Affecté par une censure pesante au niveau de la publication des informations que l’ancien régime considérait comme gênantes, le système de la statistique est de plus en plus critiqué par les chercheurs. Mais ses architectes se défendent…
Selon Taha Khassib, secrétaire général du Conseil national de la statistique de Tunisie (Cns), «l’information statistique en Tunisie est précise» et «répond à des critères scientifiques et aux normes internationales». M. Khassib répond ainsi aux informations qui circulent sur la fiabilité et la non transparence des statistiques tunisiennes, qui auraient servi à maquiller la réalité économique du pays sous le règne de l’ex-président Ben Ali.
La pique de Mustapha Kamel Nabli
Des universitaires, des chercheurs et des représentants de médias accusent, en effet, l’administration tunisienne et les structures chargées de la gestion de l’information statistique de poursuivre les pratiques de rétention de l’information et de ne divulguer que des données partielles et des chiffres «maquillés». A titre d’exemple, certains chercheurs reprochent à l’Institut national de la statistique (Ins), l’absence, dans le cadre de ses rapports, d’informations sur la pauvreté, le chômage, les indices de prix et le Pib par région.
La dernière critique en date à l’adresse du système national de statistiques a été exprimée par Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct), qui a déclaré, jeudi, au cours d’une réunion avec les chefs d’entreprises, au siège de l’Institut arabe des chefs d’entreprises, à Tunis: «L’appareil statistique étant ce qu’il est, il ne donne pas l’information qu’il faut au moment qu’il faut». M. Nabli s’excusait ainsi de n’avoir pas des données statistiques les plus récentes concernant certaines activités économiques.
Toutefois, le secrétaire général du Cns a précisé, dans une déclaration à la Tap, que «les structures chargées de la statistique mettent à la disposition des utilisateurs, toutes les données et les résultats des enquêtes sans les orienter et sans leur recommander l’utilisation de chiffres précis». «Le choix d’utiliser des données et non d’autres et la manière d’exploiter l’information statistique, reviennent aux utilisateurs», a-t-il ajouté. Le Cns œuvre, depuis le 14 janvier 2011, à fournir aux utilisateurs, toutes les informations statistiques, a souligné le responsable à ce sujet.
Le «secret statistique» en question
Le conseil appelle, par conséquent, toutes les structures publiques chargées de la statistique, à couper avec l’habitude de retenir les données statistiques sous prétexte qu’elles sont confidentielles et qu’elles sont des informations «à usage interne». M. Khassib a démenti, par ailleurs, l’existence de problèmes d’accès à l’information administrative. «Il n y a aucun problème d’accès à l’information administrative tant qu’elle ne nuit pas au secret fiscal et au secret statistique», a-t- il expliqué.
Cet argument de secret statistique est «peu solide», estiment certains universitaires et chercheurs tunisiens. Car, dans toutes les démocraties du monde, les structures chargées de la statistique coopèrent avec les milieux universitaires, via des protocoles de recherche, qui facilitent l’accès à l’information et obligent les utilisateurs à respecter le secret statistique et à ne pas l’utiliser à des fins commerciaux.
Dans la loi tunisienne, le secret statistique, régi par la loi datée de 1999 concernant le système statistique national, signifie que les données individuelles figurant sur les questionnaires des enquêtes statistiques ne peuvent être divulguées par les services dépositaires avant l’expiration d’un délai de 60 ans suivant la date de réalisation des recensements, des enquêtes ou d’autres opérations statistiques diverses.
Les informations individuelles d’ordre économique ou financier figurant sur les questionnaires des enquêtes statistiques ne peuvent pas être utilisées à des fins ayant une relation avec le contrôle fiscal, économique ou social.
Pour répondre à une demande croissante sur les données individuelles, notamment, de la part des chercheurs, le Cns œuvre, selon M. Khassib, pour la création d’une commission chargée du secret statistique. Cette commission aura pour mission d’examiner les dossiers des chercheurs qui veulent accéder aux informations individuelles pour réaliser leurs études sans, pour autant, divulguer l’identité de la personne physique ou morale (entreprise) objet de l’étude.
Tous les chercheurs sont, aujourd’hui, capables d’accéder, d’après M. Khassib, aux anciennes enquêtes statistiques sauvegardées, à l’état brut, au sein de l’Ins. Ils sont, néanmoins, tenus de respecter, lors du traitement des données, les éléments descriptifs des statistiques, a relevé le responsable du Cns.
En ce qui concerne les statistiques publiées par des organisations et des instances internationales sur la Tunisie, le responsable a précisé que celles-ci sont fournies par le pays dans le cadre de projets de coopération et du programme euro-méditerranéen de la statistique.
M. Khassib a appelé, dans ce contexte, à identifier un mécanisme pour l’application des recommandations du rapport du Cns pour l’année 2010 concernant, notamment, l’obtention d’autorisations pour la réalisation d’enquêtes statistiques et l’accès aux informations individuelles.
Pour l’année 2011, le Programme national de la statistique (Pns) prévoit la réalisation de 433 opérations statistiques dont 117 d’ordre économique et technique et 96 opérations d’ordre démographique et social. Ces opérations seront réalisées par 48 structures spécialisées.
I. B. (avec l’agence Tap).
Lire aussi :
Tunisie. Information statistique et tentation de contrôle de l’Etat