A chacune de ses sorties, et au risque de se répéter, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct) ne manque pas de tirer la sonnette d’alarme: la transition démocratique est tributaire d’une relance économique qui tarde à se dessiner.  


S’adressant, jeudi, aux chefs d’entreprises, au siège de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (Iace), Mustapha Kamel Nabli les a exhortés à sortir de leur attentisme et à relancer leurs investissements, à créer de nouveaux projets et à préserver le tissu économique, à créer des emplois et à maintenir le pouvoir d’achat des Tunisiens.

Un tableau grisâtre
Le gouverneur a rappelé que la situation difficile constatée dans le pays actuellement est due au «tremblement de terre politique» provoqué par la révolution du 14 janvier et aux répliques qui ont suivi (absence de sécurité, mouvements de contestation), situation aggravée par le déclenchement de la crise libyenne.
Celle-ci a beaucoup affecté les activités des entreprises économiques exportatrices ainsi que le tourisme, la Tunisie accueillant habituellement plus d’un million de Libyens par an. Pour compenser ce marché, qui prendra du temps pour reprendre, M. Nabli a appelé à se tourner vers l’Algérie, un important marché émetteur de touristes pour la Tunisie qu’il convient de développer.
M. Nabli a rappelé les différents indicateurs économiques enregistrés au cours des 4 derniers mois, citant notamment la baisse de la production industrielle de 12%, tous secteurs confondus, contre une hausse des exportations de l’industrie manufacturière de 11,6%, un taux qui varie de +26% pour les industries mécaniques et électriques et - 25% pour les mines et phosphates. Le gouverneur de la Bct a également souligné la baisse du rendement du secteur touristique (-45 à -55%) et des mouvements des voyageurs (- 25%).
Jusqu’à avril dernier, le déficit courant de la balance des paiements a atteint 2,5% du Pib (même niveau que 2010), avec une augmentation des exportations plus rapide que celle des importations, alors que le taux d’inflation a cru à 3%. Pour le gouverneur de la Bct, la baisse des transferts des Tunisiens résidant à l’étranger (- 12,5%) durant cette période est pour le moins «déconcertante».
Conséquence prévisible: les réserves de change sont en train de s’amenuiser. Elles sont passées de 13 milliards de dinars fin décembre à 10,5 milliards de dinars aujourd’hui, soit l’équivalent de 118 jours d’importation.

Quelques raies de lumière  
Dans ce tableau plutôt grisâtre, il y a cependant quelques raies de lumière : les crédits bancaires destinés au financement de l’économie ont augmenté de 3,7% durant les quatre premiers mois de 2011 contre une hausse de 3,9% durant la même période de 2010. Cette hausse des crédits, M. Nabli l’attribue à la décision de la Bct d’assurer les liquidités nécessaires aux banques. Outre la croissance des exportations manufacturières, il y a d’autres signes positifs, notamment la décélération de la baisse des investissements et les prémices d’une bonne saison agricole. Bref, il y a des éléments d’un retour de la conjoncture constaté à partir d’avril.  
Tout en soulignant que les prémices d’un regain de confiance chez les investisseurs et d’une relance de la consommation des ménages sont perceptibles, les entrepreneurs et les familles se tournant de nouveau vers les emprunts bancaires, M. Nabli a estimé que les augmentations salariales peuvent contribuer à doper davantage cette reprise de l’investissement et de la consommation. Il a ajouté que ces facteurs sont de nature à relancer la demande intérieure, en baisse ces derniers mois, en raison de la régression de la consommation et du ralentissement de l’investissement, compte tenu du climat d’incertitude qui règne dans le pays. Plusieurs investisseurs préférant, en effet, reporter leurs projets en attendant l’amélioration de la situation politique et sécuritaire dans le pays.
«Si chacun se met à attendre, cela influencerait négativement son voisin. Ce qui créerait une situation d’équilibre négatif. Le défi, aujourd’hui, est de provoquer une reprise de confiance, notamment en prenant tous des risques calculés et en faisant des anticipations positives afin d’être tous gagnants en même temps et non pas tous perdants en même temps. Tout se jouera sur cette disposition psychologique», explique M. Nabli. Qui conclue sur une note positive: «Nous sommes sur la bonne voie. Il y a beaucoup de choses réconfortantes. Construisons sur ce qui est positif. N’ayons pas peur du futur. Essayons de créer au lieu de subir. Nous sommes capables de réaliser une croissance de 4% dès 2012.»

R. K.