La Banque mondiale (BM) a-t-elle voulu se racheter en décidant une enveloppe urgente de 500 millions de dollars (670 millions de dinars) de prêts à la Tunisie pour l’aider à traverser cette conjoncture difficile?
Par Zohra Abid


Pourquoi la BM devait-elle donc se racheter? Pour avoir accompagné jusqu’au bout l’ancien régime corrompu et prédateur de Ben Ali, qui a mis main basse sur l’économie du pays, au vu et au su des pseudo-experts de la vénérable institution de New York.

Quand la Banque Mondiale découvre la vraie Tunisie
Souvenons-nous, jusqu’à il y a quelques mois, les responsables de la Banque, qui faisait leur ballet à Tunis, ne rataient aucune occasion pour louer les choix économiques de la Tunisie de Ben Ali et ses politiques financières.
Entre-temps, il y eut le soulèvement des régions abandonnées, des jeunes diplômés sans emploi, des classes moyennes paupérisées. Et c’est donc dans un pays différent de celui décrit dans les rapports de ses chers (très chers !) experts que Robert B. Zoellick, président de la BM, a débarqué lundi dernier.
Au terme d’une visite de trois jours en Tunisie, et avant de se rendre au Maroc, prochaine étape de sa tournée, ce dernier a donné une conférence de presse. Il n’a pas fait d’autocritique. Cela nous aurait tout de même beaucoup étonnés. Mais comme on dit «Business is usual», M. Zoellick, a annoncé l’octroi à la Tunisie d’une aide urgente de 500 millions de dollars (670 millions de dinars) sous forme de prêts à Tunisie pour l’aider à traverser cette conjoncture difficile. Là où nous en sommes, ce n’est pas de refus.


Robert Zoellick et Simon Gray

Comme prévu aussi, avant de signer le gros chèque, le directeur de la BM a préféré se rendre sur place pour s’assurer des avancées et des aspirations du peuple tunisien en cette période historique. Il a tenu aussi à suivre les travaux et les projets financés par la BM notamment à Béja où il s’est rendu et constaté la pauvreté et le taux de chômage élevé dans cette région. Une façon indirecte de s’assurer que le pays est vraiment dans le besoin, qu’il est aussi sur la bonne voie et qu’il sera en mesure de s’acquitter de ses créances. Et surtout de s’assurer que l’argent prêté ira là où il faut, c’est-à-dire dans l’investissement, dans la création d’emplois et surtout dans le développement des régions les plus défavorisées.

Argentiers, ensemble, pour sauver la Tunisie
D’un autre côté, M. Zoellick s’est entretenu avec presque tous les membres du gouvernement provisoire. Il a rencontré Yadh Ben Achur, président de la Haute commission pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, ainsi que Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la Banque centrale tunisienne (Bct), une vieille connaissance, puisque le Tunisien était en poste à la Banque Mondiale la veille de la chute de Ben Ali.
«Je sais qu’il y a un fort ralentissement économique et que le taux de croissance ne dépassera pas le 1% cette année. Je suis venu pour écouter les responsables tunisiens et m’enquérir auprès d’eux de ce que peut faire la BM. Les Tunisiens m’ont confirmé qu’ils sont décidés de rompre avec le passé. Tous les entretiens que j’ai eus avec les responsables témoignent d’un vrai désir de s’engager dans un programme de réformes et de bonne gouvernance économique», a-t-il expliqué. Grâce à la bonne gouvernance, garante de l’égalité des chances, il est possible pour la Tunisie d’attirer les investissements, d’assurer le développement et d’ériger une société solide avec moins d’exclus, a-t-il ajouté. «Les Tunisiens sont engagés dans un programme de transparence et d’équité. Ils ont une attention accrue pour les régions défavorisées et une large participation citoyenne. Ils réclament des emplois, des opportunités économiques et de meilleurs services publics… et nous ne pouvons que les aider à sortir de la crise dans cette phase de transition politique», a encore insisté M. Zoellick.
Le président de la BM a indiqué aussi que son institution est en train de travailler sur l’élaboration d’un programme d’appui budgétaire d’un montant de 500 millions de dollars, destiné à stimuler les efforts engagés par le gouvernement de transition dans les domaines de la liberté d’association, de l’accès à l’information, de la transparence des marchés publics… Cet appui s’inscrit dans le cadre d’une action qui engagera les bailleurs de fonds, dont la Banque africaine de développement (Bad) et l’Union européenne et d’autres donateurs, qui apporteront une contribution de 700 millions de dollars pour soutenir les réformes importantes en cours en Tunisie.

Les régions, la crise, les réfugiés… trop pour la petite Tunisie
Le président de la BM a, par ailleurs, annoncé la mise en œuvre de deux projets de développement communautaire d’un montant de 125 millions de dollars pour assurer la création d’emplois et d’aider surtout les régions. «Avec l’appui de la Bad, la BM est en train de préparer un programme d’un montant de 50 millions de dollars qui sera consacré aux micros, petites et moyennes entreprises. Ce montant sera mis en œuvre en milieu d’année dans le cadre de l’initiative en faveur du monde arabe», a-t-il annoncé.
Interrogé sur la nature de l’aide annoncée, M. Zoellick a répondu qu’il s’agit d’un crédit qui sera payé avec un taux d’intérêt. «Le taux sera, selon la décision du gouvernement, soit fixe soit flottant», a-t-il répondu.
Concernant la possibilité d’effacer l’ancienne ardoise contractée sous le règne de Ben Ali, M. Zoellick a dit que l’Irak, qui a été en guerre, n’a pas cherché à annuler ses dettes. Traduire: la Tunisie ne devrait le demander elle aussi. Ce serait, d’ailleurs, très mal apprécié par les bailleurs de fonds qui apprécient les bons payeurs.
Evoquant la situation en Libye et aux frontières tunisiennes avec ce pays, le président de la BM, qui était entouré de Simone Gray, directeur de la BM pour le Maghreb, a manifesté sa préoccupation. «Il y a les réfugiés stables et ceux qui transitent et nous sommes très sensibles à ces mouvements. Ces gens ont tous des besoins énormes. La Tunisie, en pleine crise, semble incapable de supporter davantage. Il s’agit d’un fardeau et nous sommes préoccupés quant à cette situation stressante. Nous allons aider les écoles et les services publics», a-t-il dit. Et de souligner que, malgré leurs grands soucis du moment, les Tunisiens se sont montrés très généreux.