Une relecture de la «Stratégie industrielle 2016» tracée par l’ancien régime par les analystes du Centre tunisien de veille et d’intelligence économique (Ctvie), dépendant de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (Iace).
La «Stratégie industrielle 2016» tracée par l’ancien régime, faisait la part belle à la «clusterisation des activités sur l’ensemble du territoire» (1), afin de multiplier les chances de faire de la Tunisie une véritable «plateforme d’échange et d’innovation».
Les différents contours de cette orientation s’appuient sur des secteurs phares comme les industries agro-alimentaires (Iaa), les industries mécaniques et électriques (Ime), le textile, le cuir et chaussures (tcc), et les technologies de l’information et de la communication (Tic).
La mise en œuvre de cette stratégie supposait un certain volontarisme politique au profit des régions intérieures afin d’atténuer le «développement inégal» entre les régions littorales d’une part et le reste du pays d’autre part.
Sans discuter des «intentions» qui la véhiculent et avec les nouvelles donnes politiques qui se dessinent en Tunisie, il serait légitime de réexaminer le contenu et les orientations de cette stratégie industrielle en tant qu’outil de développement régional.
Implantations régionales et incitations économiques
1. En dépit des mentions faites aux retombées régionales en termes de création d’entreprises et d’attraction de nouvelles activités, les régions n’y apparaissent, malheureusement, que comme supports physiques de localisation des activités et non comme générateur de nouvelles dynamiques industrielles.
Il serait naïf de croire que les activités s’installeraient, par exemple, à Gafsa ou à Tunis de manière indifférente. Ceci est relativement vrai pour les activités banales, à pauvre contenu technologique (travail à la chaine, forte division des tâches). Mais les activités identifiées et soulignées par la stratégie industrielle et leur mode «de connexion en pôle de compétitivité» laisseraient entrevoir de prime abord, le développement à terme, de nouvelles tendances inégalitaires: les activités à forte valeur ajoutée demeureront dans les «centres» (les territoires les mieux lotis), alors que celles à faible valeur ajoutée et banales choisiront «les périphéries» (2), (les territoires les plus reculés), attirées par les incitations liées au codes des investissements.
En conséquence, nous assisterons, en quelques sortes, à la reproduction d’un schéma classique des logiques de localisation des entreprises qui justifiait les politiques de développement régional fondées sur les incitations financières et fiscales.
Un schéma d’appui aux régions inspiré du potentiel régional
2. Aujourd’hui, la vraie problématique est celle d’inscrire le développement des régions comme un outil de développement national. La stratégie industrielle à mettre en œuvre devrait trouver sa déclinaison au sein de l’espace régional. Elle s’exprimerait dans des choix volontaristes d’aménagement de territoire, de transfert de compétences politiques et de soutien direct à la construction d’infrastructures publiques de formation et de logistique.
En d’autres termes, il est urgent pour la Tunisie d’imaginer un schéma d’appui aux régions en partant du potentiel régional, susceptible de développer en son sein des mécanismes nouveaux de création de valeur.
Le code des investissements dans son état actuel répondrait mal aux aspirations légitimes des zones comme les bassins miniers ou celles du nord comme du sud ouest. S’y installer actuellement correspond à une double aventure: primo celle de la création de l’entreprise elle-même, et secundo celle de se trouver dans un espace «sans marché domestique» et souvent en manque d’infrastructure, de zone d’activité et de réseau autoroutier. Les exemples qui illustrent cette observation en sont multiples.
Des Pôles de compétences institutionnelles
3. Pour gagner du temps, l’environnement institutionnel pourrait se préparer dès maintenant pour baliser les futures pistes pour une autre lecture du développement régional. Des institutions comme l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (Api), l’Agence de promotion de l’investissement agricole (Apia), l’Agence de promotion des investissements extérieurs (Fipa), et autres… peuvent déjà, chacune de son côté, songer à créer des Pôles de compétences institutionnelles (Pci) dont le rôle serait de polariser des institutions d’appuis généralistes ou spécifiques, financières, bancaires, et autres, autour de projets régionaux. Ces Pci auraient comme vocation l’imagination de nouveaux mécanismes d’interventions ciblées et l’écoute des attentes légitimes, des régions en matière économique. Ils devraient tirer les leçons des échecs et des réussites passés…
Les «mercredis de l’entreprise», par exemple, aussi volontaristes qu’ils semblaient, ont montré leurs limites tant sur le plan opérationnel que sur le plan politique. Leurs rôles mobilisateurs s’étaient d’ailleurs effrités depuis leur lancement, tant ils souffraient de conviction et de ressources. L’idée des Pci serait très utile à creuser pour une «future dynamique économique régionale…»
1. Par référence aux clusters, issues de la notion des districts industriels. Le cluster est une concentration d’acteurs œuvrant sur un même segment de filière ou sur des segments complémentaires. Il tend à fédérer les dynamismes industriels autour de synergies et des coopérations interentreprises.
2. La notion de «Centre et périphérie» est empruntée de l’économie régionale. Elle désigne sommairement, la distinction faite respectivement entre les espaces riches et les espaces pauvres
Source: Ctvie.
* Les titres et intertitres sont de la rédaction.