L'auteur revient dans cet article en deux parties sur les débats suscités par le ''Livre blanc'' et le 1er Tunis Economic Forum sur les réformes économiques en Tunisie.
Par Hédi Sraieb*
Un ''Livre blanc'' sur l'économie politique des réformes... nous le disions dans l'article précédent qui cherche à s'émanciper un tant soit peu de l'économisme ambiant (coût de la réforme) et qui remet en selle la dimension «politique» de celle-ci dans ses deux composantes essentielles.
L'une stratégique qui a trait au champ de cette réforme, à ses effets attendus tant du point de vue de son efficience fonctionnelle que de celui de son appropriation par l'ensemble de la collectivité sociale.
L'autre plus tactique qui a trait à la méthode, au mode apriori de mise en œuvre (choc ou graduel), à la prise en compte des résistances et des moyens de les dépasser (dialogue, négociation de compensation) aux dispositifs d'accompagnement (relais et prescripteurs d'opinion).
Hakim Ben Hammouda.
Une analyse donc qui va servir de substrat au déroulé des débats organisés par l'Institut arabe des chefs d'entreprises (IACE) dans le cadre du 1er Tunis Economic Forum, le 12 mars 2015. Du beau monde disions-nous
Un processus qui prendra 20 ans
Le premier panel abordera l'objet des réformes. Quelles priorités pour quels objectifs? Après un propos introductif soulignant les réticences culturelles et les résistances sociales au changement, les interrogations porteront sur les capacités institutionnelles et politiques nécessaires à la réussite.
Interrogé en premier, le ministre des Finances évoquera les contraintes budgétaires mais aussi la difficulté de passer d'une logique de consensus autoritaire à une logique de dialogue, de négociation et de consentement... Un processus qui prendra 20 ans, s'exclamera le ministre! A quoi répondra en écho l'un des rédacteurs, qui fera observer que le timing actuel serait propice puisqu'en début de mandat (état de grâce et majorité parlementaire non éprouvée). Quatre ans de perdus renchérira, un brin agacée, la représentante du patronat. Réformer c'est d'abord lever toutes ces autorisations préalables aux mains du pouvoir discrétionnaire de l'administration, relèvera un participant et de surenchérir : «Il faut tout autoriser sauf ce qui est expressément interdit».
Mustapha Kamel Nabli.
On touche là un point important escamoté par le ''Livre blanc'': Faut-il que les réformes soient le fruit de négociations directes entre partenaires sociaux comme cela est d'usage notamment en Europe du Nord (cf. code du travail, conventions collectives...) sans aucune interférence du gouvernement ou bien tripartite lorsque la puissance publique elle-même est concernée (prévention sociale, fiscalité)? Une alternative nouvelle au statu quo actuel? Il n'en sera plus question dans la suite de ces rencontres...
Resterait aussi et tout de même à préciser le rôle du législateur, décidément «grand absent» de ce séminaire... Tout un symbole !
Sur-administrés et sous gouvernés
Le deuxième panel s'ouvrira sur une citation de Machiavel: «Il n'y a pas d'entreprise plus difficile à conduire, plus incertaine quant à son succès et plus dangereuse que celle d'introduire de nouvelles institutions (lois, normes, habitudes). Celui qui s'y engage a pour ennemi tous ceux qui profitaient des institutions anciennes et il ne trouve que de tièdes défenseurs dans ceux pour qui les nouvelles seraient utiles»...
Radhi Meddeb.
On est là au cœur même de la problématique des réformes. Une démarche purement technocratique comme de pure communication fusse-t-elle didactique, a toutes les chances d'échouer ou d'être dénaturée. Un temps fort de ce débat mais quelque peu escamoté. Tout au plus, une personnalité invitée soulignera-t-elle les pesanteurs héritées de la confusion entre Etat et administration au point qu'aujourd'hui encore certains projets de réformes sont portés par l'administration en lieu et place du politique (parlement ou exécutif)... Une administration, qui plus est, se prêterait au jeu des pressions, propos qui conclura par: «Nous sommes sur-administrés et sous gouvernés».
Un nouveau modèle de compétitivité
Le troisième panel se consacrera aux pourtours et contenus des réformes, toutes sous les auspices d'une amélioration du «climat des affaires» (code des investissements, PPP, loi sur les faillites, etc...). Des réformes points de passage obligé dans la perspective d'un nouveau modèle de compétitivité tirée par l'innovation.
Le ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale évitera de s'aventurer à donner des réponses précises se bornant à expliquer qu'une note d'orientation et un plan de législature seront proposés sous 100 jours.
L'économiste de la Banque Mondiale (un nom prédestiné), évoquera l'impérieux besoin d'une plus grande transparence. Et d'insister sur l'urgence de développer la concurrence, vecteur de démocratie (on croit rêver) mais sans oublier, un vrai lapsus «ceux qui n'ont pas le bras assez long».
Suivra un invité, ancien grand commis de l'Etat, qui expliquera doctement qu'il y a urgence à accroître «les incitations aux investisseurs», éludant maladroitement le constat fait par son prédécesseur dans le débat qui, précisément, dénonce le gaspillage de ces incitations qui coûtent près de 3% du PIB... Une paille !
Très attendu, la représentante du FMI rappellera le rôle de l'institution dans la période de transition: assurer la stabilité financière et monétaire du pays dans un contexte de dégradation de la conjoncture. Une stabilité préservée notamment par la mise en œuvre d'une plus grande flexibilité du change. Un propos qui soulèvera un début de polémique sur le rôle joué par la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Une politique monétaire jugée pernicieuse mettant en péril les équilibres de gestion notamment des PME.
Imperturbable la représentante du FMI expliquera qu'il convient de préserver le matelas de devises dans cette période de turbulence... quels que puissent être certains désagréments !
Jean-Pierre Raffarin.
Une nouvelle socialisation des pertes
Le quatrième panel abordera la question lancinante du financement des réformes, confondu d'ailleurs avec financement de l'économie. A l'évidence un véritable sujet de crispation obsessionnelle de tous les participants. Un abcès de fixation qui condense toutes les inquiétudes et toutes les appréhensions de la communauté d'affaires, unanime sur ce sujet.
Le ministre des Finances sortant reviendra sur la réforme bancaire entamée. Une recapitalisation en cours de l'ordre de 1,3 milliards de dinars (DT) dont 500 millions de dinars (MDT) inscrits au budget 2015. Une étape donc qui devrait être suivie d'une refonte de la gouvernance dans tous ces aspects... devant une assistance quelque peu médusée et dubitative quant aux raisons de ces créances accrochées. Qui plus est, une omerta autour des audits qui rend perplexes les participants devant cette nouvelle socialisation des pertes!
Qu'à cela tienne dira un autre ex-ministre des Finances qui livrera l'un des plus remarquables syllogismes de cette année 2015: A qui la faute de toutes ces pertes? Aux différents politiques de l'Etat. Comme il y a continuité de l'Etat, nous sommes tous responsables et solidaires de ces pertes. Un joli tour de passe-passe qui aura oublié en chemin une révolution et l'instauration d'une deuxième république.
Très en verve, ce même ministre passera en revue, pêle-mêle, toutes sortes de nouvelles sources de financement: allant des émissions obligataires pour les groupes industriels comme bancaires les considérant à tort comme des quasi-fonds propres, au «lease-back» d'actifs inutiles (parc immobilier) qui pourraient être revendus puis loués, un clin d'œil au passage aux financiers du Golfe en quête d'opportunités pour leurs sukuks, en passant aussi par une ouverture quasi-totale du marché financier aux capitaux étrangers (y compris le compartiment des émissions titres publics)... Une débauche de solutions plus fantasmées que réelles sans aucune des précautions d'usage... A croire que notre grand argentier serait atteint de troubles de la mémoire lui faisant oublier les crises financières de l'Argentine ou de l'Islande.
La conclusion des débats sera confiée à un invité de marque, l'ex-Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin qui tentera tout à la fois de prendre un peu de hauteur vis-à-vis de certaines interventions très tranchées et de fausses évidences tout en distillant quelques recettes malicieuses relatives à la conduite du processus de réforme même. A l'obsédant «bon timing»... faites vos réformes quand les gens sont en vacances!
Lire 1ère partie : Tunis Economic Forum: Du réformisme autoritaire au réformisme de consensus (1/2)
* Docteur d'Etat d'économie du développement.
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