En Tunisie, on débat aujourd’hui de tout, sauf des modèles de développement agricole dont la Tunisie aura besoin dans les années à venir pour assurer son autosuffisance alimentaire.

Par Rym Ben Zid


Une information d’Al Jazira a circulé sur la toile, il y a quelques temps, affirmant que le gouvernement de transition s’engagerait à céder des terres agricoles en location à des investisseurs étrangers. Et, ceci, dans l’objectif d’augmenter les exportations et les revenus en devises.
De nombreux débats sont en cours en Tunisie et la plupart sont de nature politique. Les Tunisiens, toutes catégories confondues, analysent et émettent des pronostics sur l’avenir politique du pays. Mais le devenir de secteurs entiers et vitaux de l’économie, déterminant la stabilité politique du pays, ne semble pas les interpeller, ni susciter la réaction des spécialistes.
Ainsi, aucune discussion de fonds n’est menée pour définir et caractériser les modèles de développement économique et agricole, que la Tunisie voudrait adopter dans les années à venir.

Parer au déficit alimentaire
Il est, difficile, d’être prophète en son pays mais une analyse de l’évolution de la situation économique du pays durant les 50 dernières années s’impose dans l’objectif de tirer les leçons qui serviront à définir les nouvelles orientations.
La Tunisie est déficitaire en termes de produits alimentaires. Il est, donc, impératif qu’elle trouve des sources de devises pour acheter des produits alimentaires de première nécessité.
La Tunisie a, donc, développé des secteurs, tels que le tourisme, fortement dépendants de la demande extérieure et très sensibles aux contextes politique et sécuritaire, local et régional.

Le secteur de l’agriculture a été fortement délaissé, notamment sous l’impulsion du Fonds monétaire international (Fmi), préconisant, dans le cadre de la mise en place du Plan d’ajustement structurel (Pas), une libéralisation et un désengagement massif de l’Etat dans les interventions de développement agricole. Ceci s’est traduit, concrètement, par des investissements limités dans le secteur de l’agriculture, une désintégration totale du système de vulgarisation à l’égard des exploitations de petite taille et une levée progressive des subventions de l’Etat sur les engrais.

 

Cependant, malgré la pression accrue de ses partenaires techniques et financiers, le gouvernement tunisien a conservé son monopole sur la distribution des céréales et maintenu le système de subvention des céréales à la production et à la consommation, garant de la stabilité sociale du pays.
La modèle de développement agricole dominant dans le pays a été celui mis en place par les Français et perpétué par les cadres tunisiens, formés, au lendemain de l’indépendance, soit dans les écoles françaises d’agronomie ou à l’Institut national d’agronomie de Tunis (Inat) - de son premier nom, Ecole coloniale d’agriculture créée par la France en 1898. Ce modèle, basé sur la promotion de grandes exploitations à forte consommation de capital, devait servir, dans le passé, les besoins de la métropole, c’est-à-dire produire des céréales qui devaient être exportées à bas prix vers la France. D’ailleurs, ce système a été extrêmement utile à la France après la fin de la deuxième guerre mondiale, puisque les céréales de Tunisie ont servi à approvisionner, en partie, le marché français, à un moment où les structures productives étaient, encore, fortement endommagées.
Ce modèle de développement agricole a perduré et tous les acteurs du secteur agricole en Tunisie sont, jusqu'à maintenant, convaincus qu’il faut privilégier un système de développement agricole de ce type et promouvoir l’exportation de produits agricoles à un moment où la Tunisie doit importer près de 50% de la quantité des céréales qu’elle consomme. C’est là que réside toute la contradiction.
La révolution a éclos dans des zones agricoles et ceci n’est pas le fruit du hasard. Un vrai débat devrait être lancé sur les problèmes structurels de l’agriculture en Tunisie avec la participation de tous les acteurs concernés (en premier lieu, toutes les catégories de producteurs, les chercheurs, les experts, la société civile).

Le sort des terres domaniales en question
La répartition des ressources naturelles et, notamment, de la terre et de l’eau en est la pierre angulaire. Plusieurs émissions ont été diffusées après la révolution montrant le niveau d’abandon des terres domaniales. Depuis 50 ans, les différents modèles de gestion de ces terres ont montré leurs limites, que ce soit le modèle coopératif, le modèle de gestion étatique ou le modèle de sociétés privées de mise en valeur : l’agriculture est soumise à des aléas naturels qui grèvent la rentabilité de telles exploitations auxquels les investissements massifs ne peuvent pallier.
Pourquoi ne pas considérer ces terres comme un patrimoine commun à diviser pour constituer des exploitations de taille moyenne, à redistribuer aux Tunisiens exerçant comme exploitants agricoles au niveau local ? Pourquoi ne pas utiliser ces terres domaniales comme un fonds pour la mise en œuvre d’un projet national de remembrement des terres agricoles fixant le minimum de terre à cultiver pour exercer la profession d’exploitant agricole ?
Ceci contribuerait à remédier au morcellement des exploitations et à l’éparpillement des parcelles, notamment dans les zones d’agriculture familiale à haute densité de population. Le même raisonnement serait à appliquer à la gestion des ressources en eau et, notamment, celles du nord-ouest. La paix sociale passe par l’attribution d’un droit à l’utilisation de l’eau par les exploitants dont les parcelles sont limitrophes des barrages ou situées dans des périmètres irrigués aménagés dans les régions où sont générées ces ressources en eau.