Quelques pistes pour réformer un secteur en perte de vitesse et de compétitivité, et déclassé par des destinations méditerranéennes concurrentes. Par Rachid Merdassi, Londres
Parler aujourd’hui de relance de l’investissement touristique le long du littoral relèverait de la gageure et du défi du bon sens en l’absence d’une restructuration en profondeur de cette industrie et de l’ébauche d’une nouvelle stratégie de développement qui s’intégrerait dans une vision intégrale et intégrante de l’économie tunisienne.
C’est cette vision qui dotera le secteur des outils nécessaires au déclenchement d’une nouvelle dynamique de développement durable, à la hauteur des enjeux de la révolution et où le tourisme rural (agro-tourisme, éco-tourisme) occupera une place centrale.
Une image «bas de gamme» et «cheap»
Aujourd’hui, le constat, après un demi siècle d’activité, ne laisse aucun doute sur l’urgence des réformes à engager dans un secteur en perte de vitesse et de compétitivité et déclassé par des destinations méditerranéennes concurrentes, hier encore balbutiantes.
Les statistiques et les différents indicateurs dégagent un taux d’occupation annuel qui n’a jamais dépassé les 50%,une moyenne de séjour en régression constante de 5,4 jours et une recette moyenne/client des plus faibles en Méditerranée, soit à peine 500 dinars (370 dollars US), toutes nationalités confondues, consacrant davantage l’image «bas de gamme» et «cheap» de la destination Tunisie et expliquant, par là même, la spirale infernale de l’endettement bancaire et difficultés de remboursements auxquels sont confrontés la plupart des promoteurs hôteliers.
En comparaison, et pour souligner l’écart creusé par la concurrence par rapport à la Tunisie, les quelques indicateurs suivants donnent une idée du retard à rattraper par le tourisme tunisien durant les années à venir:
La Turquie (28 millions de touristes) affiche un taux d’occupation moyen de 70%, une moyenne de séjour de 8,8 jours et une recette/client de 550 dollars US.
L’Egypte (17,4 millions de touristes) affiche un taux d’occupation hôtelier moyen de 73%, une moyenne de séjour de 10 jours et une recette/client de 750 dollars US.
Le Maroc (9,3 millions de touristes) affiche un taux d’occupation de 55%, une moyenne de séjour de 8 jours et une recette/client de 950 dollars US.
Marquer une pause et se donner du recul
Par ailleurs, le tourisme balnéaire a été un des facteurs majeurs du déséquilibre social et économique, de l’exode des jeunes et de la paupérisation lente et inexorable du monde rural.
Aujourd’hui, la capacité d’hébergement dont 90% sont concentrés le long du littoral, se trouve confrontée à des défis d’ordre structurels:
- vétusté du parc hôtelier et inadaptation aux besoins spécifiques de la demande;
- dégradation de la qualité des services, corollaire de la baisse du chiffre d’affaires réalisé par les hôteliers, du recours force a l’emploi d’un personnel sous qualifié et de la pratique des bas salaires;
- politique et normes d’investissements et de crédits pénalisants et incompatibles avec le modèle d’hôtellerie réservée au tourisme de masse, cible du tourisme tunisien;
- dépendance de notre produit des TO et réseaux de vente étrangers pour sa promotion et commercialisation.
Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, il serait sage de marquer une pause et de se donner le recul et le temps nécessaires pour évaluer le chemin parcouru et trouver des réponses à tous ces problèmes en suspens.
La relance du tourisme balnéaire devrait, à mon humble avis, figurer au centre des préoccupations de la nouvelle vision post révolutionnaire qui reste à définir et qui devrait faire preuve de grande ambition et d’audace.
La Tunisie possède tous les atouts la prédisposant à devenir une destination pour le tourisme haut de gamme en Méditerranée, bien plus que d’autres destinations qui revendiquent ce positionnement.
Cet enjeu demeurera tributaire d’un ensemble de défis que la révolution se doit de relever et qui m’inspirent les quelques propositions ci-après:
- débarrasser la Tunisie de son image «bas de gamme», créée par les TO, est un impératif stratégique pour rendre justice à une infrastructure hôteliere unique en Méditerranée et hisser le secteur au seuil de rentabilité réalisé par ses concurrents directs (Turquie, Egypte et Maroc);
- désenclaver la station Yasmine- Hammamet qui pourrait devenir un pôle d’attraction a la mode pour le tourisme haut de gamme;
- méditer l’idée d’un projet de Tunisian Riviera, qui sera l’un des plus grands chantiers de la révolution et le porte-drapeau du tourisme haut de gamme en Tunisie. S’il est bien réussi, ce projet constituera, à terme, une alternative à la Côte d’Azur sur la rive sud de la Méditerranée et débarrassera à jamais notre pays de son image de destination «bas de gamme».
Sortir la Yasmine-Hammamet de son enclavement
La station Yasmine-Hammamet a été créée en dépit de toutes les règles du bon sens et se trouve confrontée depuis son lancement à des difficultés de «ghettoisation» et de sous-commercialisation qui remettent en cause les investissements très lourds consentis par la communauté nationale.
La clientèle haut de gamme visée par cette station, et qui n’existait que dans l’imaginaire de ses concepteurs, n’a pas été au rendez-vous et les hôteliers, pressés par les échéanciers bancaires et les frais de gestion courante, ont fini par succomber aux sirènes des TO de masse, attisant ainsi le bradage et la guerre des prix entre nouveaux et anciens hôtels de la zone.
Les ordonnateurs et planificateurs ont omis de prendre en considération la donne sociologique et urbanistique propre à Hammamet et préfigurant tout projet d’une telle masse et envergure.
D’un port de pêche, décrit naguère comme étant le St-Tropez tunisien, Hammamet est devenue, avec ses prolongements au nord et au sud, une zone touristique tentaculaire du calibre des «costas espagnoles» et où l’équilibre sociologique et culturel entre population locale et étrangère a été rompu avec toutes les conséquences sur le mode de vie et mœurs locaux.
Sur le plan commercial, la vocation de cette zone, prévue pour attirer une clientèle haut de gamme, s’est vite estompée au profit de la clientèle de masse.
Sauver Yasmine-Hammamet est une priorité avant d’envisager toute forme de relance de l’investissement dans l’hôtellerie balnéaire.
Le modèle de développement qui tend à isoler davantage le touriste de la population locale est en contradiction avec un des objectifs fondamentaux pour lesquels le tourisme a été créé. Et ce n’est pas par hasard que le tourisme a pleinement réussi à Sousse et beaucoup moins ailleurs, c’est parce que cette ville offre au touriste, au-delà de l’hôtel et de la plage, la possibilité d’immersion dans la population locale, ce qui constitue l’essence même du voyage.
Yasmine-Hammamet pourrait se développer en tant que ville balnéaire résidentielle grâce à sa proximité de la capitale. Ce positionnement privilégié peut en faire la grande banlieue de Tunis et attirer une classe moyenne avide de vivre dans un tel cadre de villégiature, tout en continuant d’exercer à Tunis.
Pour ce faire, l’Etat doit favoriser une politique de développement et de promotion urbaine stricte qui interdirait la spéculation et tiendrait compte du pouvoir d’achat des nouveaux habitants. Il doit aussi mettre en place une liaison ferroviaire rapide qui atténuera la pression sur l’autoroute et mettra la station à seulement 30 minutes du centre de Tunis. Cette ligne sera rentable d’autant plus qu’elle se prolongera jusqu’à l’aéroport d’Enfidha.
Ainsi, Yasmine-Hammamet pourrait devenir un pôle touristique de premier plan à l’instar de Sousse et réconciliera le touriste avec sa motivation première qui est la rencontre du Tunisien.
Le projet de «Tunisian Riviera»
Le tourisme haut de gamme est devenu une nouvelle réalité dont il faudra tenir compte. Il est le seul segment à avoir prouvé sa grande résistance aux crises et à afficher une croissance constante.
Le nombre de millionnaires dans le monde est estimé en 2011 à 38 millions. Ce nombre explose en Chine, en Inde, au Bresil et en Russie en particulier, et les prévisions tablent sur une augmentation de 72,5% a l’horizon 2020 pour atteindre 65,5 millions.
Cette clientèle, dont 66% fréquente la Méditerranée, est devenue un enjeu économique qui attise les convoitises aussi bien des voyagistes que des destinations touristiques par l’importance de sa valeur ajoutée par rapport au tourisme bas de gamme et de moyenne gamme.
Les problèmes d’insécurité et de cherté des prestations et services sur la Côte d’Azur et dans certaines stations espagnoles huppées (Ibiza et Marbella) poussent de plus en plus la clientèle riche à les déserter au profit de nouvelles destinations alternatives.
C’est ainsi que la Croatie en particulier est en train d’émerger en tant que destination du tourisme de luxe en Méditerranée et le Maroc, l’Egypte et la Turquie sont bien situés pour revendiquer un tel positionnement.
Pour ce qui est de la Tunisie, il n’est pas encore tard de miser sur ce segment de marché, eu égard aux multiples atouts dont elle dispose et qui ne demandent qu’à être l’objet d’une vision plus ambitieuse.
La «Tunisian Riviera» n’est pas à inventer, elle existe déjà et elle est en train de se structurer sans qu’on y prenne conscience.
Il s’agit de l’arc de cercle compris entre Bizerte et Korbous (appelé a devenir la Mecque du tourisme thermal et médical en Méditerranée) qui devrait constituer, à terme, le pendant à la Côte d’Azur et ferait de la Tunisie une destination captive du tourisme de luxe en Méditerranée.
Un tel projet ne doit en aucun cas être confié à une bureaucratie dépourvue de goût, de vision et d’audace et responsable en grande partie du déclin actuel du tourisme tunisien.