Complexes commerciaux, dépôts d’alimentation et d’électroménagers, bâtiments publics et privés… ont été pillés et incendiés. Les Tunisiens, plus soudés que jamais, tournent l’une des pages les plus noires de leur histoire.
Les nombreuses grèves et sit-in n’ont pas empêché la majorité de la population active à reprendre son travail et ses petites habitudes. Et c’est ainsi que les Tunisiens ont découvert l’ampleur des dégâts. «Je ne crois pas mes yeux. Ce que j’ai vu à la télé n’a rien à voir avec la réalité. Ça sent encore le cramé, c’est sombre, c’est pire qu’un tsunami…», raconte Mohamed Ali, employé dans un dépôt de meubles à l’Ariana. Armé d’un balai et d’une brouette, il nettoie le parterre. Comme tous ses collègues qui ont la peur au ventre. Le risque de perdre leur boulot est grand.
Géant, Monoprix, Carrefour et les autres…
A Géant – centre commercial érigé il y a cinq ans sur l’autoroute de Bizerte –, employait près de 1.000 personnes, dont des dizaines de diplômés. Des débris par-ci, des débris par-là. Dans ce paysage sinistre, les magasins de luxe qui proposaient, autrefois, les articles de marque, sont partis en fumée. Ça pue encore le brûlé du caoutchouc…
Les salariés mettent la main à la pâte
A un jet de pierre, l’autre grand magasin Carrefour Market, un des petits de Carrefour de la Marsa. Ça fait mal au cœur, et c’est le moins que l’on puisse dire. «Ils sont tous venus. Nous avons placé une partie de nos employés dans les autres points de vente de la société. Pour l’occasion malheureuse, les autres sont devenus des maçons. Des femmes sont arrivées très tôt, deux petites heures après le lever du couvre-feu pour faire un peu le ménage. Ici, nous employions 100 personnes. Les dégâts sont estimés déjà à dix milliards. Pour se relever, et on pourra se relever, croyez-moi, mais à condition qu’il y ait de la volonté de la part de notre personnel», explique à Kapitalis Mohamed Ben Jmâa, directeur de l’espace. Sur son front, une tache noire… A l’intérieur, c’est presque macabre. Murs, toit, parterre, complètement noirs et graisseux. Des éclats de verre, de l’aluminium dispersés anarchiquement un peu partout. L’odeur de «l’agonie et de la mort» est grandement répugnante.
Un peu au fond, dans le tréfonds de la défunte boulangerie, des ampoules qui n’arrivent plus à éclairer le grand noir. Pour y accéder, c’est la descente aux enfers. Nous zigzaguons sur une patinoire. Une patinoire faite de savon et de détergents déversés sauvagement.
Gage de volonté
«Notre directeur les a laissés piller, mais les a suppliés de ne pas mettre le feu… Pourtant, ces criminels l’ont fait… Maintenant, la chose est faite et nous n’allons pas baisser les bras. A quoi ça nous va servir de pleurer. Au contraire, pour sauver notre entreprise et par-delà notre gagne pain, nous devons démontrer notre bonne volonté», raconte Najla, qui s’est enveloppée avec du nylon pour ne pas se tacher les vêtements.
On nettoie, on restaure
Dehors, les traces sont accablantes. Des maçons s’affairent et avancent avec des briques et du mortier. A une enjambée, un tas d’objets brûlés. Des femmes et des hommes courbés sur ce qui reste. Pas une paille sauvée, mais peut-être, une cheville, une louche ou un quelconque ustensile de cuisine «rescapé».
Le salon de coiffure du quartier a levé, depuis deux jours, ses rideaux en attendant désespérément une cliente. «Je n’ai pas travaillé depuis des jours. Je suis contente de revoir mes clientes. Elles sont venues s’offrir une beauté, teinture, coupe… Vous savez nos femmes sont élégantes et ne veulent pas sortir dans un impitoyable état. Leur look est important pour ne pas sombrer dans la déprime», lance Leïla, pas «la Régente de Carthage», mais la professionnelle du quartier. Soulagée, elle a rangé quelques billets dans sa caisse. Tout le mal qu’on lui souhaite, c’est de pouvoir payer son loyer…
Zohra Abid