Les pouvoirs publics n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les statistiques de la pauvreté et du chômage en Tunisie. Querelles de méthodologies ou de… prérogatives? Jugeons-en…


Le ministère des Affaires sociales a estimé récemment le taux de pauvreté à 24,7%. Les chiffre est, il est vrai, très élevé, six fois plus élevé que celui généralement présenté par les pouvoirs publics la veille de la chute de l’ancien régime. Est-ce à dire que l’Institut national des statistiques (Ins) produisait des statistiques conformes aux désidératas du dictateur déchu ou que les statistiques qu’il produisait étaient manipulées par le gouvernement?

Cachez-moi ce chiffre que je ne saurais voir!
Ces critiques n’ont pas été exprimées seulement par les milieux universitaires et certains utilisateurs de l’information statistique, elles ont trouvé place également dans une pétition signés par 150 employés de l’Ins, qui ont appelé à «ne plus utiliser les anciennes méthodes de publication des statistiques». Ils ont, également, recommandé d’ôter les réserves imposées par le ministère de tutelle à l’institut». Ces réserves, ont-ils affirmé ont grandement contribué à entraver le développement des statistiques officielles et causé «la perte de leur crédibilité». Dans leur pétition, qui a alimenté la polémique autour de la justesse des statistiques réalisées par l’Ins, les statisticiens  ont exigé des garanties de la part du ministère pour ne plus intervenir dans le volet technique des activités de l’institut de manière à assurer la transparence de l’information et son indépendance.
Dans une conférence de presse, mercredi, à Tunis, Habib Fourati, directeur central des statistiques démographiques à l’Ins s’est inscrit en faux contre toutes ces allégations.
D’abord, selon lui, le taux de pauvreté en Tunisie ne dépasse guère les 3,8%. Le taux de la pauvreté extrême s’établit, tout au plus, à 11,4%. Alors que le taux de chômage a atteint 13,3%, en 2010, selon une enquête nationale réalisée à ce sujet.

L’indépendance des statisticiens en question
M. Fourati a affirmé aussi que l’Ins n’a pas subi de pressions, avant la révolution du 14 janvier 2011, pour publier telles données et non d’autres. A le croire – mais on a tout de même de bonnes raisons d’être sceptiques –, l’Ins a gardé son indépendance dans la publication des statistiques, conformément à la loi régissant le secteur.
Comment alors expliquer cet écart important entre les chiffres? M. Fourati répond que le taux de pauvreté publié par le ministère des Affaires sociales n’est pas calculé selon les standards internationaux. Idem pour le chiffre relatif au nombre de chômeurs annoncé par le ministère de l’Emploi (près de 700.000), sachant que les deux ministères ont eu recours à leurs propres registres pour le calcul de ces taux.
Faut-il croire les responsables administratifs qui sont sur le terrain ou les techniciens de la statistique qui manipulent des chiffres sans âme et des équations abstraites? Débat philosophique s’il en est…  
Les méthodologies adoptées par l’Ins dans la production des indicateurs statistiques (taux de pauvreté et de chômage) sont «scientifiques» et «basées sur des standards recommandés par les organisations internationales tels que la Banque Mondiale (BM), le Fonds monétaire international (Fmi) et le Bureau international du travail (Bit)», explique M. Fourati. Qui défend avec force conviction «la crédibilité» des chiffres publiées par l’Ins, d’autant qu’elles sont, selon lui, soumises au contrôle du Fmi et qu’elles sont réalisées par les employés compétents de l’institut.

Bientôt l’Ins déballera tout sur internet
Par ailleurs, M. Fourati a fait savoir au cours de la conférence de presse que les données individuelles des enquêtes nationales, effectuées par l’institut, seront prochainement accessibles sur son site Internet, et ce, en vertu du décret relatif au droit de l’accès à l’information statistique, qui sera publié la semaine prochaine.
Les statistiques nationales sur l’emploi pour l'année 2010, l’enquête nationale sur les dépenses familiales de 2005 ainsi que des données détaillées sur le commerce extérieur seront, dans un premier temps, publiées sur Internet.
Les différentes statistiques effectuées par l’Ins seront, progressivement, publiées dans un second temps.
Selon M. Fourati, l’objectif est de permettre aux chercheurs et étudiants d’accéder à l’information statistique, dans le cadre d’une stratégie visant l’amélioration de la communication avec les utilisateurs de l’information statistique et les médias, ainsi que l’instauration de la culture statistique chez l’apprenant.

Imed Bahri (avec Tap).

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