Ici, ça chauffe. Ça sent le pourri entre les deux voisins ennemis qui n’arrivent ni à se gober ni à se côtoyer. Les ouvriers de la Coopmag font la gueule. Et menacent… Un grand coup de balai s’impose!
Par Zohra Abid


Cette fois-ci ça passe ou ça casse. Pas question de céder la bonne place aux rivaux introduits par les Trabelsi depuis 1996. Pour que les ouvriers du Marché de gros de Bir El Kassâa (gouvernorat de Ben Arous) – qui nourrit le Grand Tunis en légumes, fruits et poissons –, ne fassent pas grève, il a fallu trouver des solutions à l’amiable entre les occupants des pavillons n°1, 2, 3 et 5 de la Coopérative du Marché de gros (Coopmag), qui fait travailler 1.250 ouvriers, et les 39 grossistes du pavillon n°4, qui travaillent indépendamment de la coopérative et posent problème. Après une suite de négociations, un accord a été signé le 20 juin, entre l’Ugtt et le Premier ministère. La grève prévue en juin n’a finalement pas eu lieu. Mais voilà, des choses qui ne tournent pas rond. L’accord n’a pas été respecté et les locataires des pavillons 1, 2, 3 et 5, exaspérés, sont revenus à leur menace de grève. Selon eux, les ex-protégés du clan Ben Ali ont changé de tuteurs et sont toujours là, à l’insu de tous et, surtout, de toutes les lois.
Suite aux différends entre la Coopmag, la direction générale de la société du Marché de gros de Bir El Kassâa d’un côté, et de l’autre, les grossistes et les mandataires du pavillon n°4, la Fédération syndicale de base de la coopérative ouvrière du marché Bir El Kassâa a, on le sait, appelé à une grève les 12, 13 et 14 juillet. Qui n’a finalement pas eu lieu. Mais l’atmosphère n’est pas encore tout à fait saine.

Le peuple veut... la transparence et l’équité
Les Trabelsi étant partis, qui protège encore les grossistes et mandataires du pavillon n° 4? La question mérite réponse. Ne se suffisant pas des négociations continues entre l’Ugtt et le ministère du Commerce, l’Alliance nationale pour la paix et la prospérité (Anpp, l’un des 96 partis politiques tunisiens) a voulu aller sur le terrain et fourrer son nez dans les étalages du Marché de gros de Bir El Kassâa, pour essayer de comprendre la situation et tenter de trouver une issue raisonnable aux différends qui empoisonnent la vie des commerçants.


Skander Rekik au cours de la conférence de presse

Skander Rekik, un homme d’affaires qui a fait des grandes études (et travaillé) notamment aux Etats-Unis, croit à la démocratie. Il aime être à l’écoute des citoyens. C’est ce qu’il a expliqué lors d’un point de presse, lundi à Tunis. Pour lui, le rôle des partis est d’accompagner les gens dans leurs problèmes, sinon ils ne serviraient à rien. «Le peuple veut... non la chute du gouvernement, mais... la transparence, l’équité, la justice. Sans ces principes de base qui sont ceux de la révolution, il n’y aura ni démocratie ni essor économique ni prospérité», a-t-il lancé, tout en rappelant les grandes lignes du programme de son parti qui se définit centriste. «Au lieu de faire du social et trouver des remèdes à une infrastructure rongée par le cancer de la mafia des Trabelsi & co, les partis ne font que placarder leurs portraits sur les routes comme des produits laitiers et se désintéressent de l’essentiel: l’avenir de la Tunisie», accuse M. Rekik.
Le président de l’Anpp ajoute qu’il est allé à trois reprises (et successivement) au Marché de gros, a constaté et bien écouté les travailleurs. «Ils m’ont révélé au moins sept noms. Il s’agit des symboles de l’ancien régime qui font aujourd’hui le bon (et surtout le mauvais) temps dans l’administration. Et là, j’ai compris les raisons du micmac qui fonctionne à merveille notamment au sein du ministère du Commerce». Et de s’interroger: «Sinon comment expliquer cette lenteur dans l’exécution des décisions? Un accord a été signé depuis belle lurette. Et par-dessus le marché, il y a un article dans le cahier des charges qui définit les limites de chacun. S’il n’est pas respecté, automatiquement, le droit revient à ceux qui sont de droit. J’ai demandé à maintes reprises audience au Premier ministre pour lui expliquer la situation, il ne m’a pas répondu. Tout comme l’ex-ministre de la Santé, lorsqu’on a voulu lui exposer l’état des lieux de l’hôpital de Metlaoui, mais là, c’est un autre problème», s’est-il indigné après avoir passé en revue l’historique du Marché de gros et projeté des images récentes prises en mai. Le bâtiment était inaccessible par les eaux de pluies et son état actuel laisse à désirer.

A bas les symboles de la corruption!
«Pour avancer, il faut extirper les symboles de la corruption du secteur du commerce qui détiennent encore des postes de décision dans l’administration. Nous sommes pour la réconciliation nationale, mais après qu’il y ait eu aveu et réparation des abus commis. Tous les corrompus doivent demander pardon au peuple et il y a des façons pour se faire pardonner», explique M. Rekik. Selon lui, il est nécessaire que la Commission du marché financier (Cmf) procède à des opérations d’audit au sein de la Société tunisienne des marchés de gros (Sotumag) cotée en bourse (l’Etat en détient 50.5%) et à ne pas mettre aux commandes un responsable ayant plusieurs casquettes, gérant en même temps la Sotumag et un hôpital public.
D’un autre côté, le numéro un de l’Anpp a jugé nécessaire la modernisation de l’infrastructure de base du marché afin de combler les failles, offrir un environnement convenable pour l’ensemble des pavillons, y compris le 4, et appliquer les mêmes conditions à tous les locataires sans ségrégation aucune.
Les journalistes voulaient, coûte-que-coûte, des révélations, des noms. M. Rekik s’est montré réticent. Il a tourné autour du pot sans citer des noms. Face à  l’insistance des médias, il a fini par déclarer qu’au sein du ministère du Commerce, il y a un «ministre de l’ombre», qui dirige tout alors que le titulaire du portefeuille est en train de voyager ici et là. «Mais qui est-il? Nous voulons des noms», criait la salle. «Mohsen Laroui. Il a été le conseiller de Ben Ali et il a encore un œil sur tout», a-t-il fini par lâcher. Selon lui, cet homme n’est pas le seul rescapé de l’ancien système à sévir encore dans le pays. «Vous êtes des journalistes, à vous de fouiner, de chercher, de dénoncer…», lance encore M. Rékik. Le ton est devenu grave. Tout le monde parle en même temps. Des cris fusent de partout, comme au marché de gros de Bir El Kassâa.
«Les négociations ont abouti grâce à l’Ugtt. De quel droit vous mêlez-vous à des problèmes qui ne vous concernent pas? Vous faites de la politique, vous n’avez pas le droit de porter la casquette d’un syndicaliste. Si c’est pour gagner des points par cette action qui est sur le point de réussir, on ne vous laissera pas faire !». D’où ont surgi tous ces soi-disant «journalistes», qui ne posent pas de questions, mais font le procès du conférencier? Pour quelle partie (ou parti) roulent-ils? Pourquoi cherchent-ils à faire taire l’importun empêcheur de tourner en rond? On n’en sait rien! Le brouhaha, qui a accompagné la fin en queue de poisson de la conférence de presse, en dit long sur l’état de délabrement dans lequel Ben Ali et ses acolytes ont laissé le pays.

* La dernière nomination de Mohsen Laroui remonte au le 13 octobre 2010. Il a été élevé au rang de secrétaire d’Etat auprès du ministre du Commerce et de l’Artisanat, chargé du commerce intérieur. On ne lui connaît d’autres nominations depuis.
Né le 5 janvier 1954 à Sousse, ce licencié en droit privé et titulaire du diplôme du cycle supérieur de l’Ecole nationale d’administration a obtenu, en 1982, le grade de conseiller des services publics.
Il a occupé notamment les postes de directeur du commerce intérieur au ministère de l’Economie nationale (1991-1995), de directeur général de la concurrence et du commerce intérieur au ministère du Commerce (1995-2000) et de Pdg de la Société du magasin général (2000-2002), sa période de déclin avant sa cession à des privés.
En 2002, M. Laroui est secrétaire d’Etat auprès du ministre du Tourisme, du Commerce et de l’Artisanat, chargé du commerce. En décembre 2003, il est nommé conseiller principal auprès du président de la République. En août 2004, et jusqu'à sa dernière nomination, il a occupé les fonctions de chargé de mission auprès du Premier ministre pour la supervision de la Commission supérieure des marchés et du comité de suivi et d’enquête, un poste on ne peut plus stratégique.
M. Laroui est officier de l’Ordre de la République, marié et père de deux enfants.