Entretien avec Ezzeddine Khouja*, réalisé en marge du 1er Forum maghrébin de la finance islamique, les 15 et 16 juillet à Tunis. Propos recueillis par Aya Chedi
Kapitalis: Vous avez bien présenté le séminaire, mais la finance islamique a de gros challenges en Tunisie. Si vous pourriez nous résumer certains de ces défis que la Tunisie doit relever pour devenir un pôle en la matière?
Ezzeddine Khouja: L’industrie de la finance islamique, au cours de ses 35 ans d’existence, a réussi à se développer d’une manière exponentielle. Le taux de croissance annuel de 28% n’est pas à vrai dire une tâche facile à réaliser, outre le volume de ses fonds qui atteint les 900 milliards de dollars et ce seulement pour les banques et les institutions qui adoptent ses principes et méthodes de travail, sans bien sûr évoquer les antennes islamiques des autres banques.
Ce développement nous permet de dire que la finance islamique a de vrais beaux jours devant elle, surtout si elle réussit à répondre à toutes les demandes croissantes des services bancaires islamiques. Et c’est dans la nature des choses, puisque cette demande se trouve dans la majorité des pays du monde, même ceux européens et asiatiques.
Ceci n’empêche de dire que certains obstacles existent toujours ce qui empêche la finance islamique d’être répandue encore davantage dans la région du Maghreb. C’est vrai qu’en Tunisie nous avons Al Baraka Bank et Banque Zitouna, en Algérie nous avons Massref Assalam et Banque El Baraka ainsi que d’autres institutions au Maroc. Mais je pense que pour que ces institutions connaissent un meilleur développement, il faudrait trouver un environnement juridique adéquat. Et c’est ce qui est du plus nécessaire, surtout que nous sommes dans une ère où la création d’une banque par un décret exceptionnel n’est plus d’actualité.
Actuellement, plus de 35 pays à travers le monde ont paraphé des lois adéquates, sans lesquelles la finance islamique ne pourrait pas connaître l’éclosion espérée. Je pense que la création d’un cadre légal est d’une importance telle, et nous nous réjouissons de la déclaration du ministre des Finances portant sur les mécanismes permettant la création de ces lois d’ici la fin de l’année. C’est l’un des plus grands handicaps qui une fois résolu, la possibilité de l’expansion des banques sera de plus en plus une réalité.
Est-ce que nous nous dirigeons vers une refonte, du moins partielle, du système fiscal tunisien, afin de permettre aux institutions de finance islamique de se développer ?
Les institutions de finance islamique font partie intégrante du tissu bancaire dans chaque pays. La finance islamique se trouve dans la majorité des pays du monde, mais le contexte et les expériences différent d’un pays à l’autre.
Certains pays ont crée des lois spéciales et indépendantes et y ont inclus le cadre réglementaire de la finance islamique; d’autres pays ont rajouté des clauses dans le cadre législatif bancaire général. Le plus important, c’est d’opérer des ajustements structurels qui permettront le développement des institutions et de leurs services, et ce en ce qui concerne la fiscalité ou autres.
De quel genre d’ajustements parle-t-on ici?
Les banques islamiques n’accordent pas des crédits aves des intérêts, mais opèrent de façon à ce que les matériaux et les matières s’achètent et se vendent. Un cadre législatif est requis dans ce cas. Quand les banques islamiques vendent des produits en recourant à la Mourabaha, elles achètent le produit, le fonds ou autres, elles les ventent par la suite. Le cadre actuel fait que lorsqu’une banque finance selon ce principe de Mourabaha, elle se trouve contrainte de payer des taxes, et lorsqu’elle les vend, elle a encore d’autres taxes à payer… C’est une double taxation. La Grande Bretagne a trouvé une solution dans ce cas.
Ce sont ces problèmes opérationnels qui empêchent la finance islamique de se développer. Il leur faut des solutions.
Certains autres produits de la finance islamique peuvent rencontrer des problèmes une fois approuvés en Tunisie, tels que Sukuks…
Les Sukuks sont un produit exceptionnel en matière d’attraction de fonds, que ce soit au niveau interne qu’à celui externe. Ils remplacent les fonds traditionnels qui posent sur l’endettement. Je pense que ces produits vont apporter beaucoup à l’économie tunisienne surtout en matière de financement des grands projets créateurs d’emploi.
* Secrétaire général des Banques et des Institutions financières islamiques.