Fini le temps des chiffres bidouillés pour maquiller le visage du despote. Les statistiques en général et les statistiques régionales en particulier doivent retrouver leur crédibilité.
La révolution du 14 janvier a mis à nu l’écart entre la réalité du pays avec son état véhiculé par les informations statistiques officielles. L’écart est maintenu positif ou négatif pourvu que les chiffres soient favorables à l’image que la dictature cherche à instaurer.
Le maquillage des chiffres
On maquille les chiffres du taux d’encadrement dans les entreprises, les seuils de la pauvreté dans les régions, le nombre d’emplois additionnels crées, etc. Il s’agit pour le régime de contrôler l’information statistique et de l’asservir pour son intérêt au même titre que ce qu’il fait avec la presse écrite ou tout autre média. Les chiffres ne sont alors évoqués que s’ils conduisent à un diagnostic élogieux, à défaut, on les manipule, on les torture. Comme les chiffres sont fondamentalement têtus, ils finissent toujours par s’imposer même face à la plus terrible des tyrannies.
Pour mieux bâillonner les citoyens soucieux des détails statistiques, les divers services statistiques sont tenus de s’abstenir de mener des analyses des chiffres et de leur donner une quelconque vie à travers d’éventuelles études ou commentaires. Il s’agit de laisser cet amas de chiffres sous une forme incompréhensible et d’éviter le risque de comparaison défavorable ou d’interprétation malencontreuse.
Par ailleurs, les statistiques produites par les services spécialisés sont rarement relayées par la presse ou les autres média du fait qu’elles n’attirent pas l’attention des foules. Cela présente l’avantage au pouvoir de jeter un voile sur tout ce que les chiffres peuvent présenter de désagréable.
Restent quelques universitaires, qui se mettent de temps à autre à fouiller ces statistiques, en vue de faire ressortir d’éventuels éléments d’analyse pas toujours dans le sens du poil. On répondra qu’il s’agit de délire purement théorique de la part de professeurs rêveurs et mal intentionnés.
Des statistiques relativement figées
Pour les statistiques régionales, la situation est encore plus critique en raison de leur spécificité technique d’une part et de l’absence d’intégration de ces statistiques dans la gestion régionale d’autre part.
En effet, les statistiques régionales proviennent dans la majorité des cas de la déclinaison régionale d’une information nationale collectée par l’Institut national de la statistique (Ins) ou par les différents départements ministériels. L’effort de regroupement des statistiques régionales est souvent du ressort des divers offices de développement. Le regroupement des statistiques conduit à des publications sous forme d’annuaires contenant souvent une information générale, parcellaire, incomplète et en décalage temporel assez important.
A ce titre, on dispose de statistiques dont la majorité est de nature structurelle, telles que de statistiques sur la population, la population active par délégation sur les 20 dernières années et/ou par milieu rural et urbain. D’autres informations sont relatives à l’infrastructure de base, aux nombres d’écoles et établissements de formation, aux surfaces irriguées, etc. De ce fait, ces informations chiffrées sont relativement figées, sans aucune dimension spécifique, peu variables à travers le temps et, par conséquent, ne rendent pas compte des mutations que connaissent les régions.
Absence d’analyse et de synthèse
A ces lacunes d’ordre général, il convient de relever d’autres insuffisances centrées autour de l’absence d’analyse et de synthèse de l’information dans son cadre régional, voire local. En principe, de telles analyses permettent de dresser des diagnostics pertinents avant d’agir au niveau régional. En fait, au niveau national, l’état des lieux d’une dimension quelconque intéressant le pays est d’abord tiré à partir des statistiques. Une analyse approfondie est ensuite censée être faite par les départements ministériels concernés.
Au niveau régional, les opérations précédentes sont prises en charge par les autorités régionales. En pratique, on ressent davantage la présence d’une autorité plus orientée vers les problèmes pseudo politiques et sécuritaires qu’une structure économique régionale permettant de réagir à temps selon l’évolution de la société. Cette insuffisance de l’absence de l’information statistique dans le processus décisionnel régional prend dans certains cas une dimension parfois tragique.
En effet, la rapide évolution dans les régions à travers les multiples facettes de la société n’est souvent pas en harmonie avec les statistiques régionales. Dans les rares cas où les statistiques régionales publiées contiennent des informations assez pertinentes, elles ne font l’objet d’aucune analyse ou commentaire pour les mettre en valeur et les rendre plus compréhensibles pour les décideurs, les citoyens, les opérateurs, etc. Les rares éléments écrits accompagnant les statistiques cherchent plus à faire l’éloge du «leader» que d’alerter les autorités sur les problèmes latents ou d’attirer leur attention sur les disparités régionales.
Il est temps d’évoluer
Le schéma de développement que doit mettre en place la Tunisie de demain ne peut se faire sans des statistiques de qualité, fiables, crédibles et mises à la disposition de ceux qui le désirent. Un effort de présentation et de vulgarisation des résultats est absolument nécessaire. Cela permet d’instaurer des échanges d’analyses pouvant alimenter le débat démocratique au sein de la société.
De leur côté, les statistiques régionales doivent répondre aux multiples besoins par un rythme approprié de production, par un niveau adéquat de couverture et de détails. Ces statistiques sont incontournables pour le développement à travers le diagnostic, la planification, le suivi et l’alerte. L’information chiffrée doit être complétée par la mise en place de structures d’études et d’analyse de la réalité régionale. Il s’agit essentiellement d’études descriptives permettant aux citoyens, aux députés, aux adhérents des partis politiques, aux opérateurs économiques qu’ils soient nationaux ou internationaux de se faire une opinion assez avancée sur la question traitée.
De toute façon, l’autorité régionale ne doit pas être uniquement politique et sécuritaire, elle doit traiter toutes les dimensions de la vie d’une société notamment si elle est en perpétuelle mutation.
Par ailleurs, pour plus d’efficacité de l’appareil statistique tant sur le plan national que sur le plan régional, les structures statistiques doivent disposer d’une autonomie scientifique et technique leur permettant de jouer un rôle de suivi sans être soumis au pouvoir exécutif. L’époque de l’infantilisation des citoyens est révolue.
Source : Ctvie.
* Les titres et intertitres sont de la rédaction.