Carrefour Market de la cité El Ghazala (Ariana), pillé et incendié par la milice de l’ancien président au lendemain de sa fuite, ouvrira de nouveau ses portes ce week-end. Visite au supermarché la veille de son ouverture.
A El Ghazala et environs (Cité Riadh Al Andalous, Résidences El Omrane, Ennahli…), tout le monde attend impatiemment la réouverture de ce supermarché à l’enseigne française Carrefour après un congé forcé dû à l’incendie de la surface au lendemain de la fuite de ben Ali.
Le sinistre est encore dans les esprits
«Maintenant, ce qui est fait est fait. Nous n’avons qu’à nous remettre au boulot, tourner la page noire du passé et essayer de ne pas insulter l’avenir. Car, malgré l’instabilité qui persiste dans le pays, on y croit encore et on tient surtout à notre emploi», raconte à Kapitalis un jeune employé du magasin. Tout en sueur, il est en train de souder une serrure sur le fer forgé.
A l’entrée, il y a des fils en acier et des bâtons en aluminium. Pour pouvoir pénétrer, il a fallu enjamber cet amas de ferrailles. En face, une charmante demoiselle est occupée par ses flacons, ses boites, ses tubes et autres produits de soins et de beauté. Elle les agence avec goût sur les rayons, selon la marque et la couleur. A deux mètres d’elle, son collègue tire un chariot plein à craquer d’articles. Un autre nettoie la vitrine du rayon des produits laitiers et dérivés. A même le sol, des cartons et des caisses. Les uns vides, les autres n’ont pas encore été déballés. «C’était dur! A ne pas en croire. A voir des gangs piller devant nous, puis mettre les feux sans pouvoir agir, c’était atroce. On était comme tétanisés. Ils étaient de vrais criminels ! Ils n’ont pas pensé à nos emplois, à nos enfants, à nos familles, à notre avenir, aux feux qui pourraient ravager les appartements du dessus. A l’intérieur, c’était macabre. Tout a disparu au bout de quelques heures… Trois mois après, je ne me sens pas totalement réveillée du cauchemar. Après tout, c’était notre gagne-pain. Franchement, les dégâts étaient énormes», se souvient Samia. Qui s’empresse cependant de positiver: «Pas la peine de revenir sur cet épisode. C’est terminé, du moins on l’espère et on ne va quand même pas continuer à gratter à tous les coups dans la plaie. Il faut dire qu’on a eu une chance inouïe. Notre magasin va rouvrir et c’est un véritable bonheur de reprendre le travail».
Le bonheur de reprendre le travail
Sa collègue, plus bavarde, semble encore sous le choc. Elle n’en revenait pas encore. Elle raconte encore le lendemain de l’incendie, lorsqu’elle s’est rendue au lieu de son travail comme tous les jours et a vu ce qu’elle a vu. Elle dit qu’elle n’a vu que du noir, de la fumée et n’a senti que l’odeur du cramé. «Je la sens encore et j’ai cru que tous mes rêves sont partis en fumée en un laps de temps. Et pas seulement, la note de mes créances m’est revenue d’un seul coup. Comment vais-je m’en sortir? Tellement abattue, je n’ai même pas versé une larme. La douleur était beaucoup plus forte que les larmes. Mais j’avais les boules pendant des jours», se souviens la petite dame. Elle ajoute qu’elle s’estime heureuse, puisqu’elle n’a pas chômé et a toujours touché son salaire. Comme toute l’équipe. Au milieu du magasin, trois responsables causent entre eux. Ils ont l’air sérieux. La pâtissière du magasin vient de leur servir des gâteaux qu’elle vient de préparer. Le parfum de la vanille enveloppe l’espace.
«Ce qui nous a fait mal au cœur, c’était de voir la milice de Ben Ali brûler tout le magasin. Ils l’ont fait dans plusieurs de nos magasins qu’ils ont pillés, saccagés avant d’y mettre le feu. A Boumhal, Nabeul, Gafsa, Grombalia, Zaghouan, Jarzouna, Raoued, Oued Ellil…, partout il y a eu des dégâts. Mais nous n’avons pas mis notre personnel au chômage technique. Ils étaient tous replacés», a lâché avec le sourire l’un des trois responsables avant de se servir un morceau de gâteau encore chaud.
Bon week-end !
«A Grombalia, même le fer a fondu», a-t-il ajouté. Selon lui, il y a eu la rage de se venger. «Les habitants qui croient que Carrefour a un lien avec le clan Ben Ali – mais là ils se trompent –, ne veulent même pas qu’on le restaure. Pourtant, il y a au moins 60 familles qui vivent de ce magasin. Ici, les dégâts sont énormes, mais à voir la réaction des gens du quartier, on a décidé de tout refaire et c’était un défi. La mobilisation des riverains. Ils sont des étudiants, des femmes, des hommes du quartier qui nous ont donné un coup de pouce. En balayant le parterre et ramassant les déchets dans des bennes, en nettoyant le sol avec leurs serpillières. Là, on s’est dit: on ne les lâche pas… Nous avons pensé aux 150 employés.»
Dehors, tout est revenu comme auparavant (enfin presque !). Comme Raoudha, Mehdi et Samia, un groupe de jeunes poussés par un sentiment de curiosité, est venu vers 16 heures scruter les lieux et voir où on est vraiment avec les travaux. «Mais ça avance bien. On a même remis des bacs pour les fleurs et l’enseigne est en train de briller à nouveau», constatent les jeunes.
«Ça y est! C’est prévu pour vendredi, au plus tard le samedi. Disons que les portes seront ouvertes ce week-end. Ça c’est sûr. C’est en fonction de ces petites retouches», a dit un autre responsable, venu lui aussi de l’enseigne mère pour voir où on est exactement. Alors que l’électricien est suspendu sur un escabeau pour mettre en place un néon de plus, son collègue est sorti pour fumer une clope. Dalila, quant à elle, continue à frotter, à lustrer encore plus le parterre. Elle veut le rendre nickel. Elle n’est pas en fait très loin de ses patrons.
Zohra Abid