Des usines qui ferment. Le chômage en montée vertigineuse. Une économie en berne. Comment faire face et redresser la barre? Pas facile mais c’est possible! Selon Mustapha Kamel Nabli, le plus dur est passé.
Par Zohra Abid


Ce diagnostic avisé, le gouverneur de la Banque centrale tunisienne (Bct) l’a fait au cours de la rencontre-débat sur «les entreprises et les banques après la révolution», vendredi, au siège de l’Union tunisienne de l’industrie et du commerce (Utica). «Notre économie a dépassé le cap du danger. Nous ne sommes plus à moins de 3.3% du taux de croissance des trois premiers mois de l’année et la baisse sera moins cruelle dans les mois à venir. Il y a des indicateurs positifs», a lancé  M. Nabli à un parterre de chefs d’entreprises, après les avoir écoutés deux heures durant. Ce discours rassurant, ces derniers avaient vraiment besoin de l’entendre. A chacun ses difficultés, à chacun ses propositions et tous ont des problèmes avec les banques et des choses à reprocher au gouvernement provisoire.

Dissiper les inquiétudes
«En seulement cinq mois, il y a une croissance de 7% dans le secteur banquier. L’évolution n’est pas très loin à celle de 2010. Nous sommes à 2.600 millions de dinars (MD), dont 40% pour la couverture des crédits pas encore remboursés et 50% pour les nouveaux crédits destinés à la gestion et à l’investissement. Nous avons enregistré une augmentation de crédits de 16 à 17% et il n’y a pas de quoi s’alarmer», a-t-il ajouté.



Le secteur souffre certes de quelques problèmes de liquidité, mais la Banque centrale, selon M. Nabli, est venue au secours des banques à temps en leur injectant 3.000 MD afin qu’elles puissent relancer rapidement les activités économiques. Il reste tout de même important de tenir compte des effets économiques néfastes du premier trimestre 2011.
Après les nuages du beau temps? Peut-on vraiment oser l’espérer? «Pour préserver le tissu économique, il faut que vous ayez du courage et de la rigueur afin de surmonter cette phase de transition», a encore lancé M. Nabli aux hommes d’affaires. Et d’insister: «Votre rôle est très important, on le sait. Une croissance économique constante dans les deux années à venir va apurer la situation mitigée. Pour accélérer le processus de la transition démocratique dans le pays, il faut tenir bon, vous avez un beau rôle à jouer aujourd’hui».

Que peut faire encore l’Etat ?
Depuis quelques mois, il y a comme une sorte de pression de l’Etat sur les chefs d’entreprise pour qu’ils investissent davantage dans les régions. Mais pour investir, il faut qu’il y ait un bon climat de partenariat avec les banques et avec l’Etat. Il faut les encourager, et non pas leur tourner le dos. Comment? «L’Etat prend des décisions qui sont contre nos intérêts sans nous consulter. Comme la promulgation du décret relatif à l’amnistie générale sur les chèques sans provisions, le décret relatif à la profession d’avocat, etc.», a lancé un chef d’entreprises. Visiblement écœuré, il a ajouté que 600 unités sont sinistrées dont 50% de Pme, qui continuent de payer leurs employés sans qu’ils ne travaillent. «Les patrons sont au bout du rouleau, le moral est à zéro. Pour investir, il faut que le moral soit au beau fixe. Et là, l’Etat et les banques ont un rôle essentiel à jouer. Sinon, on ne peut pas continuer avec entrain», a-t-il dit, exprimant un sentiment partagé par la plupart des patrons présents. Ces derniers reprochent à l’Etat de ne pas être indemniser rapidement les entreprises sinistrées afin qu’elles reprennent pied et aux banques de se montrer réticentes. Selon eux, il y a des pressions sur le marché de l’emploi et l’Etat leur demande d’investir notamment dans les régions pour mettre fin à l’accroissement du chômage, mais les banques rechignent à les aider à la création d’entreprises. «Il faut un message fort de la part de l’Etat pour au moins que les banques débloquent au moins de petits montants», lance un autre chef d’entreprise.
Sécurité et investissement sont indissociables
Outre les retards dans l’indemnisation des entreprises sinistrées, les patrons reprochent aussi à l’Etat le manque de protection accordée aux investisseurs tunisiens et étrangers. Résultat: beaucoup d’entre eux ont plié bagages et sont partis dans d’autres pays comme la Turquie et le Maroc, laissant derrière eux des centaines de nouveaux chômeurs.
Alors que les chefs d’entreprises lui demandent d’intervenir rapidement auprès des banques pour que celles-ci leurs accordent davantage de prêts, le gouverneur de la Banque centrale a dû rappeler aux hommes d’affaires ce qu’ils savent déjà, à avoir que le pays passe par une crise politique et sécuritaire, alors que sans investissement et sans croissance économique constante, il aura du mal à réussir sa transition démocratique.
La marge de manœuvre des hommes d’affaires comme celle des pouvoirs publics est, on l’a compris, très limitée, alors que chaque partie demande à l’autre de faire un effort supplémentaire.
M. Nabli comprend très bien les inquiétudes actuelles des chefs d’entreprise et reconnaît que, sans une aide à l’investissement, rien ne pourra se faire sur le plan  aussi bien économique que politique et le pays pourrait même s’écrouler. Aussi a-t-il demandé qu’on lui dresse, au plus vite, une liste des entreprises sinistrées afin qu’il puisse leur fournir les liquidités dont elles ont besoin. Il est urgent que ces entreprises rouvrent et reprennent leurs activités, dit-il. On ne peut pas demander à ces entreprises de continuer à payer des salaires alors que leur rendement est proche de zéro, ajoute-t-il. Des mots, toujours des mots? Non, des engagements.

Et le rôle des argentiers?
En fait, tout est lié. Sans la sécurité, il n’y a pas d’investisseurs. Et pour investir, il faut des liquidités. Et sans les banques, il n’y a pas de liquidités, et pour avoir ces liquidités, il faut que l’Etat intervienne et donne un coup de pouce salutaire. Investissement, sécurité, liquidités… Tout doit aller ensemble et en même temps.
La Pdg de la Stb, Samira Ghribi a, pour sa part, nié tout ralentissement dans le financement bancaire. «Le concours de la Stb à l’économie a évolué de 8.1% au cours des six premiers mois de l’année», a-t-elle dit. Elle a aussi défendu les fondamentaux de sa banque, en réponse à un intervenant qui a appelé à sa fermeture banque, parque que, a-t-il dit, elle était plus une BT, c’est-à-dire la «Banque des Trabelsi», qu’une Société tunisienne de banque.
Le mot de la fin est revenu à Wided Bouchamaoui, présidente par intérim de  l’Utica. Et elle l’a voulu positif. «Pour examiner périodiquement la croissance économique du pays, des rencontres de ce genre s’imposent, une fois tous les six mois. Cela va permettre aux uns et aux autres d’exposer leurs problèmes, d’entrevoir des solutions et renforcer les liens entre la banque et l’entreprise dans le cadre d’une nouvelle stratégie».