Après le dernier sommet du G8 à Deauville, on a parlé de dizaines de milliards de dollars qui seraient octroyés à la Tunisie pour l’aider dans sa transition démocratique. Qu’en est-il au juste?


On a beaucoup parlé de l’aide des huit pays les plus industrialisés à la Tunisie et à l’Egypte. On  a dit à peu près tout et n’importe quoi. «La perception de ce qui s’est passé n’est pas claire et le débat m’a semblé confus», estime Kamel Nabli, gouverneur de la Banque centrale de la Tunisie. C’est pour mieux clarifier l’appréciation de l’opinion publique de ce qui s’est réellement passé à Deauville qu’il a organisé une rencontre de presse, lundi à Tunis.

Un cadre informel de discussion
«Le Sommet du G8 est un cadre informel de discussion et non un cadre formel de décision», explique M. Nabli. Les 8 puissances mondiales s’y réunissent pour discuter des sujets du moment qu’ils jugent importants et publient une déclaration à propos de ce qui convient de faire ou de décider.
La Tunisie et l’Egypte ont donc été invitées cette année après les révolutions qu’elles ont vécues. Elles ont présenté leur programme et ce qu’ils comptent faire pour assurer la réussite de leur transition démocratique. «Il n’y a pas eu de négociations, ni de décisions, ni de contrats de prêts ou de dons avec des montants spécifiques et fixes», explique M. Nabli.
Pourtant, l’opinion publique, dans le sillage de certains analystes, s’est mise à s’interroger sur les montants attribués à la Tunisie et à l’Egypte et sur les conditions de leur attribution. On a parlé de surendettement, d’atteinte à la souveraineté nationale et même de néo-colonialisme!
En fait, le G8 a simplement déclaré qu’il soutient le processus démocratique en Tunisie et en Egypte et que ce soutien sera concret, parce que la relance de l’économie est importante pour la réussite de la transition démocratique.
Sur le plan financier, les pays industrialisés vont prendre des mesures pour mobiliser des ressources en faveur de la Tunisie et de l’Egypte. «Il y aura un soutien de 20 milliards de dollars sur trois ans (2011-2013) de la part des organisations multilatérales (Bad, Bid, BM, Bei, etc.), sans spécification de la part qui reviendrait à l’un et l’autre pays», indique à ce propos M. Nabli. Qui ajoute: «Il n’y a d’ailleurs pas eu de discussions à ce sujet.»
Au plan bilatéral, les pays du G8 vont également travailler avec la Tunisie et l’Egypte pour voir comment concrétiser leur soutien. Là aussi, on n’a pas avancé des chiffres précis. Mais le président Sarkozy a avancé le chiffre de 40 milliards de dollars: 20 milliards d’aides multilatérales et 20 d’aides bilatérales, y compris de la part de pays non membres du G8, comme les pays du Golfe. Les ministres des Affaires étrangères des pays concernés vont plancher ensemble sur la question pour développer un plan d’action précis qui débouchait sur des engagements plus concrets et plus précis. Des réunions doivent se tenir dans les semaines prochaines entre les gouvernements tunisien et égyptien d’un côté et ceux des pays contributeurs de l’autre pour concrétiser ces engagements. «Il est évident qu’il ne s’agira pas seulement de dons, mais essentiellement des prêts. Il y aura donc des dettes à rembourser», tient à préciser le Gouverneur de la Bct.
L’Union européenne a déjà annoncé qu’elle accordera 140 millions d’euros sous forme de don à la Tunisie, mais le reste des contributions n’est pas connu, car faisant encore partie des discussions. «Il y a des pays qui donneront plus de crédits que d’autres et sous des conditions différentes. Tout cela se fera dans le cadre d’un plan macroéconomique qui indiquera comment les montants vont être utilisés pour lancer les programmes et créer des projets», explique M. Nabli.

Les financements voulus dans les délais adéquats
En attendant que les négociations aboutissent et que les bailleurs de fonds se décident à libérer les montants promis, cela prendrait plusieurs semaines ou plusieurs mois, alors que la Tunisie fait face à de graves urgences, notamment en matière de création d’emploi, d’aides sociales et de subvention des matières premières. Que peut faire le gouvernement entre-temps pour faire face à ces urgences? Réponse de M. Nabli: «Une partie de ces financements sont déjà en cours de mobilisation. La Bad, par exemple, qui va accorder à la Tunisie 500 millions de dollars, a prévu des décaissements rapides. Une partie de ce montant d’ailleurs déjà été libéré. Il en va de même pour la Banque Mondiale. Dès que son conseil d’administration approuvera le montant d’aide décidé pour la Tunisie [500 millions de dollars, ndlr], le décaissement se fera rapidement.»
M. Nabli ajoute: «On voudrait disposer des financements voulus dans les délais adéquats. C’est à nous de préciser nos besoins et nos programmes.»
Bref, les engagements du G8 sont pour le moment avancés à titre indicatif. Ce sont des promesses que les négociateurs tunisiens, mis ainsi en concurrence de leurs homologues égyptiens, sont censés transformer en engagements financiers. Pour cela, ils ne devraient pas compter seulement sur le courant de sympathie suscité par la révolution tunisienne, mais imaginer, concevoir et proposer des programmes et des projets crédibles et utiles pour le pays et, surtout, négocier ferme sur les plans multilatéral et bilatéral. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils pourront forcer la décision des pays du G8 et transformer l’essentiel de leurs promesses en engagements financiers concrets.

Ridha Kéfi