En guise d'adieu, Mme Karboul a brossé un tableau peu reluisant de l'état du tourisme en Tunisie. Tout en mettant en exergue son propre apport: la «Stratégie, vision 3+1».
Par Anouar Hnaïne
Bonne humeur et forme olympique, elle y a va de sa voix claire, sans état d'âme. «En 2015 je ne serai pas là, c'est une décision personnelle, j'estime avoir donné beaucoup dans ma carrière. Cela fait 21 ans que je travaille sans relâche, il est temps que je m'occupe de mes enfants», comme pour rassurer ses deux filles et son père, présents dans la salle bondée de journalistes et autres acteurs du tourisme. Ceci pour la vie familiale.
Pour le bilan, objet de sa rencontre avec les médias, Mme Karboul, ministre du Tourisme, flanquée des principaux directeurs de son département, a donné une image assez positive de son exercice. Des extraits de presse étrangère – évidemment élogieux – sont projetés sur l'écran où les superlatifs succèdent aux adjectifs. Sous cet angle, nous sommes rassurés. Elle affirme: «Notre gouvernement a été appelé pour 3 objectifs : améliorer la sécurité, mener à bien les élections et développer l'économie, nous avons gagné sur les deux premiers et échoué sur le troisième.»
C'est le moins que l'on puisse dire, sachant que ni la sécurité ni les élections ne sont de son ressort.
Mme Karboul entourée de son équipe.
Un secteur à bout de souffle
Concernant son département, Mme Karboul affirme qu'elle s'est concentrée sur la stratégie future (qui ne faisait pas partie de son cahier des charges, soit dit en passant), présentant au passage des constats peu reluisants: la destination reste encore dans l'ensemble en mono produit (la mer), en mono saison (l'été). 40% du parc hôtelier tunisien a été déclassé depuis 2005. Pire, selon une étude menée sur le terrain en 2014 par le ministère, sur 106 hôtels, seulement 46 méritent les étoiles qui leur sont attribuées. Elle ajoute: «La redéfinition des normes de classement reste encore un défi».
A son avis, on ne jugera désormais plus un hôtel à la lumière du luxe tapageur, présence du marbre et des lustres gigantesques, mais à partir d'autres critères plus humains, qualité de l'accueil, cuisine, etc.
Ce qui est plus grave, avoue-t-elle, c'est l'image du pays. L'étude d'impact menée par le ministère auprès des 4 principaux marchés émetteurs (Grande Bretagne, Allemagne, France et Italie), montre une image «médiocre». Sur ce chapitre, disons qu'il y a du pain sur la planche.
La mise à niveau, sujet évoqué depuis des années, est «un échec», constate la ministre. La gouvernance, autrement dit la manière dont le secteur est géré, n'a pas changé d'un iota et ce, depuis plus de trente ans. La gestion est «assez archaïque», dit-elle, en enfonçant le clou : «En Tunisie, notre problème ce ne sont pas les concepts mais la mise en oeuvre». Merci docteur! Reste que le diagnostic est assez daté...
Quant aux chiffres d'entrées des touristes, ils ne sont pas non plus encourageants: le marché touristique français sur la Tunisie a enregistré la plus forte baisse, passant de 1,385 million à 720.175 arrivées avec une régression de 6,1% en 2014 et de 48% par rapport à 2010, l'année de référence. Le marché italien est en hausse de 9% avec 252.000 touristes et le marché russe en forte régression avec 262.000 entrées (-11%), baisse expliquée par le nombre de faillite des TO russes. La Tchéquie enregistre 87.000 entrées (-9,2%).
Notons que les recettes globales sont estimées à 3.575,6 millions de dinars ce qui équivaut à une augmentation de l'ordre 10,7%. Mais dans ce calcul, il faut prendre en compte le glissement notable du dinar, la monnaie locale.
«On sait jamais, un jour peut-être, dans quelques années, je reviendrai à la politique».
Je reviendrai un jour, qui sait
Vient ensuite la partie positive. Mme Karboul développe, images et graphiques à l'appui et pour la énième fois, sa stratégie pour le tourisme tunisien, qui porte un nom «Stratégie, vision 3+1».
Sur le papier, cette étude est parfaite: elle renferme tous les chapitres, les ramifications du secteur, les points noirs et leurs solutions, allant de l'accueil aux aéroports jusqu'au départ du touriste, en passant par l'hébergement, la qualité de service, etc.
La ministre a énuméré les réalisations, les événements qui ont marqué l'année, (Djerbahood, Dunes électroniques...) et les objectifs à atteindre. Des études ont été menées, dit elle, des réformes mises en place et des initiatives prises comme la création d'un Conseil national des ports de plaisance, mais les défis restent encore nombreux.
Deux points essentiels sur lesquels elle a appuyé: la rénovation et l'entretien de la capitale et le renforcement d'un tourisme éthique, c'est-à-dire que le tourisme doit comprendre au moins 30% de clientèle tunisienne.
Interrogée sur ses rapports délétères avec les professionnels, la ministre a nié en bloc, et émis ce constat: «J'ai eu de bonnes relations avec eux, pas tous évidemment, mais j'ai travaillé avec les plus dynamiques d'entre eux».
Bouquet final. Une soirée de départ ou d'adieu a réuni, dans un hôtel à Tunis, tous opérateurs du tourisme. Mme Karboul: «On sait jamais, un jour peut-être, dans quelques années, je reviendrai à la politique». D'ici là, espérons que son successeur n'enterrera pas cette fameuse stratégie fréquemment exposée.
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