De plus en plus impopulaire, si l’on en juge par les réactions des clients, le mouvement social au sein de Tunisie Telecom n’a que trop duré. Qui faut-il blâmer? Et que faut-il faire pour sortir du cercle vicieux de la crise?
Difficile de répondre à cette question, tant les positions semblent tranchées et les parties prenantes campent solidement sur leurs positions. Même la tutelle, le ministère de l’Industrie et de la Technologie, qui a montré beaucoup de souplesse, de doigté et, surtout, de bienveillante neutralité dans la gestion du conflit social au sein de l’opérateur historique, ne semble plus en mesure de rapprocher les points de vue.
Savoir jusqu’où ne pas aller trop loin
Cependant, face au sentiment de lassitude qui s’installe, chez les principaux protagonistes, et surtout – et c’est plus grave encore – chez les clients de l’opérateur historique, les parties en présence seraient bien inspirées de faire un effort sur elles-mêmes et d’avancer vers un règlement rapide. Car si les grèves, les sit-in et les gesticulations se poursuivent, c’est la situation générale au sein de l’entreprise, déjà affectée par la crise générale dans le pays, qui va prendre un sacré coup.
Il faut donc savoir jusqu’où ne pas aller très loin, car il y a une ligne de rupture au-delà de laquelle tout le monde sortira perdant. Et d’abord la mère nourricière: l’entreprise elle-même. Mais d’abord, où en sont les discussions?
Mardi dernier, des agents de Tunisie Télécom ont observé un sit-in devant le siège du ministère de l’Industrie et de la Technologie. Ils revendiquaient l’application de l’article 10 du procès-verbal de la réunion tenue le 9 février dernier au siège même du ministère.
63 contractuels sur 8.000 salariés
L’article en question concerne la suspension des 63 cadres percevant des salaires supérieurs à ceux du régime salarial en vigueur dans le statut des agents de l’opérateur, avec la possibilité de maintenir un certain nombre de spécialités que l’entreprise juge nécessaire pour la bonne marche de certains de ses départements techniques.
Le jour même, le ministre de l’Industrie et de la Technologie, Abdelaziz Rassaa, a tenu une session de travail, avec une délégation de la Fédération générale de la poste et des télécommunications, relevant de l’Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt). Mongi Ben M’barek, le secrétaire général du syndicat de la poste et des télécommunications, a campé sur sa position intransigeante: «Les cadres et agents de Tunisie Telecom s’attachent à l’accord. Les autres parties doivent également le respecter», a-t-il déclaré.
Le ministre a mis l’accent, pour sa part, «sur les efforts déployés en vue de prendre les mesures adéquates visant à mettre en œuvre les accords conclus de nature à préserver l’intérêt de l’entreprise qui constitue un acquis national», selon une source du ministère citée par l’agence Tap. La même source a ajouté que le ministre a appelé «les différentes parties à poursuivre les discussions sur les questions non encore résolues, rappelant qu’un développement positif a été enregistré au cours des négociations sur les questions liées à l’avenir de l’entreprise».
Selon le communiqué, le ministre s’est entretenu, lundi soir, avec les représentants de la direction de Tunisie Telecom et s’est enquis de la teneur des discussions avec le partenaire émirati, Emirates International Telecommunications LLC (Eit), qui possède, depuis 2006, une participation de 35% dans le capital de l’entreprise.
A qui profite la tension?
L’Eit, qui a contribué à l’investissement direct étranger le plus important jamais réalisé en Tunisie, a une position claire en ce qui concerne le problème des contractuels aux salaires jugés excessifs par le syndicat, et qui travaillent chez Tunisie Telecom depuis l’opération de privatisation.
Pour le partenaire émirati, le nombre de ces contractuels reste limité: 63 sur les 8.000 salariés que compte l’entreprise. Traduire: l’acharnement des membres du syndicat sur quelques dizaines de compétences est d’autant plus incompréhensible et injustifiable que ces personnes ont accepté la précarité du contrat à durée déterminé en contrepartie d’un salaire conséquent et, surtout, aligné aux normes du marché.
Pour l’Eit, Tunisie Telecom «opère dans un environnement concurrentiel et il est donc primordial que la société puisse employer des salariés compétents et qualifiés pour chaque poste et ce dans le but d’assurer un succès continu». Traduire: l’apport de ces contractuels, tout surpayés qu’ils puissent être jugés par les membres du syndicat, reste décisif pour la bonne marche de l’entreprise.
Tout en admettant que «les employés de Tunisie Telecom ont contribué au succès de celle-ci», en remerciant également son partenaire, l’Etat Tunisien, «d’avoir contribué à son tour au développement de Tunisie Telecom, et répondre ainsi aux exigences et aux attentes de leur clientèle», en se félicitant ensuite «du dialogue établi et entrepris avec les représentants de l’Ugtt», et en appelant enfin à «poursuivre les discussions afin de lever tout malentendu entre les deux parties», l’Eit rappelle que, depuis son entrée dans le capital de Tunisie Telecom en 2006, la société «a réalisé d’importants progrès de transformation, et plusieurs initiatives stratégiques ont pu être concrétisées», qui ont permis «le lancement de nouvelles offres, l’acquisition de nouveaux clients, l’investissement dans une infrastructure réseaux moderne, l’amélioration de la couverture de la qualité et de la disponibilité du réseau, la diversification de la connectivité de la Tunisie à l’international, la promotion du haut débit et l’amélioration continue du service aux clients».
Ce qui veut dire que les contractuels surpayés qui ont intégré la société à la demande du partenaire émirati ont été beaucoup dans cette mutation qualitative. Les remercier aujourd’hui brutalement, sous la pression d’un syndicat qu’anime encore une mentalité égalitariste héritée du temps où Tunisie Telecom était encore considérée comme une entreprise de service public, pourrait donc mettre en péril les avancées de la société et hypothéquer ses perspectives de développement, qui plus est, dans un environnement, national et international, devenu hyper concurrentiel.
«Pour que Tunisie Telecom soit en mesure de poursuivre ses progrès, et de remplir ses obligations envers ses employés et ses clients, elle a besoin de fonctionner dans un environnement stable et cohérent», souligne à ce propos Eit dans un communiqué. Qui n’hésite pas à affirmer, au risque de braquer davantage ces chers syndicalistes, que les dernières grèves risquent de «nuire à l’intérêt de Tunisie Telecom, ses employés ou ses clients.»
Couper la poire en deux
Voilà pour l’ambiance… Autant le dire tout de suite, la poursuite de l’état de tension ne profite à aucune des parties. Dans la Tunisie post-Ben Ali où le dialogue doit prendre le pas sur les diktats, d’où qu’ils viennent, et où les décisions doivent être prises dans un esprit de consensus, il y a lieu de privilégier l’intérêt de l’entreprise, de ses clients et, par conséquent, du pays. Pour cela, les querelles du présent, surtout quand elles sont alimentées par des considérations égoïstes, doivent céder la place à une meilleure approche de l’avenir.
Il serait plus utile, à cet égard, que le syndicat, le management et la tutelle travaillent ensemble pour améliorer la politique salariale de la société et l’adapter à la nouvelle donne du marché. Au-delà des chamailleries sur le sort de 63 contractuels, cette approche tournée vers l’avenir bénéficiera aux 8.000 salariés de l’entreprise.
En ce qui concerne les 63 contractuels, objet de la «grande discorde», une commission composée d’experts indépendants pourrait aider à définir, au cas par cas, ce que les uns et les autres apportent réellement à l’entreprise et ce que leur éventuel licenciement pourrait lui faire perdre.
On aurait ainsi, nous semble-t-il, coupé la poire en deux et avancé vers une approche positive et constructive, plus soucieuse de l’intérêt de Tunisie Telecom que des petits calculs égoïstes de telle ou telle partie.
Malek Neïli