Selon des experts de la Banque africaine de développement (Bad), la crise libyenne accentue la vulnérabilité de l’économie tunisienne qui peine à se relever de sa propre crise.


Dans une note analytique trimestrielle sur l’Afrique du Nord publiée, début août, ces économistes prévoient une réduction du taux croissance du Pib de 0,4 % pour s'établir à 0,7% en 2011, soit 0,4% de moins que l’estimation antérieure de la banque tablant sur 1,1%.
La baisse des investissements privés pourrait diminuer la croissance du Pib de 0,2% et les exportations de 0,3%. Mais cela pourrait être partiellement compensé par un accroissement de la consommation de 0,1%, induit par une demande accrue des Libyens réfugiés en Tunisie, qui bénéficient de moyens financiers importants.
La note de la Bad souligne les secteurs qui ont été le plus fortement affectés, notamment le tourisme et l’industrie manufacturière (à vocation exportatrice).
Les investissements directs étrangers ont également baissé, ce qui a provoqué une détérioration des recettes budgétaires et un accroissement du taux du chômage. Les flux financiers, les transferts de fonds des Tunisiens à l’étranger et le commerce dans les zones frontalières ont été plus particulièrement touchés.
La Tunisie devrait, par ailleurs, faire face à un nouveau défi et chercher des sources alternatives pour satisfaire ses besoins en produits pétroliers qu’elle importait auparavant de Libye. Des discussions avec l’Algérie sont en cours pour essayer de substituer les importations de la Libye par des importations de l’Algérie, aux mêmes conditions.
Sur le plan social, le conflit a également eu un impact direct sur les habitants des zones frontalières, qui vivent des revenus du commerce informel avec la Libye, ainsi que les ménages qui dépendaient des envois de fonds des travailleurs tunisiens en Libye.
Baisse des échanges bilatéraux. Sur le plan bilatéral, les échanges commerciaux ont considérablement baissé au cours du premier trimestre de 2011. Les exportations tunisiennes vers la Libye ont diminué de 34% tandis que ses importations de ce pays ont chuté de -95%, en raison de l’interruption des importations de pétrole brut, qui représentent la majorité des importations tunisiennes de Libye.
L’évaluation par la Bad des effets de la crise libyenne sur les exportations tunisiennes fait ressortir deux scénarios:
- le premier, optimiste, table sur une diminution continue des exportations vers la Libye, au même rythme que celui enregistré au cours du premier trimestre de cette année ;
- le second, pessimiste, craint un arrêt total des exportations.
Partant d’une valeur d’exportation de l’ordre de 1.050 millions de dinars (MD) en 2010, la Bad, estime, sur la base de simulations, que les pertes pourraient varier, selon les scénarios, de 357 MD et 886 MD en 2011.
Effets négatifs sur le tourisme. Le conflit en Libye aura également des effets négatifs sur le tourisme, notamment de la santé (cliniques privées) et, par conséquent, sur l’emploi.
Le total des dépenses des Libyens en Tunisie a atteint 890 MD en 2010, soit 18% des recettes annuelles touristiques de la Tunisie. Jusqu’à la fin d’avril 2011, 260.000 Libyens sont entrés en Tunisie, soit 14% du nombre total de ceux entrés en 2010. Ainsi, sous l’hypothèse d’un arrêt total des arrivées, la perte s’élèverait à 750 MD, soit l’équivalent de 86% des dépenses des Libyens dans ce secteur en 2010.
Les économistes de la Bad tempèrent, cependant, cette projection très pessimiste, indiquant que le nombre de réfugiés libyens qui envisagent de rester en Tunisie s’élève, actuellement à 65.000, soit l’équivalent de 40% des arrivées libyennes au cours de la même période de l’année précédente. Autant dire que cette arrivée massive de réfugiés pourrait aider à relancer la demande et stimuler la consommation dans le pays.
Transferts des immigrés. Le retour des immigrés affectera le volume des envois de fonds des travailleurs tunisiens en Libye, qui s’élevait à plus de 50 MD en 2009. Selon l’Organisation internationale des migrations (Oim), 41.322 travailleurs tunisiens sont déjà rentrés depuis février de Libye, sur plus de 92.000 qui y travaillent. Ce retour des migrants est susceptible d’augmenter les pressions sur le marché du travail. Par ailleurs, le coût du programme de compensation mis en place par le gouvernement tunisien (20 MD), combiné à la perte des envois de fonds (pouvant atteindre 125 MD), sont estimés par les experts de la Bad à 145 MD.
Transferts des banques libyennes. Tout n’étant pas noir, la situation d’insécurité en Libye a stimulé une les transferts des banques libyennes vers la Tunisie au cours des trois derniers mois, notamment à travers les comptes des banques tuniso-libyennes: Banque internationale d’Afrique du Nord (Alubaf), International Bank (IB) et la Banque tuniso-libyenne (Btl).
Les transferts directs et en espèce (180 millions d’euros) ont, en effet, augmenté de, respectivement, plus que 20% et 200%, par rapport à la même période de l’année précédente.
A la lumière de ces indicateurs, la Bad suppose que l’impact de la crise libyenne sur le solde net des opérations bancaires est positif et que la perte provoquée par la chute de la valeur des lettres de crédit est largement compensée par les autres types de transferts.

 

Source : Tap.