A l’aéroport de Monastir, la colère enfle au gré des pertes de vols et de passagers. Pour calmer les esprits, le représentant de Tav Airports Holding s’est expliqué au cours d’une conférence de presse mercredi à Tunis.
Les contestations n’arrêtent pas à l’aéroport Habib Bourguiba de Monastir dans la région du Sahel tunisien. Le personnel estime que l’aéroport ne fonctionne plus comme auparavant et accuse la direction de Tav Tunisie, qui en assure la gestion, de détourner le trafic vers l’aéroport d’Enfidha-Hammamet, situé à 50 km, que l’entreprise a ouvert il y a un an. Ce détournement présumé se traduit par des pertes de milliers de passagers, protestent les employés, qui craignent pour la pérennité des 30.000 emplois (directs et indirects) assuré par l’aéroport de Monastir. Il ne fallait pas plus pour que des pancartes fleurissent sur lesquels les protestataires ont écrit: «Tav dégage!»
Un autre discours chez Tav
Les protestataires sont allés jusqu’à accuser le groupe turc de corruption avec l’ancien régime, en invoquant de soi-disant dessous de table versés par Tav à certains proches du clan présidentiel contre l’attribution de la gestion du premier aéroport et de la concession du second. Inutile de dire que l’affaire a fait grand bruit et que les échos en sont arrivés jusqu’en Turquie.
A ces accusations à la pèle, le groupe Tav s’est trouvé dans l’obligation d’apporter des réponses. C’est ainsi que Mustafa Sani Sener, président de Tav Airports, a rencontré la presse nationale en présence de l’ambassadeur de son pays, d’un représentant de l’aéroport de Monastir et d’un autre de celui d’Enfidha-Hammamet.
Le Pdg a parlé plus d’une heure trente, en rejetant avec force tout projet de fermeture de l’aéroport de Monastir ni à court ni à long terme. «Ce n’est qu’une rumeur… et l’avenir de l’aéroport et du personnel n’est pas aussi catastrophique qu’on ne le dit. L’avenir le confirmera», a-t-il assuré.
«L’entreprise est turque mais l’aéroport est tunisien»
Pour mettre la rencontre dans son cadre, Sani Sener a préféré revenir un peu en arrière et expliquer comment son groupe a pu remporter le marché pour se positionner au premier rang. «Nous avons signé un contrat avec l’Etat. C’était suite à un appel d’offre international lancé par le ministère du Transport tunisien que notre groupe a remporté le marché. Car nous étions les meilleurs», a affirmé M. Sener. Et d’ajouter: «Nous avons construit l’aéroport d’Enfidha et signé ensuite un accord pour gérer en même temps les deux aéroports au Sahel. Avec la participation d’institutions financières de renom telles que la Société financière internationale (Ifc), filiale de la Banque mondiale, le Fonds panafricain pour le développement de l’infrastructure de la Banque africaine de développement (Bad), on a investi 550 millions d’euros (plus de 900 millions de dinars). Nous avons mis à peine deux ans pour construire l’un des meilleurs aéroports en Afrique et dans la rive du sud de la Méditerranée.»
M. Sener a déploré le fait que son entreprise n’a pas pu bénéficier d’une inauguration officielle de l’aéroport d’Enfidha. La visite de son président, programmée à cette occasion, a dû être annulée. «Nous sommes en train de payer l’Office de l’aviation civile et des aéroports (Oaca) et nous respectons tous nos accords », a souligné le responsable turc. Et de lancer aux Tunisiens: «N’oubliez pas que l’aéroport de Monastir est aussi le nôtre, puisque nous le gérons. Nous n’avons pas cessé de faire la promotion des régions tunisiennes en Allemagne, en Russie auprès des compagnies aériennes. Même en temps de crise mondiale, nous avons pu ramener huit nouvelles agences. Et ceci ne peut être que bénéfique pour tout le pays.»
«Certes, nous sommes en train de faire la promotion de l’aéroport d’Enfidha (que le groupe Tav va continuer à gérer jusqu’à 2043, Ndlr) et c’est notre rôle. Il s’agit d’un nouvel aéroport, encore peu connu et qui a besoin d’un coup de pouce. Or, celui de Monastir, il est déjà connu», se défend le responsable turc sans nier totalement la priorité accordée au nouvel aéroport.
La Tunisie aura besoin d’autres aéroports
Malgré les retombées de la crise financière mondiale, le groupe Tav n’a licencié aucun employé et a même fourni quelque 570 opportunités d’emplois supplémentaires, a affirmé M. Sener. Il a ensuite demandé: «Comment oser dire ‘‘Dégage !’’ à des gens qui aiment investir en Tunisie, ramener des touristes et créer des emplois! J’ai suivi ce qui a été écrit dans les journaux, dit sur les plateaux de télévision, notamment celui de la chaîne Al-Jazira, à savoir que notre entreprise est sans éthique et corrompue!», s’étonne le Pdg de Tav. Il ajoute: «Le groupe qui gère les deux aéroports est certes turc, mais les deux aéroports sont un bien tunisien et toutes les opérations sont transparentes, rien qu’à voir le nom des partenaires.»
A propos de l’infrastructure dans les aéroports, l’hôte de Tunis précise: «Nous sommes conscients que les aéroports sont les vitrines des pays, les visiteurs étrangers s’en font leur première impression. Tav a installé des systèmes informatiques de pointe à l’aéroport de Monastir et s’est engagé à maintenir l’exploitation de l’aéroport selon les normes internationales. Mais il faut que vous sachiez que l’aéroport ne peut qu’accueillir plus de 4 millions de passagers par an qui sont généralement à moitié contents. Nous préférons avoir deux millions de passagers contents. C’est beaucoup mieux. Car un passager content dépense plus. Aujourd’hui, la Tunisie est devenue démocrate et libre et va drainer davantage d’investisseurs et de visiteurs. Le pays aura besoin non seulement de l’aéroport d’Enfidha, mais de plus d’aéroports… D’ici l’an 2025, le nombre de passagers atteindra le double. Nous allons continuer à faire le marketing de la Tunisie. Nous avons confiance en l’avenir et les années à venir sont prometteuses», prévoit-t-il.
Selon M. Sener, la Tunisie et la Turquie ont plusieurs points en commun. Il s’agit de deux régimes séculaires et laïcs. La première délégation officielle arrivée en Tunisie après la chute du régime de Ben Ali est venue de Turquie en vue de renforcer la coopération entre les deux pays.
Après avoir passé en revue les chiffres d’affaires et montré, à travers des photos et des diapositives, les succès reconnus du groupe Tav, le Pdg a avoué que l’entreprise est déficitaire de 40 à 50 millions d’euros (75 à 95 millions de dinars) en Tunisie. Ceci ne l’empêche pas de payer ses redevances à l’Oaca, ainsi que sa dette et ses autres frais.
Concernant le retrait du mot «international» de l’enseigne de l’aéroport de Monastir, un responsable de Monastir confirme que cette décision n’a pas été prise par Tav. «Elle date d’un bon bout de temps. Elle a été prise par les autorités nationales. Tous les aéroports en Tunisie sont internationaux. L’aéroport de Monastir n’a rien de spécifique et doit être, à l’instar de celui de Tunis-Carthage ou celui de Djerba Zarzis».
Après ces éclaircissements, la balle est désormais dans le camp du personnel et de l’Ugtt, la centrale syndicale. Les protestations vont-elles cesser? Le travail va-t-il reprendre? Attendons voir…
Zohra Abid