de pur sang tunisien». «Les peuples arabes sont en train de se réveiller (enfin!) pour réaliser leur transition démocratique, dit-il. Ce que j’aime, c’est cette solidarité entre les jeunes du monde qui se partagent les idées sur le Net. Mais en revanche, il y a quelque chose qui me gène: tout le monde est devenu politique et fait parfois n’importe quoi. Je dis à tous les Arabes, n’ayez pas peur, vous êtes sur la bonne voie».
Zohra Abid
Légende 1: Philipe Tabut, dans sa plateforme d’International Service Center.
Légende 2 : Philipe Tabut entouré de ses employés tunisiens.