Yassine Ibrahim, le ministre du Transport et de l’Equipement, peine sous l’immensité des dossiers à sa charge, mais il s’applique à la tâche. Où en sont les projets dans les deux secteurs.
Conscient de la réalité du pays et des défis qui l’attendent et fin médiateur, M. Ibrahim donne l’image d’un dirigeant dynamique et plein d’idées. Lors d’un point de presse tenu mercredi à Tunis, il a fait l’état des lieux des secteurs couverts par sa tutelle.
Les secteurs du Transport et de l’Equipement génèrent 14 milliards de dinars (8% du Pib). Ils emploient 575.000 personnes, soit 17% de la main d’œuvre active tunisienne. Pour la période 2009-2010, les projets sont financés par la Banque européenne d’investissement (Bei) pour Tunis et la région du Sahel et par la Banque africaine de développement (Bad) pour l’intérieur du pays.
Etant donné que, dans le gouvernement actuel, la priorité du recrutement sera donnée aux secteurs de la Santé, de l’Enseignement et de l’Agriculture, la part du ministère du Transport et de l’Equipement ne dépassera pas les 300 postes (dans le siège du ministère). 2.700 postes seront créés dans les sociétés et autres établissements de la tutelle.
Arbitrages serrés pour les équipements
Dans ce cadre, le ministre a laissé entendre que la majorité des projets programmés pour 2011 et 2012 seront alloués aux régions. Les besoins seront traités sur la base des priorités.
Il y a d’abord l’emploi. Le ministère tentera d’accélérer le rythme des projets (assouplissement des formalités…) tout en rompant avec les pratiques du passé. Objectif: parvenir à recruter d’ici fin juillet (sur dossier, sans recourir aux démarches de routine).
En ce qui concerne la deuxième priorité, les régions, un retard a été enregistré jusque là à cause de l’insécurité et de l’indisponibilité des gouverneurs. De même, le recours à un arbitrage budgétaire et la simplification des procédures s’imposaient. Le ministre a effectué 12 visites à l’intérieur du pays et a lancé environ 160 actions et solutions pratiques (telles que la ligne ferroviaire Tunis-Le Kef, dont 30- 35% sont déjà réalisées).
M. Ibrahim a déploré la centralisation des décisions et le manque de confiance entre le citoyen et les autorités. Pour lui, la première condition de la réussite consiste donc à choisir minutieusement les cadres et les décideurs (ministres, directeurs régionaux etc.). Il convient aussi, selon lui, d’identifier les pratiques frauduleuses et essayer de s’en débarrasser du maximum.
Pour ce qui est de la situation de l’Agence foncière de l’habitat (Afh), M. Ibrahim a dévoilé qu’il a hérité de 170.000 demandes d’acquisitions de terrains, dont 1.500 seulement peuvent être satisfaites, sachant que la législation en vigueur stipule que l’Etat (ministre, dirigeants des sociétés publiques…) est prioritaire dans l’octroi de 20% des lots disponibles.
Quant à la Sprols, c’est un créneau «à nettoyer» d’abord, avant de le repenser totalement.
Pour ce qui est de la Cité de la Culture, le ministre avoue que la situation est compliquée. Il annonce qu’un arrangement a été atteint avec le promoteur étranger du projet pour relancer le chantier. «Le retard est consommé mais le projet sera réalisé dans les normes», dit-il.
Transport public et transport privé
Le premier constat est la situation chaotique de la circulation notamment dans le grand Tunis. Il s’agit d’un choix politique, pense le ministre. «Comme dans tous les pays développés, dit-il, il faut désormais faire le choix entre le développement du transport public et l’encouragement du transport privé». Il rappelle que 65% du transport dans la capitale se fait avec la flotte privée.
Pour M. Ibrahim, la solution à ce problème ne peut être que «politique et à long terme». Il promet «un débat» sur les grands choix à faire dans les régions et dans le grand Tunis.
Le Réseau ferroviaire rapide de Tunis (Rfr) peut constituer une excellente solution. L’idée date de 20 ans! Mais la réalisation, à pas «assez timides», n’a démarré qu’il y a quatre années.
On apprend aussi que 15 millions de dinars de pertes ont été enregistrées dans les caisses des compagnies publiques depuis le 14 janvier à cause du resquillage dans les bus, les trains et les métros.
Par ailleurs, le problème des licences de taxi doit, selon le ministre, être réglé dans les régions et pas dans le siège du ministère. Car, pense-t-il, chaque région dispose de ses «propres solutions».
Les curieux restés sur leur faim
Interrogé sur les dossiers de corruption au sein de sa tutelle, M. Ibrahim a évité de citer des cas précis ou des personnes impliquées et a dit que les dossiers seront «traités selon les procédures administratives et judiciaires». Il a précisé qu’en attendant des procès judiciaires et/ou des actions administratives à leur égard, les présumés impliqués resteront (gelés?) dans leurs postes.
Abordant les dossiers les plus chauds et les plus controversés du secteur des Transports, voici ce qu’il a dit:
Tunisair: la situation de la compagnie publique est «une métaphore pour le pays», estime M. Ibrahim. Tout le monde intervenait et voulait imposer ses choix et ses proches: le Palais de Carthage, le ministère du Transport, le Rcd, l’Ugtt, les familles puissantes, etc. Ça avait rendu impossible de contenir tous ces équilibres et fini par ruiner la compagnie. Et, par conséquent, ça a rendu le redressement très difficile.
Encore évasif sur les détails de la gestion frauduleuse qui a conduit la compagnie publique à la ruine, Ibrahim s’est contenté de signaler que «des choix sur le long-terme s’imposent». Il a annoncé qu’une commission stratégique vient d’être créée à cet effet.
Tav: le dossier de la compagnie turque et ses rapports avec les aéroports de Monastir et d’Ennfidha est un vrai casse-tête pour les autorités tunisiennes.
Selon le ministre, l’Office de l’aviation civile et des aéroports (Oaca) n’a réalisé aucun audit sur la gestion et la rentabilité de l’aéroport de Monastir de 2008 à 2010. Ce qui a empêché la tutelle de voir clair et de réagir convenablement. «C’est maintenant fait», annonce le ministre. On s’attend donc à des décisions.
Les engagements sociaux (entre le personnel et le syndicat) n’ont jamais été tenus sous l’ancien régime. Evidemment! Le ministre promet que ces engagements «seront étudiés» mais dit que les décisions «prendront du temps».
Selon lui, le sit-in des employés, qui dure depuis une quarantaine de jours environ, «a joué son rôle mais ne peux pas apporter de solutions». Il appelle à «la confiance entre toutes les parties» et à l’approche du problème «dans la légalité».
Ctn : Faute d’alternatives, privées et publiques, notamment dans le transport des passagers, et compte tenu du vieillissement de la flotte, le ministre a appelé à renforcer le rôle de la compagnie. Mais une «redynamisation commerciale» s’impose. Le lancement de la ligne maritime Tunis-Alger intervient dans ce cadre.
Grands projets du Golfe: Le ministre n’est pas sûr que les projets Dubaï Sports City, Boukhater, etc., auparavant annoncés en grande pompe, sont toujours d’actualité! Il sait quand-même que le projet Bahreïni Tunis Financial Harbor est définitivement suspendu et annonce la réalisation prochaine du nouveau mégaprojet Tunis Technology City. Une sorte de pôle technologique.
L’expert de l’édition des logiciels et les marchés de capitaux des Tic qu’est le ministre Yassine Ibrahim serait-il derrière le projet?
Nouvelair: les 13% de Belhassen Trabelsi sont confisqués par l’Etat. Le reste du capital est toujours partagé par les partenaires.
Ports: Jaugeant le pour et le contre du projet du port des eaux profondes à Enfidha, Ibrahim voit qu’il y a plus urgent et annonce qu’il est dans tous les cas à reporter.
«Il faut aujourd’hui se pencher sur les ports de Radès et de Sousse, longtemps délaissés au profit de celui d’Enfidha», souligne-t-il, déclarant qu’une conférence sur l’intérêt logistique de ce dernier sera organisée le 14 juin prochain.
Mourad Teyeb