Des bus scolaires sillonneront à partir de l’automne prochain les champs de blé, traverseront les steppes d’alfa et serpenteront entre les hauteurs et les bois faisant la navette entre les écoles en ville et les zones rurales. Par Zohra Abid
Le calvaire sera bientôt fini pour des centaines d’élèves qui habitent dans le tréfonds du pays, loin des écoles, et qui sont, jusque-là, privés d’un bus scolaire. Epi d’Or y a pensé et vient de faire un geste. La société des pâtes alimentaires a offert quatre bus, et ce ne qu’un début de son contrat avec le ministère de l’Education. D’autres bus (on avance le chiffre de 30 pour le moment) suivront pour couvrir la totalité des régions en manque flagrant de moyens de transport. Quand? Si tout va bien, c’est pour très bientôt.
Explication: si les citoyens mettent de leur côté la main à la pâte et achètent les pâtes d’Epi d’Or, l’acquisition des bus ne va pas trop tarder. «Un seul bus, on le sait, coûte la bagatelle de 150.000 dinars. Avec une partie de l’argent escompté sur la vente des paquets de pâtes, qui est un geste quotidien, nous allons honorer rapidement nos engagements», a lancé Olfa Mellouli, directrice marketing de la société, lors d’un point de presse, mercredi, au ministère de l’Education nationale, suivi par la cérémonie de la signature d’un contrat baptisé Atini Kari, une alliance pour le meilleur et... le meilleur.
Atini Kari: l’or de la solidarité
De quoi s’agit-il? Le programme Atini Kari – en arabe tunisien – est à double résonance. Atini veut dire «donnez-moi», et Kari peut être traduit à la fois, et au choix, par «mon bus» ou «ma valeur». Et toute l’opération se trouve dans le double sens de la nomination.
Ici, on profite pour féliciter l’agence qui a présenté à merveille le dossier de presse. Tout en jaune soleil avec un bus joliment esquissé qui rappelle une feuille d’un cahier de dessin ou de récitation d’un écolier.
Mme Mellouli a commencé par passer en revue l’histoire de l’entreprise des pâtes alimentaires Epi d’Or, fondée par feu Habib Mellouli en 1943 et qui fait travailler actuellement 700 personnes dont 120 cadres supérieurs. Cette entreprise, aujourd’hui leader du marché grâce à la variété de sa gamme, consacre 20% de sa production à l’exportation. Elle s’est, par ailleurs, toujours démarquée par d’autres actions. «Notre entreprise est une marque citoyenne. Nous sommes omniprésents au village SOS Gammarth. Dans notre société, nous-nous côtoyons comme des membres d’une même famille et nous-nous consultons souvent sur tout ce qui fait avancer notre société. A Ras Jdir, nos employés ont participé à la caravane d’aide humanitaire et chacun selon ses moyens», a précisé Mme mellouli avant de s’arrêter sur un point qui lui tient à cœur. «Il y a deux ans et quelques, l’entreprise des Mellouli a voulu aider les enfants de Gaza. Au moment où tout était prêt, des responsables de l’ancien régime nous ont barré la route et refusé le projet», raconte Mme Mellouli. «Avant le 14 janvier, on avait certes une petite idée de la situation sociale de la Tunisie profonde, mais pas au point de ce qu’on a découvert après, et qui dépasse l’inimaginable», s’est elle ensuite indignée. Cependant, ce qui est fait est fait, mieux vaut regarder l’avenir.
Des km à pieds, ça use...
Ce qui compte, selon elle, c’est de se rattraper, préparer l’avenir et tourner la page sombre d’un régime indigne.
Après les images tournées en boucle sur le petit écran et que le peuple ait découvert la vérité poignante, Olfa Mellouli dit qu’aucun citoyen ne peut dorénavant croiser les bras ou dormir sur des lauriers. «Nous devons mettre, tous la main dans la main et composer avec la situation. Tous solidaires et chacun de son côté avec ce qu’il peut. En tant que marque, nous devons être de l’avant et nous allons agir selon nos moyens», a-t-elle dit.
Hassen Annabi et Olfa Mellouli signent l'accord
Selon Mme Mellouli, Epi d’Or n’a pas choisi le domaine de l’éducation par hasard. «Les élèves se rendent aux écoles à pieds lorsqu’il pleut à torrent ou sous un soleil de plomb; les routes sont dangereuses et pleines de risques; il leur arrive d’échouer et au final d’interrompre leur scolarité et de faire tomber à l’eau leurs rêves», a-t-elle expliqué. Et d’imaginer l’élément décisif pour que l’action citoyenne envisagée soit un succès. «La campagne publicitaire de Atini Kari va durer un mois. Le nombre de bus acquis sera en fonction des ventes. Le spot publicitaire est un petit film tiré du quotidien des gens avec vues panoramiques et témoignages», a commenté la directrice marketing après avoir passé sur écran le film de Atini Kari. Madame était entourée notamment de sa collaboratrice Mawaheb Ben Amor et de Hassen Annabi, secrétaire d’Etat auprès du ministère de l’Education nationale.
Privé et public, même combat
La présence de ces responsables explique que seul le ministère est en mesure de piloter Atini Kari et d’assurer sa réussite. C’est-à-dire la logistique, l’encadrement, les chauffeurs, l’entretien, le circuit qu’il faut, etc.
Si le secrétaire d’Etat Hassen Annabi s’est montré optimiste quant à l’impact de ce geste citoyen d’une société privée engagée, Mohamed Tonn, son collègue du ministère, n’est pas loin de partager cet optimisme. Il n’est pas parti par plusieurs chemins pour tourner le couteau dans la plaie et rappeler les carences d’un système dépassé. Selon lui, son ministère, tout seul, est incapable de répondre aux besoins des établissements scolaires. Il y a tellement de choses à faire (et à refaire); et compter seulement sur le budget que l’Etat consacre à l’éducation ne suffit pas.
«Selon des études de terrain, il nous faut 400 millions de dinars, rien que pour l’entretien des établissements. Les matelas des pensionnaires en mousse sont chiffonnés et leur état laisse à désirer. Il est urgent de les changer en matelas à ressort et ceci nous coûtera dans les 4 millions de dinars», a souligné M.Tonn sur un ton grave. Selon lui, tout est vieillot, délabré… «Les tables, les chaises et les tableaux renvoient à une autre époque, à ces mêmes bancs utilisés par nos parents quand ils fréquentaient eux-mêmes ces écoles». «Pour redorer le blason du secteur, nous comptons beaucoup sur l’encouragement des privés. Des institutions comme Epi d’or, il nous en faut», a insisté M. Tonn. Pourvu que son message ait de l’écho!
Main dans la main
Dans l’accord que vient de signer Epi d’Or avec le ministère de l’Education, tout est calculé et il y a de la pub sur l’ardoise et beaucoup d’argent à gagner. Qu’en pensent les responsables du ministère? Réponse de Hassen Annabi: «Qu’Epi d’Or se fasse de l’argent sur le dos de nos écoliers ne nous dérange point. C’est un partenariat gagnant-gagnant et il est porteur de fruits. Ce sont les écoliers qui s’en sortiront de l’affaire bien lotis. Nous allons penser, dans une autre étape, aux diplômés. Sans l’aide des privés, le ministère qui fait travailler 40% de cette catégorie, ne pourra jamais, s’en sortir... Les privés peuvent nous aider à caser les diplômés».
Pour le moment, Epi d’Or a mis sur la route sa campagne de pub. Les ménagères n’ont qu’à remplir leur panier de pâtes pour que le rêve des petits de nos campagnes soit une réalité. Et s’il faut faire un petit plus qui ne va appauvrir personne: le Croissant rouge est présent dans tous les magasins et il est preneur. N’hésitez pas à faire vos autres dons, notamment en Epi d’Or!