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L’expert tunisien en finance islamique plaide ici pour la sauvetage de la Banque Zitouna qui n’appartient pas à Sakher El Materi mais aux Tunisiens qui y ont déposé leur épargne.
Par Zoubeir Ben Terdeyet


A priori, beaucoup de citoyens posent la question de savoir «Pourquoi sauver la Banque Zitouna?». Voila quelques années que je m’efforce de vulgariser le concept de finance islamique en Afrique et je souhaiterai aujourd’hui partager ma petite expérience avec l’ensemble des mes compatriotes en quelques points afin d’éviter les erreurs.

Respecter le choix des clients…
Le tout premier point est à mes yeux, le plus évident. Laisser au citoyen tunisien le choix de son offre bancaire en fonction de ses convictions personnelles car les dictatures et le dirigisme économique en découlant ont été un rempart à la liberté individuelle.
On parle de sur-bancarisation en Tunisie, ce qui est faux! Le nombre de banques est certes élevé dans notre pays mais le terme de bancarisation à une toute autre signification.
La bancarisation représente le pourcentage de la population ayant accès au service bancaire. Une population bancarisée à 60% signifie que les 40% restant n’ont pas accès au service bancaire. C’est donc une caractéristique qui traduit le développement d’un pays. Une personne peut ne pas être bancarisée pour plusieurs raisons. Elle peut tout simplement l’avoir refusé, certaines personnes préférant garder leur argent chez eux. Cela peut être du à un manque de confiance envers la banque. Dans le cas des pays musulmans, il s’agit tout simplement du rejet par une certaine partie de la population du «riba» (intérêt bancaire), interdit en islam.
Aucune banque en Tunisie ne présente d’offres à une population à la recherche de solution alternative afin d’être en conformité avec ses convictions religieuses. La banque Al Baraka, ex-Best Banque, première banque islamique en Afrique, créée en 1983, n’a jamais obtenu d’agrément de banque on-shore afin de répondre à une demande croissante de la part du citoyen tunisien.
La population tunisienne, sous-bancarisée et à la recherche d’une offre bancaire islamique, en est peut être une des causes. La Banque centrale de Tunisie (Bct) estime que le taux de bancarisation est certes satisfaisant (1 compte pour 2 habitants et 1 carte pour 5 habitants), mais il gagnerait à être amélioré. Pour ce faire, l’accent devait être mis, selon les dires de la Bct, sur la multiplication des agences bancaires.
La sous-bancarisation est le terreau du marché parallèle en raison d’une faible utilisation des moyens de paiements monétiques. Ce qui signifie que la collecte des différents impôts et taxes est insatisfaisante donc handicapante pour le développement d’un pays.
La Banque Zitouna, à travers la création d’une vingtaine d’agences en moins d’un an et la captation de plusieurs milliers de clients particuliers non-bancarisés ou sans activité (ouverture d’un compte mais sans financement), contribue à lutter contre la sous bancarisation.
Sakher El Materi est-il allé chercher par la main ces milliers de clients pour les forcer à ouvrir un compte?
A travers les témoignages que j’ai pu recueillir durant mes nombreuses visites en Tunisie, je peux vous assurer que Sakher El Materi était un handicap à l’ouverture de comptes bancaires, sachant qu’avant la révolution, beaucoup de potentiels clients refusaient tout simplement l’ouverture de comptes en raison d’un actionnaire principale pas très «catholique», devenu même encombrant au fil du temps!

Une bonne affaire pour le contribuable tunisien
Autre point important, celui de la spéculation sur le sort des 86% des parts détenues par Sakher El Materi.
Le métier de banquier n’est pas un jeu d’enfant. L’honorabilité des dirigeants est essentielle à la survie d’une banque. A l’inverse, les actionnaires peuvent être de simples opportunistes comme nous l’a démontré malheureusement l’ancien régime.
Tout simplement pour dire que les communiqués de l’équipe dirigeante de la Banque Zitouna quant à l’état de santé de la banque ne peuvent être remis en cause sans preuve tangible. Où sont les preuves d’un quelconque redressement de la banque?
Quant à la participation de Sakher El Materi, espérons qu’elle soit placée au sein d’un fonds d’investissement afin d’être valorisée, car deux solutions, forts simples, s’offrent à l’Etat tunisien: l’introduction en bourse ou la vente à un acteur bancaire privé.
La bourse de Tunis a besoin de plus de liquidité et l’introduction d’une nouvelle banque permettra la dynamisation du marché tout en instaurant une plus grande transparence au sein de la banque si nous appliquons à la lettre, les notions de bonnes gouvernances.
La vente à un acteur bancaire tunisien conventionnel permettra l’introduction de la notion d’Islamic Windows ou là garder sous forme de filiale à 100% islamique, ce qui permettra de préserver l’offre bancaire actuelle.
Quant aux acteurs étrangers, ils sont nombreux à attendre une décision de la Bct afin de pénétrer un marché de niche en pleine croissance dans le monde.
Dans les deux cas, la valorisation de la banque en l’état permettra l’obtention d’une plus value conséquente pour le futur actionnaire qui n’est personne d’autre que le citoyen tunisien à travers l’état régalien!
Le capital initial fût de 30 millions de dinars avant d’atteindre la somme de 70 millions de dinars afin d’assurer le développement commercial de la banque.
Un acquéreur potentiel, que ce soit le marché financier ou un acteur privé, saura valoriser l’agrément bancaire, les milliers de clients, l’innovation marketing et technologique ce qui permettra au bas mot de multiplier par 3 ou 4 la valorisation de la banque, une très bonne affaire pour tous…

Sauvegarde des emplois et management des ressources humaines
La création d’emplois à travers la création de la banque est indéniable. Le fait de débaucher des employés chez la concurrence est tout à fait normal et sain car cela tire les salaires vers le haut et permet l’innovation en termes de gestion des ressources humaines afin de garder les meilleurs éléments.
Et si on faisait aussi un procès à Tunisiana qui, lors de sa création, ne s’est pas privé de débaucher au sein de Tunisie Telecom? Et que dire d’Orange? Géant n’aurait il pas débauché au sein de Carrefour ou Magasin Général? La liste des exemples peut être longue. De plus, chaque poste crée au sein de la Banque Zitouna a forcément impliqué le recrutement d’un remplaçant au sein de la banque dont était originaire ledit banquier.
La moyenne d’âge semble être jeune mais le moyen de le vérifier est tout simplement de le demander à l’intéressé, mais de part les échos et témoignages que j’ai pu avoir, notamment un de mes anciens étudiants à l’EM Strasbourg en Master de finance islamique, embauché par la banque pour revenir en Tunisie, je peux affirmer que de nombreuses compétences tunisiennes à l’étranger ont saisi l’opportunité de revenir au pays grâce à la Banque Zitouna.

Un savoir faire à exporter
La Banque Zitouna est le fruit du travail de dizaines de cadres et consultants tunisiens qui ont œuvrés à la création d’une banque moderne, innovatrice et pleine d’ambition qui met en avant le savoir faire tunisien.
Sakher El Materi a-t-il mis en place et paramétré le système d’information de la banque. A-t-il aménagé les agences bancaires? S’est il impliqué dans la formation des cadres? A-t-il dessiné le siège social et assuré sa construction de lui-même?
Ne mélangeons pas tout, la banque est le fruit du travail des Tunisiens et non d’un seul homme comme il est agaçant de souvent entendre que la Tunisie moderne est le fruit du travail de Bourguiba ou Ben Ali! Avions-nous des «supermen» au pouvoir?
Votre patron est mauvais, votre travail l’est-il également?
Afin de conclure, j’aimerais signaler à nouveau que Sakher El Materi fut l’initiateur de ce projet, qu’il a mené de manière opportuniste avec l’arrière pensée d’obtenir une plus-value conséquente à la revente de la banque mais il n’est pas la finance islamique et encore moins Banque Zitouna! Sachons distinguer la personne morale de la personne physique, cours de première année en faculté de droit!
La Banque Zitouna est un acquis à préserver pour le citoyen Tunisien car il s’agit aujourd’hui de sa banque!

* Directeur associé d’Isla Invest Consulting.