La micro-finance, qui permet de bancariser les «non bancables» et lutter ainsi contre la pauvreté, pourrait constituer une solution pour développer les régions en Tunisie. Par Wassim Abdelhedi*
Que l’on se situe à une échelle micro ou macro, le crédit demeure le moteur du développement et de la croissance économique. Une réalité dont les organismes de financement internationaux sont bien conscient, à l’instar de la Banque européenne d’investissement (Bei) qui, dans le but de soutenir la relance économique, vient d’accorder à la Tunisie un prêt de plus de 600 millions, portant ainsi à 1,87 milliard d’euros le total des prêts à la disposition de notre pays en 2011. Une somme considérable qui sera dédiée au financement de plusieurs grands projets d’intérêt public, notamment dans le secteur de l’infrastructure et de l’industrie.
Le microcrédit serait-il la solution?
La question qui se pose est: est-ce que cela sera suffisant pour relancer notre économie, et surtout, est-ce que l’emploi de ces prêts, tel qu’il a été décidé, saura absorber le chômage dont le taux atteint actuellement des sommets?
Soyons optimistes mais efforçons-nous d’être réalistes. Il est possible que les investissements et les projets mis en place ne profiteront pas à tout le monde, une frange importante de la population restera sur le carreau, et il y a de fortes chances que la majorité d’entre elle soit issue des zones rurales du pays.
Alors quelle solution pour soutenir ces laissés pour compte? Le microcrédit serait-il la solution miracle?
Accordons nous sur deux vérités: d’abord, dans les régions rurales, la part des ménages qui sont à leur compte est encore plus importante que celle dans les villes. Ensuite, les paysans vivent dangereusement dans la mesure où le moindre choc (une mauvaise récolte, une maladie, un vol...) les laisse extrêmement vulnérables, les filets de sécurité auxquels nous sommes habitués (sécurité sociale, retraite et même la possibilité de déposer le bilan), n’existent pas. Ensuite, dans notre pays, les services à l’intention des plus pauvres, privés ou publics, brillent par leur absence. Cela est d’autant plus notoire dans les services financiers où les exigences des banques pour l’octroi des crédits, même pour de modestes sommes, restent inaccessibles pour les classes défavorisées.
Micro-finance et réduction de la pauvreté
Il est clair que dans le domaine de la micro-finance, notre pays n’en est pas à ses balbutiements. Les pouvoirs publics tunisiens sont pleinement conscients qu’il s'agit là d’un outil particulièrement utile et efficace pour rencontrer des objectifs nationaux de développement. Ils semblent aussi convaincus de la portée sociale de la micro-finance à travers le rôle qu’elle peut jouer dans la réduction de la pauvreté.
Depuis déjà de nombreuses années, la Tunisie a mis en place des programmes de développement et de support à la micro-finance, par l’intermédiaire du réseau des associations de développement (AD), supportées par la Banque tunisienne de solidarité (Bts). Parallèlement à cette structure, une Ong internationale, Enda Interarabe , s’est progressivement développée pour former avec la Bts et son réseau d’AD un paysage singulier qui a permis, depuis leurs installations, d’octroyer conjointement un nombre considérable de microcrédits.
La pénétration géographique de la micro-finance s’observe dans la quasi-totalité du pays, notamment grâce à la présence des AD sur presque l’ensemble des 264 délégations administratives, mais aussi à la fourniture de certains services traditionnellement liés à la micro-finance par le système financier formel (banques et réseau postal).
Procédures simples, coût faible et remboursements étalés
Parmi les avantages qu’on attribue à ce système, on retrouve en premier lieu la simplicité des procédures, le faible coût et l’étalement des remboursements qui se traduisant par des mensualités légères.
Les bénéficiaires déplorent néanmoins certains inconvénients. D’abord, les montants des crédits octroyés qui sont généralement faibles (1.000 dinars en moyenne). En effet, la stratégie est d’octroyer un montant limité pour le premier crédit et de l’augmenter à l’occasion de chaque renouvellement, une fois le client fidélisé. Ensuite, ces mêmes bénéficiaires jugent les taux d’intérêts parfois élevés, bien que ces derniers soient à un niveau inférieur au crédit bancaire classique sous toutes ses formes.
La micro-finance commence à être bien ancrée dans le paysage économique tunisien. L’élargissement du réseau des AD, dont les institutions couvrent désormais l’ensemble des délégations, en est la meilleure preuve. Néanmoins, des efforts considérables restent encore à produire pour développer le secteur. Il est patent que les moyens nécessaires (financiers, humains et organisationnels) manquent pour assurer un flux permanent de crédits, alors que la demande existe réellement.
Ces efforts devront être accompagnés de certaines mesures primordiales pour en garantir le succès. Citons comme exemples et par ordre de priorité:
- la mise en place d’un cadre institutionnel et réglementaire pour une supervision constante et spécialisée du secteur (exemple de la banque centrale au Maroc), et garantir des mesures favorables pour une croissance soutenue et pérenne des activités de micro-finance;
- l’instauration d’une politique des taux d’intérêt pour empêcher les abus d’une micro-finance purement commerciale tout en permettant l’entrée d’acteurs qui renforceront le caractère concurrentiel de l’offre;
- l’accompagnement systématique des bénéficiaires pour un renforcement des capacités de résistance des projets financés et pour assurer une gestion préventive des risques. En particulier, la préparation d’un plan d’affaires préalablement à l’introduction de la demande de crédit, ainsi que des formations en gestion administrative et commerciale en faveur des bénéficiaires peuvent améliorer significativement les chances de succès de l’activité financée.
D’autres mesures complémentaires encouragent également les clients potentiels à souscrire un microcrédit, notamment au sein des populations délaissées ou isolées (lettrisme, esprit d’entreprise…).
Les solutions toutes faites n’existent pas
Plusieurs modèles de micro financement sont actuellement appliqués dans des pays et sur différents continents. On cite à titre d’exemple le Maroc pour l’Afrique, la Belgique pour l’Europe, la Bolivie pour l’Amérique latine. Des modèles qui n’ont pas tous réussi, à cause notamment de certaines erreurs commises par les autorités institutionnelles et réglementaires locales et qui ont entravé l’aboutissement total du projet.
La Tunisie dispose d’une opportunité unique et formidable d’évoluer vers une micro-finance efficace, et ce, en tenant compte des erreurs commises de par le monde. L’enjeu majeur est cependant d’éviter d’appliquer, dans un souci d’urgence, une technique de «copier/coller» sans tenir compte des spécificités du pays. Il est en effet question ci-dessus de «s’inspirer». Les solutions toutes faites n’existent pas car les antécédents au développement de la micro-finance en Tunisie sont uniques, comme ils le sont en Belgique, en Bolivie, et au Maroc.
* Consultant Altime Charles riley Tunisie.
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