Le «Jasmin Plan», un nom qui a sonné dans l’oreille de Robert Zoellick, président de la Banque Mondiale, le préférant à un autre «Plan Marshall» pour la Tunisie. Un nom qui n’apporte de nouveau que lui-même. Par Aya Chedi
Ce plan a été discuté «devant une audience ayant un niveau technique. Car le sujet du financement de l’économie nationale est d’une très grande importance. On a beau mettre en place un tel plan de développement et les plans macro-économiques les plus ambitieux. Mais s’il n’existe pas de sources de financement, et si on ne développe pas le système financier pour accompagner ces programmes, on n’ira pas plus loin», a dit Jalloul Ayed, ministre provisoire des Finances, samedi, lors de la conférence organisée par l’Atuge (Association des Tunisiens des Grandes Ecoles). Une conférence où l’on a débattu des sources de financement de l’économie tunisienne et du rôle du secteur financier. Mais ce sont surtout ce «Plan du Jasmin» ainsi que le financement des projets qui ont été traités.
Des réponses ‘‘here and now’’
Dans le contexte actuel, le chômage ne cesse de peser. Le programme Amal pour le soutien des diplômés et des chômeurs va coûter «400 millions de dinars. Mais ce n’est qu’un palliatif à court terme. On a racheté la paix sociale, mais on ne sait pas ce qu’il en sera dans un an», avoue M. Ayed, dubitatif.
Actuellement, notre pays compte 700.000 chômeurs. Les taux de chômage varient entre les sexes, les catégories d’âges et surtout les régions (il frôle les 40% dans certaines zones). Pour créer un poste d’emploi stable, précise le ministre des Finances, il faut au moins 50.000 dinars. Pour trouver des emplois à l’ensemble des chômeurs en Tunisie, une bagatelle de 40 à 50 milliards de dinars est nécessaire. «Les jeunes ne l’entendent pas de cet oreille. Ils se sont appropriés cette révolution. Ils exigent des réponses ‘‘here and now’’», dit aussi M. Ayed.
Comment assurer des conditions de prospérité tangibles pour l’ensemble des citoyens, mais surtout pour les jeunes afin de consolider la démocratie ? Ce sont les points de départ pour la conception de ce «Plan du Jasmin» avec ses 17 points. D’autres de ces aspects sont à moyen et long termes. «Mais on ne peut dire avoir gagné la partie que lorsqu’on arrive à dépasser ce cercle vicieux, où l’on se demande si c’est la démocratie qui crée la prospérité ou si c’est le contraire», dit encore le ministre des Finances. Un devoir de «gestion de l’anticipation s’impose», donc. Car on se demande où allons-nous trouver tout cet argent ? «Je ne compte pas trop sur le G8, il faut compter sur soi-même», avoue le ministre.
Sur qui donc compter, le secteur privé ? «J’ai fait le tour des grands groupes privés tunisiens. Ils n’ont pas de cash. Quelque chose comme 5 milliards de dinars tournent, mais dont seulement 1 à 1,5 milliard de dinars sont disponibles pour être convertis en investissements», déplore aussi M. Ayed.
Si ce n’est pas le secteur privé, qui alors ? L’Etat ! Mais «l’Etat n’est pas un bon investisseur. D’accord, il y est pour beaucoup en ce qui concerne les hôpitaux, les routes, les écoles et toutes les autres infrastructures. Ce genre de projet fait aussi travailler beaucoup de Pme-Pmi. Mais dans 50 ans, le succès sera relatif », estime le ministre. Et puis, même si l’Etat va investir, comment le fera-t-il ? se demande l’orateur. «Serait-ce par l’endettement ?», s’interroge-t-il encore, avant de rappeler comment beaucoup de Tunisiens se sont manifestés pour dénoncer l’intention «d’hypothéquer le pays et les générations à venir».
Grosses structures financières
Alors, on propose le «Jasmin plan» qui devrait coûter près de 100 milliards de dinars, et repose sur l’investissement du secteur privé, qui devrait y contribuer à hauteur de 70 à 80 milliards de dinars. Pour le promouvoir, la structure financière de la Tunisie devra reposer sur deux mécanismes : la Caisse des Dépôts et des Consignations (Cdc) et le Fonds Générationnel. La Cdc investira dans les grands projets d’infrastructure et dans la promotion des Pme-Pmi. Avec un système financier à la limite du sinistré, on devra compter sur les dépôts de La Poste passés sous la houlette du Trésor, «et on se concentrera surtout sur la bonne gestion des risques afin de performer cette transformation des investissements en equity. Comme on essayera de lever des fonds pour les investir à long terme, sur les vingt et trente ans à venir». Pour le faire, la Cdc aura besoin de compétences, à recruter !
Jalloul Ayed et Beji Caid Essebsi
«Je m’adresse à vous à cette occasion, et nous espérons pouvoir attirer certains d’entre vous, notamment ceux basés à l’étranger», lance M. Ayed aux Atugéens présents. La Cdc aura aussi à se créer une symbiose avec les structures mises en place, telles que la Banque tunisienne de solidarité (Bts) et la Société tunisienne de garantie (Sotugar) «car 8.000 dossiers sont approuvés, mais leur créateurs ne disposent pas d’autofinancement».
Pour ce qui est du Fonds Générationnel, «encore plus important, il s’agit d’une holding qui serait un Fonds de Fonds, où l’Etat disposerait d’une force de frappe beaucoup plus forte», explique M. Ayed. L’Etat, selon lui, mettra le «seed money», la mise initiale d’un grand fonds duquel naîtront plusieurs autres fonds. «Un fonds de private equity pour lequel un changement du cadre légal a été approuvé par le Conseil des ministres. Tout en gardant certains privilèges et d’autres incitations fiscales pour les portefeuilles d’investissements», explique-t-il encore.
Des mécanismes pour instaurer la transparence
Il semble ainsi que la route soit balisée pour les gouvernements à venir en ce qui concerne les grandes stratégies macro-économiques à appliquer en Tunisie. Nul ne peut donc critiquer le gouvernement de transition et lui coller l’étiquette de celui qui ne fait rien pour apporter des solutions. Nul ne peut non plus critiquer les partis politiques auxquels on reproche le manque de programmes économiques. Ils n’ont qu’à appliquer les solutions déjà élaborées. Tout est déjà là ! On ne cesse, d’un autre côté, d’entendre parler d’un «knowledge shared economy», l’équivalent de «l’économie du savoir» brandi par l’ancien régime, comme on est revenu à la nécessité «de créer des champions nationaux, surtout dans le secteur financier par l’encouragement de fusions entre les banques et les institutions financières en Tunisie».
A vrai dire, même la Cdc est l’une des dernières œuvres du régime de Ben Ali. Elle fut, en effet, lancée au mois de janvier 2010. Ce qui est, en revanche, tout-à-fait nouveau, c’est de parler de 200.000 à 250.000 postes à chercher sur le marché libyen. Mais ce dont on omet de discuter, cependant, ce sont les bons mécanismes capables d’instaurer la transparence et qui détecteraient les fraudes et les malversations. Dans très peu d’occasions on entend parler de telles problématiques. Il semble que l’on se dirige vers l’adoption d’un très ancien adage «laisser faire, laisser passer», mais avec de nouvelles règles de jeu, qui ne manquent pas, elles, d’ingéniosité.